à mes enfants, Laurent et Eugénie
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à mes enfants, Laurent et Eugénie
à mes enfants, Laurent et Eugénie Aoste, 2008 Direction du projet : Elena Garda Révision éditoriale : Marisa Gheller, Diana Jaccod Couverture : Pier Francesco Grizi © 2008, Arti Grafiche E. DUC Località Grand Chemin, 16 11020 Saint-Christophe Tutti i diritti riservati all’autore. ISBN: 978-88-87677-27-1 Préface « Il faut fuir les équivoques comme le diable », a écrit Saint-Vincent de Paul. Il m’a semblé juste, avant d’évoquer le parcours et les passions de Luciano Caveri, de les placer dans une perspective plus longue : celle de la défense de la vérité. Une quête qui fut la sienne, et avant lui celle de plusieurs générations de Caveri. L’histoire de Luciano commence sur les ondes de Radio Saint-Vincent, en 1977. La bonne parole portée par une radio libre : tout un symbole ! L’année suivante, il reçoit le prix Saint-Vincent des jeunes talents du journalisme. C’est le début de son ascension dans le journalisme : pour la télévision valdôtaine d’abord, puis à la RAI. Pendant une décennie, son visage est devenu familier à tous, son franc-parler a plu, sa popularité a crû. Je ne suis pas sûr que cette popularité ait gagné la totalité de la direction de la RAI, mais ! Ils ont appris ce qu’est la détermination d’un valdôtain. L’association de la presse valdôtaine y gagne un nom, et l’association de la presse francophone un membre apprécié. A mes yeux, ce n’est pas un hasard si avant d’entrer en politique, il a passé dix ans de sa vie à la recherche de l’information, c’est-à-dire, d’une certaine manière, à la recherche de la vérité. Au Val d’Aoste, tous ceux qui le connaissent, et connaissent sa famille, savent quelle place la vérité, la défense de la vérité, ont tenu dans leur histoire. L’histoire de son grand-père, qui a préféré abandonner une brillante carrière administrative plutôt que de transiger avec le fascisme, ainsi que l’histoire de son père, qui a conduit tant de Juifs vers le sanctuaire suisse, et a payé le prix de la déportation. Et sans doute aussi l’histoire de ses oncles, qui se sont élevés contre l’horreur et la défaite, et ont connu l’exil, la déportation, et même la mort. Et j’ai en tête une belle phrase d’Emile Zola qui paraît écrite pour eux : « la souveraineté, c’est la vérité et la justice. Car elles seules assurent la grandeur ». Luciano a donc reçu en héritage l’amour de la justice, la passion de la vérité, et une certaine intransigeance dans l’adversité qui s’appelle la grandeur. Un héritage engageant, dont Luciano Caveri a eu le talent d’en avoir été digne. Il a mis toute son existence au service de trois causes : la montagne, l’Europe, la diversité. La montagne, d’abord. Nous connaissons tous cette phrase de SaintMatthieu, qui dit que « la foi transporte les montagnes ». Mais l’on mentionne moins souvent la plaisanterie que fit Boris Vian en réponse, en se demandant « pourquoi l’on devrait transporter les montagnes alors que l’on peut simplement passer par-dessus » ! D’une certaine manière, Luciano Caveri a fait l’un et l’autre. Je connais peu de gens qui, autant que lui, ont bondi d’un bout à l’autre du massif alpin. Pour écouter. Pour discuter. Pour convaincre, inlassablement, que par delà les frontières administratives et linguistiques, la montagne devait nous rapprocher, et non nous diviser. Au Parlement italien, au Parlement européen, il a fallu toute son ardeur pour fonder et animer le groupe des amis de la montagne. Il s’est dépensé sans compter, à tous les échelons politiques et institutionnels, nationaux et internationaux, pour que soit prise en compte la spécificité de notre environnement, de nos activités, de nos besoins. Oui, il a déplacé des montagnes ! Des montagnes de paperasse, d’inertie, de hiérarchie. De ce point de vue, en présidant le Conseil général de la Savoie, j’étais son voisin de palier ! Et, pourquoi ne pas le dire, j’ai soutenu et accompagné ses initiatives. Je pense, comme lui, que la montagne n’est pas un handicap, mais une chance. Une chance de solidarité entre les hommes et les femmes. Une chance d’échange, de fraternité, un point de contact entre les cultures et les langues. Une chance d’identité, dans un monde balayé par le grand vent de l’uniformité. Dès lors, je suis bien placé pour savoir que de la montagne à l’Europe, il n’y a qu’un pas. Un pas que nous avons franchi presque au même moment, et dans la proximité du même homme : Romano Prodi. Proximité institutionnelle, pour moi. Proximité politique, intellectuelle, amicale, pour lui. Il a été, en effet, un membre écouté du groupe libéral du Parlement européen : petit groupe par la taille, mais groupe central par son activité, son positionnement, sa liberté de ton, son enthousiasme européen. Il a aussi été un président de commission respecté. Et pas de n’importe laquelle : celle des transports, de la politique régionale, du tourisme. Un rôle sur mesure pour celui qui veut, réellement, améliorer la vie des gens et des territoires. Il a saisi cette chance à pleines mains. Et je peux témoigner que jamais il n’a été accaparé par les enjeux pourtant considérables, au plan économique, de la politique des transports. Il savait rester disponible pour les régions et la politique européenne qui sert leur développement. Revenant aux années bruxelloises, je souhaite à tous les Commissaires de travailler comme j’ai travaillé avec lui : avec continuité ; avec rigueur ; et aussi avec amitié. Je me rappelle très bien quand, et c’était le 2003, Luciano Caveri m’avait mis à part de son intention de s’engager dans la politique de sa Région, après les longues années passées à Rome et l’expérience bruxelloise. Et bien, à cette occasion je n’ai pas pu que le conseiller dans ce sens en étant convaincu de l’importance de dépenser les meilleurs ans de sa propre carrière politique au service de notre communauté d’origine. Le hasard de la politique nous plaçait à Bruxelles comme nous l’avions été ici : côte à côte, voisin de palier. C’était l’heure de faire avancer la cause des régions, de la diversité, d’un progrès mieux partagé en Europe. Et franchement je peux bien affirmer que nous ne l’avons pas laissée passer. L’on entend souvent des lieux communs sur l’Europe. Lointaine, complexe, bureaucratique. Ce n’est pas toujours faux. Mais n’oublions pas le sens de ce projet : la paix et la liberté, pour laquelle tant de gens se sont sacrifiés ; une certaine idée du progrès et de la prospérité, à partager par tous. Ces idées ne sont pas lointaines parce qu’elles sont difficiles à atteindre. Elles ne sont pas fausses parce qu’elles sont anciennes. Construire l’Europe reste une idée juste, nécessaire. Je me dis parfois que pour les hommes de notre génération, l’Europe est notre combat, comme celui de la liberté et de la vérité fut celui de nos pères. Un combat pacifique, démocratique. Un combat des projets, une bataille des idées. Mais un combat tout de même, au sens fort du terme. Cela a été un privilège de le vivre avec lui… et ce n’est pas fini, grâce aux rapports qu’il garde soigneusement avec les institutions de la République française, en tant que Président des Valdôtains. Je ne peux conclure sans dire un mot de la diversité, un autre mot-clé de son travail. L’histoire des nations européennes n’est pas un long fleuve tranquille. Elles se sont construites par la volonté, parfois par la nécessité, parfois même par le sort des successions ou, pire, des batailles. Pourquoi le cacher ? L’arbitraire, parfois, s’en est mêlé. La terre d’où je viens a rejoint la France après la NouvelleCalédonie… J’ai été frappé par cette terrible phrase de Massimo d’Azeglio : « nous avons fait l’Italie, maintenant il nous faut faire les Italiens ». Je ne crois pas qu’on « fasse » les gens. L’on peut les rapprocher, les unir, leur donner les moyens de communiquer. L’on peut leur donner, collectivement, l’ambition d’aller vers les autres. Ce sont par exemple les valeurs universelles qui fondent la nation française, et c’est pour cela que je suis patriote. Mais je ne crois pas que l’on puisse arracher aux gens leurs racines, leurs repères, leur identité, sans compromettre leur avenir même. Voilà pourquoi je veux saluer les années qu’il a passées à faire reconnaître, peu à peu, les spécificités de la Vallée d’Aoste. Mais aussi, avec elles, toutes celles des autres minorités de l’Italie et de l’Europe. Une cause collective, une de plus dans son parcours. « Chacun seul est responsable de tous » écrivait SaintExupéry. Luciano s’est senti responsable, chez lui, comme à Rome ou à Bruxelles, ou maintenant qu’il dirige avec vision et efficacité le Gouvernement régional de la Vallée d’Aoste, de construire une Europe qui ne soit pas aveugle devant la différence. Une Europe qui ne cherche pas à « faire » les Européens. Mais qui sache, au contraire, accepter et reconnaître la diversité en son sein. Diversité des situations. Diversité des volontés. Diversité des identités, et des langues. Le chemin est encore long. Mais nous sommes en marche. Je vais conclure en disant un mot de la France, qui a souhaité distinguer Luciano Caveri de la manière la plus haute et solennelle, avec la remise des insignes de la Légion d’Honneur, dont j’ai eu le grand privilège de pouvoir le faire en son nom, pour ce qu’il a fait et qu’il fait pour notre langue commune. Le Français, dont la République Française n’en est pas la propriétaire, mais, simplement, la dépositaire. La responsabilité de nous tous, que Luciano Caveri a retenue comme la sienne, en le défendant avec passion, est de le garder vivant et ouvert, pour les générations à venir. Michel Barnier Ministre de l’Agriculture et de la Pêche de la République Française décembre Aujourd’hui je veux aborder un thème très personnel concernant – à l’approche de la Noël – mon anniversaire, pour traiter quelques éléments qui facilitent le souvenir à mes amis et qui empêchent de fait de grandes fêtes le jour de ma naissance. En effet, je suis né – et j’en suis fier tout en n’ayant aucun mérite – le 25 décembre, à 20h10, dans l’ancienne Maternité d’Aoste ( il y a quelques jours j’ai rencontré à Chambave l’obstétricienne qui était présente à ce moment-là ), avec un mois d’avance par rapport aux 9 mois ordinaires et de ce fait je pesais seulement 2 kg et 300 grammes. J’y tenais vraiment à voir le jour en 1958, un grand millésime ! Et puis la Noël, c’est la Noël ! Dans mon enfance, j’aimais penser à la chance de pouvoir entrelacer une Fête avec le grand F avec le jour de ma naissance, si l’on exclut évidemment les cadeaux… L’anniversaire est une date étrange : pleine de joie et en même temps bourrée d’une nostalgie croissante dans les années, parce qu’on ne sait jamais si le lendemain le soleil éclairera encore la méridienne du temps qui s’enfuit de notre existence – surtout lorsque tu commences à avoir, je dirais à partir de l’adolescence, une idée des problèmes de la vie. Je m’approche ainsi de mon dernier anniversaire de quadragénaire et il est normal de penser au temps qui coule. Les âges ne sont pas tous pareils : il y a quelque temps, à l’occasion de mes vingt ans de politique, je pensais qu’il y a une belle différence, quoique l’intervalle du temps soit le même, entre 28-48 et 48-68. C’était bien Einstein qui faisait remarquer comment trois minutes de cuisson d’un œuf sont bien différents des trois minutes passées entre les bras d’une belle fille. Il m’est arrivé parfois de percevoir le temps qui ralentissait incroyablement – je pense à un accident de la route – ou viceversa accélérer, comme si l’aiguille des secondes augmentait sa propre vitesse – ce qui m’arrivait au Parlement européen lorsque j’avais 50 secondes à ma disposition pour une intervention. Une fois abandonnées les années où l’âge était à un seul chiffre, le premier anniversaire à deux chiffres, celui avec le 1 devant, ressemblait – à une époque de croissance et de vitalité – à une fusée qui se prépare à être lancée dans l’espace avec un compte à rebours : en face de toi, à l’exception d’une terrible destinée, tu as beaucoup de temps. Et quoi dire de l’anniversaire avec 11 le 2 devant : tu ressemblais à un boxeur qui monte sur le ring de la vie après des années d’entraînement. Le 3 marquait un passage semblable à celui d’un plongeur qui décide de descendre, fort à la fois de l’expérience et de la force, à 40 mètres de profondeur. Lorsqu’à la porte de ton âge se présente le chiffre 4, on se délecte du fait que – au vu de l’âge moyen de nos jours – on est dans le cœur de l’existence. Et le 5 ? Ici, nous plongeons au milieu du passage qui m’attend en 2008. 50 ans, qui représentent un demi-siècle : en lisant certains romans du passé, les quinquagénaires passaient comme des vieux dépourvus de toutes attentes. Une démonstration des changements : l’allongement de la durée de vie moyenne développe différemment l’âge et change la nature ainsi que la considération de la vieillesse. Aujourd’hui, les grands vieux, très nombreux et pleins de vivacité, atteignent ces balises impressionnantes qui marquent le troisième et le quatrième âge. Bref, l’alibi pour dire que ce 5 n’est pas un drame a été sciemment érigé, mais il reste un alibi. Qui – à moins de n’être un menteur – ne regrette pas ses vingt ans ? Il est vrai cependant qu’il faut jouir de chaque âge, en prenant ce qu’il y a de bon et de mauvais, sans jeunismes à l’âge adulte et sans hargnes séniles lorsqu’on est jeune. J’observe des senior qui jouent le junior, devenant pathétiques, surtout les femmes lorsque les dégâts du temps les obligent à finir dans les mains des chirurgiens plasticiens qui en changent les traits ou font refleurir de seins tombants. D’autre part, je connais des jeunes qui sont des vieux par leur manque de gaité et de caractère, qui paraissent des octogénaires même s’ils n’ont que 30 ans. Je crois qu’il faut être ce qu’on est à son âge, en regardant le futur avec optimisme, en s’aimant et en sachant que l’amour – un carburant moins cher que le pétrole – peut faire le bien de tous : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8… peu importe. L’évolution de la langue, dans un monde de plus en plus globalisé ( il y a quelques jours à Madrid, je remarquais comment les magasins du centre se ressemblent de plus en plus dans toutes les Capitales ), est un phénomène à suivre avec attention. C’est de ce sujet que je souhaite vous parler aujourd’hui, en laissant de côté la politique, en raison du risque évident d’arriver à saturation et le Calepin étant une sorte d’oasis de pensées en liberté. Selon une définition du dico, l’acronymie ( du grec akros « au bout, extrême » et onoma, « nom » ) est l’abréviation d’un groupe de mots formé par la ou les premières lettres de ces mots. Le résultat, nommé acronyme, se prononce comme un mot normal ou bien – ce qui plaît beaucoup aux Français, mais cela arrive aussi aux USA ( acronyme ! ) – en le dictant lettre par lettre 12 ( par exemples : SNCF ou RATP, respectivement Société Nationale des Chemins de Fer français et Régie Autonome des Transports Parisiens ). Ce fait se produit également au sein de la bureaucratie européenne de Bruxelles où l’acronyme est un chichi qui finit par créer une sorte de langage initiatique mystérieux ressemblant – dans une logique de corporation – au jargon d’antan des ramoneurs valdôtains. Ceux qui ne font pas partie du groupe, ne comprenant pas finissent par en être exclus. Dans la vie, nous sommes accompagnés par les acronymes. Ils sont un moyen pour abréger les choses : un moyen qui, en Italie aussi, en raison des anglicismes envahissants, est utilisé au quotidien et à qui les Français essayent d’opposer leurs acronymes ( deux exemples éloquents : AIDS se transforme en SIDA et NATO devient OTAN ). Même dans la forme orale, la brièveté est devenue désormais un élément positif. Dans mon enfance, je n’avais aucune idée de l’origine de certains acronymes parce que je croyais qu’ils étaient de véritables mots, comme radar ou laser. Et quoi dire d’un ensemble de noms assez familiers : l’industrie d’automobiles par excellence, FIAT ( Fabbrica Italiana Automobili Torino ) ; la seule société téléphonique de l’époque, SIP ( Società Idroelettrica Piemontese, que j’ai découvert ensuite comme étant l’entreprise qui a construit la digue de Valgrisenche ) ; l’usine de fusées qui découvrait l’espace, NASA ( National Aeronautics and Space Administration ), les stations de service AGIP ( Azienda Generale Italiana Petroli ). Des partis politiques d’antan ( PCI, DC, PSI, PSDI… ) il ne reste que l’UV – et nous méritons bien une mention –, alors que les syndicats restent solidement sur scène ( CGIL, CISL, UIL et en Vallée d’Aoste SAVT ). Il nous vient aussi du passé VDA ( « libra » selon les arpitans qui écrivaient sur les murs ! ), auquel, au sein de l’Administration régionale, se place de temps à autres l’affreux RAVA ( Région autonome Vallée d’Aoste ). Il fait désormais partie de l’histoire, l’acronyme BIM ( Bacino Imbrifero Montano ), alors que CELVA ( Consortium des Collectivités Locales de la Vallée d’Aoste ) et CPEL ( Conseil Permanent des Collectivités Locales ), calqués sur l’italien « enti locali », font leur apparition. Un panneau placé derrière les camions a produit l’utilisation de TIR ( Transports Internationaux Routiers ), alors qu’aujourd’hui il existe d’inquiétants néologismes du genre ADSL ( Asymmetric Digital Subscriber Line ) ; pour ne pas parler du jour où le Conseil de la Vallée, en me faisant paniquer, m’a demandé mon IBAN ( International Bank Account Number ). Nous vivons submergés par les SMS ( Short Message Service ), nous sommes victimes du syndrome NIMBY ( Not In My Back Yard, que l’on pourrait traduire par « pas de ça chez moi » ou mieux encore en le remplaçant par PPCV, « Pourquoi Pas Chez le Voisin ? » ). Dans cet ensemble bourré d’incertitudes, comme un îlot dans la mer, c’est le AAAAA ( Association Amicale des Amateurs d’A ndouillette Authentique ) qui résiste. Nous avons la tentation de nous y inscrire ou bien de lancer un SOS ( Save Our Souls ) ! 13 Je voudrais calmement, à jeux faits, revenir pour la dernière fois – parce qu’à la Noël nous serons tous animés par les bons sentiments – sur les référendums de proposition. Je voudrais le faire sans devoir écouter que je suis un putschiste ou un antidémocrate. Et sans que quelqu’un ne sorte de son armoire idéologique les maquisards de la Résistance, en soutenant que les Valdôtains auraient dû voter cette fois – après le nombre de référendums désertés dans le passé sur les indications à la fois de la droite et de la gauche – en raison d’une reconnaissance respectueuse vis-à-vis de ceux qui ont été les fondateurs de l’autonomie valdôtaine. Ces valeurs font partie de notre histoire personnelle et collective et certains tests de démocratie – avec le carnet de notes qui nous est attribué – pourraient se retourner contre certains maîtres à penser à la plume facile. Je me réfère aussi aux lettres dirigées qui sont arrivées aux journaux le lendemain des référendums. Des lettres récitant entre autres un chapelet douloureux qui, comme dans chemin de croix pénible, a fini par ajouter du sel sur les blessures des vaincus. Dire aux électeurs – et nous dire – que nous sommes des crétins, peureux ou corrompus n’est pas un exercice des plus malins. Tout comme le fait de poursuivre dans l’étalage d’une série de méchancetés à mon égard ( à savoir sur le Président qui trahit les fonctions de préfecture ) et sur le régime de dictature instauré par l’Union démontre la petitesse de certaines argumentations et l’improbabilité de la carrure politique de leaders qui – comme des joueurs de fifres magiques qui ont poussé leurs troupes dans un gouffre – ressemblent désormais à des disques cassés qui utilisent toujours les mêmes phrases, comme si le « non vote » avait été seulement un mauvais rêve ! Je veux revenir sur le thème après avoir analysé les résultats, qui ne permettent entre autres ni demi-mesures, ni commentaires ambigus : les référendaires ont pris une sacrée déculottée. Notre Mouvement doit thésauriser le résultat. Nous devons être sages et modérés, mais cela signifie quand même dire la vérité, rien que la vérité. Il n’y aurait rien de pire que être généreux avec les vaincus, parce que surement ils n’auraient pas eu de la pitié, si on avait été humiliés par l’électorat à leur place. Et alors il faut dire les choses : nous avons été ingénus à voter le mécanisme en vigueur du referendum qui propose, conçu comme il était : une bombe à retardement pour nous faire sauter en l’air. Etonnant, pour une fois qu’il y en avait raison, que le Gouvernement national, n’ait pas contesté parmi la Cour Constitutionnelle une loi qui prévoyait de remplacer la démocratie représentative avec une confuse démocratie directe, inexistante et jamais prévue avec ces mêmes mécanismes dans n’importe quelle démocratie. C’est clair que, selon la Constitution et le Statut, le pouvoir de légiférer – sauf dans le cas d’extraordinaire nécessité et urgence du décret législatif – est un devoir du Parlement ou des Conseils régionaux et seulement le referendum abrogatif peut s’occuper des lois, ou de tranches de lois, en créant des « coupures » des lois 14 en vigueur. « Qui propose » veut dire proposer, et non pas parvenir, sous la pression du referendum et du peuple, à une nouvelle loi publiée ! Et cela vaut dans tous les cas, mais spécialement en deux cas : pour les lois soi-disant statutaires dérivant de l’article 15 du Statut, qui doivent rester solidement dans les mains du Conseil de la Vallée, considéré que le referendum confirmatif comme mécanisme d’implication du peuple est déjà prévu ; et quand – deuxième cas – pour les lois qui n’ont pas ( conformément à l’article 81 de la Constitution ) la nécessaire couverture financière, pour éviter que les caisses publiques deviennent une passoire. Les experts qui devaient se prononcer sur l’admissibilité des referendums se sont distraits sur ces deux points aux premier examens des documents, et seulement en seuil ils ont fait comprendre que ceux qui, comme le soussigné réclamaient l’inconstitutionnalité, n’étaient pas proprement des visionnaires. Mieux vaut tard que jamais. Et si malheureusement les referendums avaient passé, le Gouvernement national n’aurait pas pu éviter de cueillir – ex post même si c’était mieux ex ante – les bizarreries d’une procédure qui aurait fait chair à canon des points fondamentaux de notre démocratie représentative. Heureusement les électeurs y ont pensé, en faisant place nette. Et ça suffit, s’il vous plaît, de citer la Suisse ! Ceux qui approchent le referendum qui propose au système référendaire helvétique doivent arrêter de dire des mensonges, et se mettre à étudier. Peut être il aurait été simple de citer le fédéralisme suisse pour donner une allure noble à une action politique toute valdôtaine : le Coquelet, caché derrière un angle, voulait tuer dans un guetapens le Lion, et le Lion – entré directement dans le poulailler – s’est mangé le coquelet. novembre L’histoire est une chose importante et sa connaissance est une prémisse incontournable pour toute action politique. Pour cette raison, à maintes reprises, j’ai lancé, sans succès, un appel auquel je crois profondément. C’est une aventure où je voudrais m’engager en première personne si j’en avais le temps : il est temps que quelqu’un écrive un livre homogène et complet sur l’Union Valdôtaine, en racontant comment son histoire se croise avec l’histoire de la Vallée d’Aoste dans son ensemble. Avec des avantages non seulement au profit de nous, les Unionistes, mais de la communauté val15 dôtaine tout entière, même de ceux qui sont diamétralement opposés à notre pensée mais qui reconnaissent correctement notre rôle au cours de ce dernier demi-siècle. Il s’agit d’ailleurs d’une circonstance incontestable pour tous ceux qui observent avec sérénité les faits : pour avoir un tableau clair de l’histoire contemporaine, il est indispensable de comprendre le rôle de l’Union. Pour être plus précis, il faut dire que sans l’activité de l’UV, dans les années cruciales de l’après-guerre et dans les décennies suivantes, nous n’aurions ni d’autonomie spéciale ni nous aurions su la conserver. Comprendre le rôle décisif de notre Mouvement est aussi un antidote contre le poison de certains ex-unionistes ( l’excès de méchanceté et la virulence de certains d’entre eux – qui s’est transformée en véritable paranoïa ! – nous surprennent et chagrinent ) ainsi qu’un moyen de repousser la contre-information de ceux qui trempent leur plume d’historien dans l’encre des préjugés contre l’Union, en diabolisant un ennemi qui s’est transformé en pure obsession. La nôtre, par contre – pour la tranquillité de ceux qui nous veulent du mal –, avec ses erreurs, ses hauts et ses bas, est l’histoire chorale d’un peuple, accompagnée de différentes personnalités qui ont donné de la substance, à partir de 1945 jusqu’à aujourd’hui, à notre présence sur la scène politique, dans un enchaînement qui a déjà engagé plusieurs générations. Nous courons le risque – aussi bien pour la dispersion des documents ( l’absence de véritables archives de notre Mouvement ) que pour la naturelle disparition des témoins directs – de faire tomber dans l’oubli certains passages ( y compris les douloureuses diasporas du passé qui se sont raffermies dans la réunification ) et de perdre quelques-unes des connaissances indispensables : nous ne pouvons pas nous le permettre. La transmission orale qui vient des rencontres entre les unionistes ou des récits de nos familles et des anciens militants qui aiment raconter des anecdotes ou des histoires du passé n’est pas suffisante. Tout comme ne l’est pas la collection des articles du Peuple : le puzzle, tout en étant très précieux, serait partiel et il nous maquerait ce tableau si vaste et participé qui traverse les 60 ans d’autonomie de notre Vallée et dont notre Mouvement a été le protagoniste. J’aime l’écrire en observant le scénario autour de nous. Le nôtre, est le seul arbre resté, comme un ancien et solide noyer, au milieu de jeunes petites plantes, qui sont dans certains cas de véritables buissons ou, dans le pire des cas, des plantes adventices. Tout cela vient de la crise des anciens partis, qui se sont transformés avec une périodicité grandissante en de nouveaux sujets politiques, ou de la naissance de petits mouvements personnalistes ou à base familiale même dans notre Vallée. 16 La politique, dans son acception noble et démocratique, est faite de sé- rieux, beaucoup de sérieux. Je comprends et partage la crainte que ce présupposé, qui est le point de repère de la cohabitation civile, vienne moins face à une opinion publique déçue et inquiète par le danger de l’effritement de la crédibilité de ses hommes politiques. Je sais qu’il existe maintes raisons pour que cela se produise et je suis prêt, en premier, à dénoncer toute dérive et à faire toute autocritique utile ou nécessaire. Il faut toutefois, afin de contraster les risques de défiance et d’apolitisme larvés, bien agir, en gagnant, jour après jour, la confiance nécessaire ; tout comme il faut être les interprètes de la « bonne » politique, garder la tranquillité et ne pas céder aux pires provocations. Le résultat des référendums de proposition, annulés par la non obtention du quorum, est éloquente : ce résultat nous a donné raison quant à notre choix de « non vote », motivé de façon sérieuse et partagé largement par les citoyens valdôtains. Nous nous sommes retrouvés face à des ennemis motivés par la haine plutôt qu’à des adversaires présentant leurs raisons : c’était une sorte de Cirque multicolore monté par les référendaires tout particulièrement contre l’UV et imprégné d’acrimonie contre ma personne – assaisonnée par des racontars, des commérages et des méchancetés qui m’ont beaucoup attristé, même si je ne suis pas un novice. Voilà pourquoi, dans la perspective des élections régionales, je propose à tous – pour que la campagne soit menée de façon chevaleresque et propre – de couper comme des branches sèches ceux qui prêchent la haine, ceux qui jouent avec la réputation des personnes, ceux qui déversent contre les autres leurs malheurs et leurs frustrations. Une taille nécessaire et bénéfique – au nom d’une corporation politique selon le principe de « l’embrassonsnous » – simplement parce qu’il existe de règles élémentaires de bon ton et des valeurs fondées sur la bonne éducation. Ça suffit avec les mal élevés, les méchants, les semeurs de zizanie, les internautes anonymes : il en va de notre communauté, où il est légitime et souhaitable de partager des courants de pensée ainsi que d’avoir des idées et des actions administratives différentes. Tout cela peut se faire sans s’entredévorer, sans mener des guerres entre bandes, sans avilir la politique. Et en évitant d’imaginer qu’une démocratie directe puisse supplanter – à coups de référendum – la fiable et irremplaçable démocratie représentative. J’avoue que j’adore les contes de fées et le monde en miniature qu’ils représentent. Une dimension lilliputienne racontée par des auteurs qui reviennent à leur enfance dans cette sorte de bonsaï de la grande littérature qu’est la littérature enfantine, pour laquelle de grandes intelligences ont exercé leur 17 savoir-faire en s’assumant de remarquables responsabilités éducatives. Il est certain qu’il faut y prêter une attention toute particulière sans sousestimer ces condensés de sagesse et sans s’arrêter aux apparences. Il s’agit en effet d’histoires suggestives qui traversent les époques et qui n’ont pas d’âge, justement parce que les règles de base de l’humanité ne changent pas. Ce qui est d’ailleurs magistralement démontré par les personnes âgées qui reviennent à leur enfance et par les enfants qui tendent leurs bras vers l’âge adulte comme des arbres à la recherche des rayons du soleil. Les contes de fées sont utiles aux enfants qui les écoutent et aux adultes qui les racontent, en sachant qu’il y a – tout comme il se passe aussi aujourd’hui dans les dessins animés de l’ogre vert Shrek – différents niveaux d’interprétations et une variété d’émotions. Rire et pleurer, jouir et souffrir, monter et descendre, se presser et ralentir : il y a un échantillonnage indispensable, une sorte de précis d’histoire utile aux différents usages de la quotidienneté. Bien avant de savoir lire, ceux qui nous racontaient, le plus souvent au chevet avant de nous endormir, ces histoires – la maman, le papa ou les mémés – n’avaient pas la pleine conscience d’un fait : dans ces contes il y a tout ce qui peut être utile et nous le gardons précieusement pour le faire ressortir en cas de nécessité, tout comme le faisait Iga Biva avec ses poches, d’où il sortait des trucs immenses en fonction des circonstances. Pour ne pas s’égarer ? Le Petit Poucet ( bien avant les navigateurs satellitaires ! ). Croire en l’amour ? Cendrillon ( qui doit soigner ses pieds pour pouvoir chausser la petite pantoufle en verre ). Prendre garde des empoisonneurs ? Blanche Neige ( combien de méchantes sorcières y a-t-il dans la view de chacun de nous ? ). Avoir de l’optimisme ? Le crapaud qui se transforme en un beau prince ( jusqu’à l’usage complet de ses lèvres ) ou la Belle au bois dormant qui reçoit un baiser du prince ( non pas de l’ancien crapaud… ). Ne pas se faire emprisonner par les règles ? Alice au pays de merveilles ( mais aussi le Chapelier Fou n’est pas mal du tout ). Cela vaut aussi en politique, sans aucun doute. Les référendaires par exemple ne ressemblent à rien d’autre qu’au grand méchant Loup qui cache gauchement son museau poilu sous les draps et essaie, d’une voix en fausset, de tromper le Petit Chaperon rouge ( à savoir la Vallée d’Aoste ). Ils raisonnent avec le Palais en utilisant le même mépris du Renard à l’égard du raisin. Ils se font grand, grand jusqu’à exploser, comme le crapaud. Voilà pourquoi – même grâce à l’enseignement des fables et des contes de fées – dimanche prochain je ne voterai pas ! 18 Les choses, à savoir les véritables objets matériels, évoquent des lieux et des personnes sans l’appui d’une machine à explorer le temps ni d’une séance de spiritisme avec des tables à trois jambes. Le jeu que je vous propose a des variétés infinies dérivant de ce que chacun de nous – de façon originale et unique – a vécu. Faites-le aussi et vous verrez comment à partir du passé lointain, certains épisodes oubliés ressurgiront d’un coin perdu du cerveau ainsi que les personnes qui y sont liées réapparaîtront en chair et os. Si je pense aux premiers téléphones fixes sans fil – les fameux cordless – c’est le prieur Donato Nuchy qui revient dans mes souvenirs, avec son téléphone monumental doté d’une longue antenne avec laquelle il couvrait le territoire de la paroisse d’Arnad. La sucette glacée – mes parfums préférés étaient l’anis, le citron et la menthe – est un lieu de mon enfance : le kiosque des glaces de Peppino sur la plage d’or de Porto Maurizio à Imperia, lorsque la sucette glacée était à 10 lires ! L’ordinateur, c’est le visage souriant de Eddy Ottoz, qui m’avait offert, il y a désormais quelques années, un Apple de première génération, lorsque l’informatique et ses applications étaient encore enveloppées d’un halo de mystère qui n’aurait jamais présupposé la miniaturisation actuelle. Les petits formats de liqueur ont été les premières formes de transgression : à l’époque de l’école moyenne, au bar Alpino de Champoluc, les plus audacieux arrivaient à en acheter, ce qui rendait plus animée la rentrée en car après le ski dans l’espoir d’un premier baiser de la petite camarade de classe. La glace crème de l’accueillante Madame Balma, dans la laiterie du « vallin », c’est un goût de l’enfance, tout comme les bonbons « sanateurs » achetés dans l’ancienne mercerie ou les bouteilles de « spuma » de Gervasone. Le cocktail « Negroni » n’évoque ni les bars ni les boîtes de nuit : c’est plutôt une gourde avec cet agréable mélange à consommer en compagnie d’un ami et de deux belles sœurs jumelles de Gressoney-Saint-Jean lors d’une soirée inoubliable passée dans un abris de montagne, sous un ciel étoilé dominant le Mont Rose. Et les cigarettes ! Je me souviens des papiers maïs, les terribles cigarettes brunes françaises, qu’Andrea Frachey étalait au Galion d’Ayas pour épater les touristes milanaises, ou les douceâtres cigarettes à la menthe que nous partagions avec Ezio Bruni dans l’obscurité d’une salle de cinéma, en sortant complètement gaga. Et quoi dire des occupations du Lycée à Aoste, où dominaient le muscat et les sandwichs au poivron et anchois de Papà Marcel ou – à l’époque de l’école à Ivrée – les frites et les bières du Cercle Garibaldi de Bienca, où je figurais dans la liste des membres ! Tout cela confirme que chacun de nous est un monde dans le monde, que les souvenirs sont une compagnie merveilleuse et que la vie est un ensemble constant de rencontres et de découvertes que personne ne peut nous voler. Lors des moments de tristesse ou de pessimisme nous allumons, à titre de consolation et pour éloigner les mauvais fantômes, une lumière grâce à l’aide de l’imagination venant aussi des objets les plus banaux : je vous rassure, cela fait du bien ! 19 Je n’irai pas voter le 18 novembre pour les référendums et je défends ce choix avec une conviction absolue et en toute sérénité. Tout d’abord j’utilise le terme approprié, à savoir « non vote » au lieu « d’abstention », parce que du point de vue technique et politique il s’agit de deux différentes prises de position. L’abstention est associée à la non participation dans une logique plutôt passive. Dans ce cas, par contre, le « non vote » est un choix actif qui n’a rien de ponce-pilatesque, parce qu’il signifie la défense des lois en matière électorale qui ont été votées, selon un dessein homogène et innovateur, par 30 conseillers régionaux sur 35. La même chose vaut pour l’Hôpital : le Conseil de la Vallée a décidé depuis des années d’avoir une nouvelle structure à côté de celle qui existe déjà à Aoste, en définissant un programme global d’utilisation dont on connaît parfaitement le projet et les coûts. Je ne voterai pas parce que cette modalité de choix démocratique est prévue explicitement par la loi régionale sur le référendum, qui a fixé un quorum, c’est-à-dire un seuil à atteindre pour sa validité. Et cela en analogie avec l’article 75 de la Constitution, qui prévoit et permet – en tant que précieux principe constitutionnel – ce mécanisme de « non vote » justement pour déclarer la nullité du référendum. C’est la raison pour laquelle le citoyen, face à un référendum, peut choisir deux chemins qui sont tout à fait légitimes : aller voter ou choisir de ne pas y aller. Voilà pourquoi le vote au référendum n’est pas – comme il se passe aux élections – un droit et un devoir : en optant de ne pas voter, je fais un choix légitime dont je ne dois ni m’excuser ni me justifier. Je rappelle, par ailleurs, que ce n’est ni l’Etat ( élections politiques ) ni la Région ( élections régionales et communales ) à m’appeler au vote, mais, dans les faits, un groupe de citoyens signataires des propositions de loi soumises au référendum. Ce sont ces citoyens qui sont intéressés à atteindre le quorum et doivent donc en assumer aussi bien les honneurs que les charges, y compris les chiffres nécessaires pour obtenir la validité des référendums. Dans mon cas, le « non vote » représente la sauvegarde du rôle de la démocratie représentative contre la tentation d’une utilisation continuelle et massive du référendum dans des matières délicates, qui ne peuvent pas être réglementées à l’aide d’un instrument définissant certains choix d’un « oui » ou d’un « non » ( et, je le répète, du légitime « non vote » ). Le « non vote » n’est ni du mépris à l’égard de la démocratie ni une sorte de fuite face aux responsabilités : je me suis investi dans la campagne référendaire en présentant mes raisons, ce qui n’est ni un désengagement ni un désintérêt, mais plutôt de l’engagement civil et politique, et en prenant fait et cause de façon visible et claire. Dans l’histoire de la République toutes les formations politiques ont choisi, selon les circonstances, d’inviter les citoyens au « non vote » à l’occasion des référendums. Dans ce cas, nous le faisons aussi en toute légitimité et dans le respect de ceux qui ont fait d’autres choix. 20 octobre J’adore les chiens et j’estime que leur compagnie – qui, pour les êtres humains, remonte à la nuiwt des temps et qui a fait écrire des pages magistrales aux éthologues ( je pense à Lorenz ou Mainardi ) – est une joie, voire même un enrichissement personnel. Ce n’est pas un hasard si j’ai plus de confiance, même dans ma vie, en ceux qui croient en la magie du rapport avec le chien, en connaissant combien l’amour que ces animaux ont à l’égard de leurs propriétaires est puissant et hautement formatif. J’en suis certain à partir de mon expérience : si je pense à mon enfance et à ma jeunesse, deux courants de souvenirs reviennent dans mes pensées. Le premier est lié à mes chiens-loups : Brik, un mâle – dont j’ai un souvenir aussi lointain que vif – qui fut tué par des voleurs lorsque j’avais 8 ou 9 ans, suivi aussitôt de Laica, une femelle, qui m’accompagna pendant de nombreuses années et avec qui j’ai eu une amitié solide et pleine de complicité. Je revois son regard affectueux au moment où mon père vétérinaire, plein de pitié, mettait fin à ses souffrances à l’aide d’une piqûre, lorsque je la caressais. Un chien est un ami, comme le précise un ancien adage « le meilleur des amis ». C’est vrai, je le pense toujours : aucun animal n’est entré en syntonie avec l’homme – qui s’est montré souvent ingrat – et il est d’autant plus vrai que, par un mécanisme incroyable mais tout à fait réel, les chiens finissent par ressembler à leurs patrons ! Le deuxième courant de mes souvenirs est assez original et vient du métier de mon père, le vétérinaire, qui avait un penchant pour les grands animaux – les vaches étaient ses patientes les plus importantes – sans pour cela snober les chiens. Ainsi, non seulement je suivais le va-et-vient des clients à quatre pattes dans son dispensaire, mais souvent – comme une sorte d’aide de camp – il m’arrivait d’assister aux visites médicales ou aux opérations chirurgicales des pauvres patients allongés sur le lit de marbre. De la souffrance et de la peur qu’ils vivaient à ces moments là, j’ai appris à les admirer encore plus, parce que la voix de leur patron était une médecine unique, avec un effet placebo des plus efficaces, sur la base d’une motivation : la confiance. Le chien est confiant, il jette son cœur au-delà de l’obstacle. Il ne connaît ni les hypocrisies ni les duplicités, il est franc et loyal. Pour cette raison – en tant qu’école de vie – j’ai offert un golden retriver à mon fils Laurent. Il sera pour lui un vrai ami ; il lui apprendra beaucoup de choses sans jamais pouvoir lui dire des mots, il l’écoutera dans ses défoulements et il lui suffira un 21 jappement ou un coup de langue sur sa main pour lui dire : cher Laurent, je suis là, tu peux compter sur moi. Comme Brik et Laica, solidement gravés dans mon cœur et à qui je pense bien souvent – il m’arrive de les revoir dans les museaux des autres chiens – comme à une consolation lointaine qui vient droit de mon passé pour me rappeler tout ce qu’ils m’ont appris dans mon enfance en leur compagnie. L’identité n’est pas comme la Joconde du Louvre, immortalisée, une fois pour toutes, par le génie pictural de Léonard de Vinci sur la toile d’un tableau. L’identité personnelle et collective, à savoir celle d’un peuple et de ses composants, bouge et évolue : elle ne s’arrête jamais et elle n’est donc pas une image statique et définitive. Dans son dynamisme, l’identité ressemble à ces photos témoignant les différents cycles de notre vie, qui mises sur une table les unes à côtés des autres, montrent les transformations des traits physiques que nous avons subies au cours des années en prenant de l’âge. Cela vaut aussi pour l’histoire de chaque famille, y compris la nôtre, cher lecteur et chère lectrice : nous pouvons le deviner dans les images d’enfants avec nos parents et, par après, avec nos familles dans les étapes de notre vie ou dans les albums photographiques historiques de famille qui nous parviennent, on ne sait pas trop comment, en héritage ( j’ai de très belles photos du XIXe siècle dont je ne connais malheureusement pas l’origine… ). Cette transformation continue, ce mouvement perpétuel, ressemblent à la stratigraphie des fresques de la Cathédrale ou de l’Eglise de Saint-Ours, à Aoste, où, comme dans une sorte de jeu, on superposait le nouveau sur l’ancien – surtout dans les églises qui suivaient la tendance iconographique et les modes picturales de l’époque –et, grâce aux techniques modernes, nous avons la certitude de ces superpositions qui créent justement l’identité. La culture est comme les arbres : des racines bien plantées et des feuilles différentes dans un mélange de continuité et de changements. Une société se transforme et, par là, sa culture aussi ; et ce mouvement sert également à éviter que des rigidités excessives ou des conservatismes paralysants déterminent la fin d’une identité. Un équilibre délicat, avec des ruptures et des âpretés, des regards sur le passé et des visions futures. Ainsi, être valdôtain, c’est le fait d’être les valdôtains d’aujourd’hui : une tautologie qui indique véritablement l’élément que je viens d’évoquer. Je ne suis pas mon père tout comme mes enfants ne seront pas ce que je suis, ce qui a été et vaudra pour la société valdôtaine et pour l’identité qu’elle exprime. Identité changeante, qui se perpétue à la condition d’avoir des éléments de force et d’originalité. La crainte des différences, de l’autre par rapport à soi-même – en fonction des us, des costumes et, aujourd’hui, aussi des religions – est motivée par un 22 esprit légitime de conservation et de défense de son identité. De façon paradoxale, c’est véritablement de cela que vient le mouvement vieux-nouveau qui détermine le caractère imprenable – à l’inverse de ce qui se passe avec le visage de la Joconde – de l’instant qui passe d’une identité qui, chaque jour, perd et acquiert quelque chose. Cela vaut aussi pour l’identité valdôtaine. L’événement est bien connu : dans un hameau de Saint-Christophe, un groupe de citoyens fâchés adressent un mémoire aux autorités contre un éleveur âgé parce que une dizaine de vaches logées dans une vieille étable, bien que prévue par le plan d’urbanisme de la Commune, puent et gênent, par exemple lors du trajet menant à l’abreuvoir ( il paraît en vérité que même le jaillissement de la fontaine les agaçait… ). La suite est complexe et comprend une série de séquestres, d’arrêtés et de sentences de la Magistrature pénale et administrative, ainsi que des interventions du Corps forestier dans ses fonctions de police judiciaire, des contrôles sanitaires et vétérinaires, des manifestations publiques et maintes réunions outre qu’une longue discussion au sein du Conseil de la Vallée aboutissant dans l’adoption d’une résolution. J’estime que n’importe qui, ayant examiné le cas avec un certain recul, pourra remarquer l’incohérence absolue entre l’événement en lui-même ( en latin : casus belli ) et la paperasse et les paroles qui se sont cumulées dans les différentes causes : une situation qui frise le ridicule, en pensant à un certain langage juridique utilisé pour confirmer le séquestre, digne franchement de questions plus importantes et démontrant aussi une connaissance élémentaire du monde agricole, qui est à l’origine de la civilisation valdôtaine. En vérité, une simple querelle entre voisins a été transformée en fait emblématique. Parce que vous devez savoir, Messieurs du Jury, que la vache fait caca depuis des millénaires et la cohabitation entre les éleveurs et le bétail prévoit – surtout à nos latitudes – la présence obligatoire d’une étable où héberger nos animaux, ce qui est toujours arrivé depuis les cabanes des Salasses jusqu’aux villages de nos jours. Je comprends que l’odorat en soit éprouvé, que les mouches errent dans les alentours, que les cloches retentissent et que l’on court le risque – dont j’ai survécu – de piétiner sur une merde ( terme ennobli par le célèbre Cambronne ! ). Je comprends aussi – je l’écris en tant que fils d’un vétérinaire qui puait l’étable à son retour du travail – que les éleveurs ne sentent pas toujours les fleurs des prés : mais il faut aussi dire que leurs conditions de vie ont changé et que le stéréotype du paysan malodorant est une représentation caricaturale et stupide. Messieurs du Jury, j’aimerais que vous évaluiez le fait que ces vaches, en plus de produire des excréments et parfois des pets ( et, si vous les caressez sur le museau, vous aurez droit aussi à des coups de langue, râpeuse et 23 gluante ! ), sont l’orgueil de notre production laitière et fromagère. La petite et rustique vache valdôtaine ( que ce soit la pie rouge, noire ou châtaigne ) produit du bon lait – je signale entre autres que cette production vient, du moins jusqu’à aujourd’hui, des tétons situés au-dessous et frôlant donc dangereusement le sol ! – à partir duquel des mains averties tirent du beurre et des fromages délicieux comme la fontine. Dans une logique de compensation entre les aspects liés aux bêtes et les produits fromagers, il me semble qu’il faut trouver un juste équilibre. Ce qui vaut également pour ce qui est des requêtes légitimes d’hygiène et de sécurité alimentaire avec les aspects liés à l’élevage traditionnel qui, par exemple empêchent de mettre une couche à la vache ou de demander à l’éleveur de suivre ses animaux avec un balais et une pelle pour ramasser vite fait le caca, en excluant pour le moment – mais j’ai confiance dans l’ingénierie génétique – de convaincre les vaches à s’asseoir directement sur la cuvette des cabinets. Pour toutes ces raisons, je voudrais que le bon sens triomphe et qu’au code pénal l’on oppose un dialogue serein entre les parties, parce que le recours à la voie judiciaire pour la solution de litiges ordinaires démontre seulement un retour à la barbarie dans les rapports sociaux. Et c’est pourquoi je me remets à la clémence de la Cour. L’alcool, à moins qu’il ne soit bu qu’en doses modérées et sans en deve- nir des esclaves, est dangereux pour la santé, très dangereux : il faut le dire sans aucun tabou et sans trop tourner autour du concept. Il s’agit d’une obligation éducationnelle de prévention, de prophylaxie et de simple bon sens, qui doit, entre autres, imprégner les consciences et les comportements sans aucune revendication abstraite mais plutôt dans une logique de changement des pourcentages actuels. C’est une bataille qui concerne tout le monde et, personnellement, je crois que le temps est venu de lancer une campagne ample et globale, capable de peser en profondeur sur certains racontars ataviques ou sur des traditions insensées qui transforment en tragédie les plaisanteries dignes d’une comédie associées à l’alcool. Les dégâts de l’alcool se manifestent sous forme directe – par différentes pathologies – mais aussi indirecte, tels qu’il se passe avec les victimes, les morts ou les invalides permanents, causés par les accidents de la route. Ce qui entraîne aussi des coûts sociaux énormes dont il faut tenir compte pour une action de contraste sans ambiguïtés. Lève la main qui ne connaît au moins une personne tuée par le vice de la boisson ou qui n’est au courant au moins d’un drame familial causés par l’abus de l’alcool ou par les conséquences dérivant des désastres de la route. Il est bien de le rappeler, sans diaboliser une utilisation raisonnable des 24 boissons alcoolisées mais sans avoir l’air de mine de rien : le phénomène de l’alcoolisme en Vallée d’Aoste est grave et toutes les recherches épidémiologiques, tout comme les maints et tristes événements dont je parlais auparavant, le démontrent avec certitude. Le phénomène frappe tous les âges et désormais, dans une égalité de chances pour tous dont nous ferions volontiers à moins dans ce cas, touche aussi bien les hommes que les femmes. Ceux qui excèdent dans les moralismes, ceux qui ont la main lourde en décrivant des scénarios de catastrophe, ceux qui prêchent un prohibitionnisme excessif n’auront jamais mon appui. Toutefois, il faut condamner aussi certaines attitudes qui sont diamétralement opposées : c’est de la pure stupidité que dire que l’alcool est la preuve de l’appartenance à un groupe, tout comme il arrive dans certaines distorsions et excès de camaraderie aux fêtes des conscrits ou aux fêtes populaires, qui finissent par des états lamentables. Il est par exemple insupportable l’axiome entre grand buveur et esprit de corps des chasseurs alpins : il faudrait par contre valoriser l’élément précieux de cohésion sociale et d’esprit bénévole qui existe dans ce Corps, en chassant la vision caricaturale et qui nuit à l’éducation de « ciuccatone ». Un bon verre de vin ou une chope de bière fraîche, tout comme une petite grappa ou un cocktail colorié, n’ont jamais tué personne et, bien au contraire, permettent un moment de détente, de socialité ou complètent de façon agréable un plat savoureux. Mais tout abus ou toute exagération change totalement les scénarios et les conséquences : c’est un devoir que de le rappeler. septembre La politique à cette époque est un puzzle difficile à rassembler et, si l’on veut travailler au jour le jour et ne pas céder à la tentation de jouer les casseurs, il faut être doué de sang-froid et de patience. Deux traits du caractère qui, heureusement, évoluent avec l’expérience… Parfois il est bien pénible de ramasser les petits morceaux éparpillés pour les mettre les uns à côté des autres, ma je ne vois d’autres alternatives si l’on veut répondre aux obligations dérivant de la politique, qui est un mixte d’idées et d’actions. Il serait inutile de se nourrir de la seule force des espoirs 25 et des utopies si nous n’avions pas les pieds solidement ancrés sur terre. C’est bien là un travail de construction, contre la paralysie, que quelqu’un d’entre nous doit faire – et je crains qu’il ne porte aucune popularité personnelle, parce que, nous le savons très bien, il est plus difficile de construire que de détruire… Mais c’est l’air des temps : dans notre Vallée comme ailleurs, et cela indépendamment des engagements, des programmes, des projets et des qualités personnelles. Qu’est-ce qu’il se passe ? Difficile à dire : et pourtant, en regardant la situation des grandes démocraties aux différents niveaux de gouvernement, un danger imminent – à deux facettes, l’une interne l’autre externe, qui finissent par coïncider – surgit avec clarté. La facette externe est bien visible avec le comique Grillo, qui apparaît à la fois un guru et un maître à penser. On répond aux graves lacunes de la classe politique – et en Italie il y en a vraiment beaucoup – avec un vide pneumatique et suivant la logique des insultes. C’est la conséquence, qui est à l’opposé exact, d’un sentiment d’égarement et d’un caractère querelleur qui empoisonne la politique. Une sorte de virus terrible qui vient de la conviction que désormais les points fondamentaux de la démocratie ne sont que des oripeaux ou des rituels inutiles. Les partis et les mouvements politiques mêmes sont mis en question. Tout cela sent mauvais, voire il pue terriblement. On dirait parfois un déjà vu qui arrive cycliquement dans l’histoire. Une antichambre qui amène droit à un tournant autoritaire. Celui qui le dit reçoit de la part des démagogues et des populistes une réponse qui se répète : c’est la peur de perdre le fauteuil qui vous fait craindre pour la démocratie. Un triste raisonnement qui confirme par contre les préoccupations. L’honnêteté, comme pré-condition à la base de toute activité politique et administrative, ne se discute pas. Il m’est naturel de le redire – comme principe et comme méthode – parce que, même si cette affirmation est tenue pour acquise, je suis dérangé par ce petit vent de calomnie qui frappe aveuglement les représentants de notre Mouvement, y compris le soussigné. Si nous sommes accusés de snobisme, d’intellectualisme, de mauvais caractère ou d’autres aménités de ce genre, cela rentre d’un côté et sort de l’autre. Il ne maquerait plus que les adversaires soient tendres avec nous, surtout ceux qui doivent passer leur temps à expliquer la trahison d’avoir laissé l’UV ! J’estime par contre intolérable, et bien au-delà de toute légitime et âpre critique politique, l’accusation plus ou moins voilée d’être des affairistes ou de cultiver des intérêts privés. Il s’agit d’accusations qui sont, dans certains cas, telle26 ment maladroites et ridicules qu’elles se commentent d’elles-mêmes. Cette histoire – dans sa forme et dans ses contenus – m’indigne et se teint, d’une part, de stupidité ( phénomène assez répandu… ) et, d’autre part – ce qui est bien pire –, de mauvaise foi de la part de ceux qui diffusent des voix incontrôlées ou écrivent des idioties sans motiver leurs attaques. Il s’agit de l’ancienne technique de ceux qui, face à la pauvreté de leurs idées, utilisent la méthode de diaboliser l’ennemi au-delà de la frontière du licite. Sous ce point de vue qu’il soit clair qu’il ne suffit pas que certaines forces politiques distinguent entre la position officielle et la polémique soi-disant personnelle de ceux qui s’expriment en parlant en leur nom. Un distinguo malin qui n’exempte pas des responsabilités politiques collectives. Dans mon cas spécifique, l’honnêteté étant un principe incontournable, tout cela dégoûte et viole certains principes de respect réciproque qui sont à la base de toute coexistence démocratique. Cicéron, avec une veine de stoïcisme, gravait ainsi sa pensée : « Hominem frugi omnia recte facere », c’est-à-dire que l’homme honnête fait tout avec justice. Il me paraît une très belle définition traçant même une ligne en politique et harmonisant tous les comportements. Je voudrais cependant ajouter quelque chose. Même en politique il faut des compétences et des connaissances. Il s’agit d’une activité de plus en plus complexe et le rappel aux grands idéaux vaut seulement s’il correspond à la capacité concrète de savoir les réaliser. En latin, pour en rester sur l’exemple classique, on dit avec une certaine rudesse – et il n’y a pas besoin de traduire – « Si nos coleos haberemus ». Ce qui établit la nécessité d’avoir de la détermination et de l’engagement, à savoir… « coleos ». Sans vouloir offenser les critiqueurs professionnels. Notre histoire – comme je l’ai rappelé tout dernièrement à la Fête de la Vallée d’Aoste – est une extraordinaire stratification de cultures, événements et personnalités dont nous devons être fiers. Un exemple concret réside véritablement dans la place au cœur de notre capitale, Aoste. Place qui est aujourd’hui intitulée à Emile Chanoux : dans mon discours officiel à la cérémonie du 7 septembre j’ai parcouru les étapes les plus significatives de ce lieu physique grâce à l’aide d’une mémoire rédigée par notre Joseph Rivolin, que je tiens à remercier. Les fouilles récentes placées sous les retrouvailles de l’époque romaine, qui ont été réalisées avec grand mérite par les archéologues de la Région, nous ont livré une nouveauté sensationnelle. Les Salasses étaient déjà bien présents dans le centre actuel de la ville, avec des cabanes ou des édifices à caractère religieux remontant aux Ier ou IIème siècles avant J-C., lorsque les Valdôtains étaient une population celte-ligure. Les savants valdôtains du 27 XVIIème siècle ( et notamment Roland Viot et Jean-Claude Mochet ) citaient l’existence d’une capitale des Salasses, ainsi que le lien de ce peuple avec Jupiter, Saturne, Hercule, et d’autres personnages de l’antiquité. Toutefois, déjà la Magna légende Sancti Grati – qui était lue chaque année à l’occasion du 7 septembre à la Cathédrale – parlait d’une ville qui existait avant la fondation d’Augusta Praetoria. Il s’agit d’un ouvrage – en grande partie de pure fantaisie – du chanoine de la cathédrale Jacques des Cours, remontant à la moitié du XIIIème siècle. On y lit que la ville, avant de s’appeler Augusta, s’appelait Cordula ( à savoir « cordelette » ). On ne parle pas des Salasses, car le chanoine Des Cours ne connaissait pas Strabon. Viot et Mochet, qui par contre le connaissaient et écrivaient en français, ont relié cette ville aux Salasses et ils ont traduit littéralement Cordula par Cordelle, successivement transcrite en Cordèle ( De Tillier écrit Cordeles ) et latinisée ( ou italianisée ) en Cordela ou Cordelia ( probablement sous l’influence du nom présumé « celtique » de la fille du roi Lear dans Shakespeare ). Il serait très intéressant de savoir où Des Cours a sorti cette Cordula, étant donné que ses inventions conservent toujours un lien avec l’« historiographie » plus ou moins légendaire connue à ses jours : mais malheureusement à ce stade nous n’en savons pas plus. L’époque romaine et l’invasion faite des Romains sur le territoire de la Vallée sont par contre une certitude : le centre géographique d’Augusta Praetoria est en effet au croisement entre le decumanus maximus et un cardus mineur ( dans le périmètre qu’il y a aujourd’hui entre le café Boch et le bar Sport ). Dans l’espace occupé de nos jours par l’Hôtel de Ville et les écoles il y avait un vaste établissement thermal, ce qui confirme la caractéristique standard de la ville romaine qui prévoyait aussi des moments traditionnels de détente. Au cours du Haut Moyen Age, la zone était probablement libre de toute construction ( à l’exclusion des ruines des thermes ) et était cultivée par les agriculteurs de l’époque. De grandes transformations sont par contre réalisées au cours du Bas Moyen Age : au XIIème siècle, dans la zone Nord du quadrilatère, les ruines des thermes ( coin rue De Sales – rue Hôtel des Etats ) sont occupées par la maison forte de la Roche Copeyse, appartenant au vicomte, qui la tient en fief des chanoines de la Cathédrale. Le côté Sud est appelé Perron, toponyme qui s’étend jusqu’aux enceintes sud, comprenant le priorat de Saint-Bénin. En 1352, les Challant, seigneurs de Fénis, fondent le monastère de Saint-François, en englobant la tour. L’église était située au centre de la place Chanoux actuelle. Dans le réfectoire du couvent avaient lieu les assemblées des Etats généraux et les séances du Conseil de la Ville, présidées par les deux Syndics. Le ru Perron, qui passait sur le côté Est de la place actuelle ( l’axe rue Xavier de Maistre – Ribitel ), marquait la limite entre les deux Municipalités ( Cité et Bourg ) et les deux paroisses ( Saint-Jean et Saint-Laurent ). L’époque moderne est marquée par de grandes décisions : en 1730, le secrétaire de l’Assemblée des Etats et du Conseil des Commis, Jean-Baptiste 28 De Tillier, fait construire l’Hôtel des Etats – le nouveau siège pour les deux organismes – sur le côté Nord de la place. Côté Sud, se définissent les maisons de la noblesse : celle des nobles Cerise, puis passée aux D’Avise et enfin aux Sarriod de La Tour ( Banca Commerciale – Monte dei Paschi ) ; celle des comtes Nicole de Bard, puis des Decoularé de La Fontaine, qui en 1792 accueille Xavier de Maistre ( Café du Centre ) ; celle des nobles Saluard, puis des comtes Savin de Bosses ( Banca San Paolo ) ; celle des barons Gippaz d’Hône ( librairie Brivio et ancien Hôtel Couronne ) ; et celle des nobles Passerin de Brissogne ( bar Sport ). L’époque contemporaine apporte enfin à la place sa conformation actuelle, parce que, après les confiscations napoléoniennes de l’année 1800, la Commune démantèle ce qui restait du couvent et de l’église entre 1835 et 1837, pour construire le nouvel Hôtel de Ville, qui sera prêt en 1839. Le syndic, le Baron Emmanuel Bich, descendant direct de la famille De Tillier, est accusé de mégalomanie par ses adversaires politiques ( les idiots se perpétuent dans le temps… ) en raison des dimensions « excessives » de l’édifice et de la nouvelle place. En 1924, le monument aux morts est construit ( lors de son inauguration le chant « Montagnes Valdôtaines » irrite les fascistes ! ), et la statue de Laurent Cerise – qui occupait le même emplacement – est expulsée et exilée aux jardins publics ( un choix qui engendra dans les années suivantes d’ardentes polémiques ). En 1945, ( d’après ce que Pierre Vietti raconta à l’ami Rivolin ), par un blitz tout à fait pacifique, la Jeunesse Valdôtaine de l’époque remplace les panneaux de la « Piazza Carlo Alberto » avec ceux de la « Place Emile Chanoux » : la Commune en prend acte successivement en officialisant la dénomination en cohérence avec le rôle du martyr valdôtain et l’éclipse de la Maison de Savoie. Voilà l’histoire dont nous devons être les défenseurs et les héritiers, en sachant que les changements ne nous effraient pas, mais nous devons savoir être dignes d’une profondeur si vertigineuse et si importante. La vie est avare de satisfactions avec certaines personnes et elles veulent le démonter à tout le monde, en choisissant un rôle à travers lequel, à la fin, se transformer en victimes. Chocs juvéniles, frustrations de l’adolescence, insuccès scolaires, travaux ingrats, veines de folie : chaque justification peut être indiquée pour chercher de comprendre ce qui pousse ceux qui, au lieu de la dialectique politique et de la juste dose homéopathique de fiel consenti dans la confrontation civile, deviennent méchants. Méchants, c’est le bon mot : méchants dans leurs considérations publiques, dans les articles de journal, dans les potins au bar. Méchants parce qu’ils veulent faire du mal, insinuer des faussetés, tirer des plans sur la comète sur la réputation des personnes. Ces personnages méchants et presque 29 toujours molestes s’affirment apparemment sur la scène et après, petit à petit – au brillant des exordes ( souvent ils sont des jeunes, comme l’on dit, de bon espoir ) – ils remplacent leurs visages avec un masque répétitif et grotesque, marqué souvent par leurs propres insuccès et parfois, malheureusement, par l’alcool, triste compagnon d’aventure qui les rend tristement toujours plus caricaturaux. Ombres d’eux-mêmes, ennuyeux dans leurs accusations insensées, vides de contenus, pour une « agressivité » qui retombe sur eux-mêmes dans une solitude personnelle, ou dans celle d’un petit clan. Tout le monde désormais les connaît : ils sont comme la femme-canon d’un cirque ou les bêtes féroces derrières les barres du zoo. Pauvres diables sans espoirs et sans aucun talent, destinés à palabres déjà connus, souvent à mémoires ou lettres anonymes et au vide pneumatique d’idées à opposer à d’autres idées : le persiflage, l’insulte, la lâcheté sont un vide à perdre qui explose à la fin dans les mains de son auteur. Parmi les choses que j’ai apprises dans la vie politique, il y a le fait que certains personnages s’évaporent, disparaissent, finissent mal. Il faut seulement patienter, et ils seront eux-mêmes les victimes de leur méchanceté et agressivité. Ceux qui les ont utilisés, s’en débarrassent tout comme l’on fait pour une chose inutile, en désavouent la paternité politique et eux, ils finissent pour être toujours plus seuls et délégitimés. Il faudrait faire un pacte et se débarrasser des méchants : les isoler davantage, accepter leur inutilité, établir que ceux qui sortent de la confrontation civile sont étrangers à notre communauté. août Pinuccio était une institution à Verrès, très apprécié dans toute la région et bien connu en dehors de la Vallée pour sa classe et son professionnalisme dans le monde du chant choral. Le chef de chœur Cerutti a dirigé le Chœur de Verrès pendant des décennies : rigoureusement masculin, tout comme je crois doit l’être un chœur de montagne, et avec un niveau de grande excellence. Les chemises vertes du chœur de Verrès – vert comme les écussons des uniformes des chasseurs alpins et sans aucune parentèle avec le vert de la Lega ( question souvent soulevée aux choristes dans toute l’Italie ! ) – sont un exemple de comment la valdôtainneté fait abstraction de ses propres origines : n’importe qui, même parmi les nombreuses identités d’un pays multiethnique comme Verrès, peut décider de se sentir valdôtain et de se reconnaître dans les traditions, telle 30 que celle du chant choral. Cerutti dirigeait avec grande légèreté dans la gestualité de ses mains, en se démontrant soliste de grand effet avec sa voix chaude et avec ce tout petit peu d’histrionisme qui caractérise les artistes de race. Il savait galvaniser ses chanteurs et interpréter le public face à lui. En tant que personne, il pouvait être bourru et à la fois très doux, avec un peu de sarcasme, typique des hommes libres. Le répertoire proposé par le chœur a toujours été très valdôtain –il en était en partie l’auteur, ou l’arrangeur, en prêtant attention au français et au patois – mais enrichi de chants plurilingues, dans un souci nationaliste, parce que la musique est un moyen pour s’exprimer dans sa propre langue, mais aussi pour lier des Continents différents. Dans son magasin de disques et d’instruments de musique, Pinuccio accueillait tous ceux qui voulaient s’approcher de la musique. Je me souviens d’y avoir acheté mes premiers disques, un harmonica à bouche, et une guimbarde, instrument de musique d’origine sicilienne. Je me souviens qu’il m’apprenait, avec patience, à jouer de la guitare, il me dessinait même les notes au dessous des cordes, jusqu’au jour où, avec délicatesse et ironie, il m’a dit « Luciano, laisse tomber, tu n’es pas très enclin… ». Quand, il y a plus de vingt ans, je posai ma candidature pour la première fois aux élections – Pinuccio était un homme encore fort et vigoureux – peut-être naïvement je lui demandai « Vous venez chanter pour moi ? » Il me répondit oui. Le Chœur de Verrès fut alors, et en d’autres circonstances, mon porte-bonheur en politique. Dans les dernières années, Pinuccio vivait dans un monde tout à lui. On me raconte que « son » chœur, dirigé maintenant par un autre chef de chœur incomparable comme Albert Lanièce, un jour a chanté pour les hôtes de la structure pour personnes âgés qui accueillait Pinuccio, et lui, en sortant de son monde solitaire, s’était mis debout en esquissant des gestes, comme s’il était encore en train de diriger. Ce fut comme si la musique, qui avait remplit sa vie, à un certain moment émergeait de nouveau du sombre qui l’enveloppait. Maintenant, si vraiment les anges ont une belle voix, Pinuccio est en train de les instruire avec les merveilleuses sonorités et les mots si expressifs, qu’il était le seul à savoir inventer. Il y a quelques jours, j’étais en voiture, lorsque je me suis retrouvé en- touré de tous les côtés, par une série de Topolino – nom technique de la 500 Fiat A-B et C, selon la série – : il s’agissait évidemment d’un rassemblement d’autos d’époque et non d’un retour au passé ! Topolino : ainsi avait été nommée la petite voiture populaire produite – en rapetissant les formes de la bien connue Balilla – à partir de 1936 ( la même année que la Coccinelle allemande ! ) et jusqu’à 1955, une vingtaine d’années pas du tout banales et pleines de transformations. 31 Ce qui m’a impressionné, à première vue, c’était la petitesse absolue de ces autos du passé : je me souviens très bien, d’ailleurs, le transit des voitures sous l’Arc d’Auguste ainsi que la circulation dans les deux sens sur la rue De Tillier à Aoste et dans tous les centres des villages. Aujourd’hui, les voitures ont une sorte de ruineuse boulimie qui les étend en hauteur, en largeur et en longueur, sans oublier la voracité dans la consommation de carburant. Les autos du passé, bien que dans leur volumétrie réduite, se distinguent par leur personnalité, alors que les modèles actuels sont tous très semblables. Il est incroyable à quel point ce fil rouge de la 500 apparaît et disparaît à partir des années ’30 du siècle dernier jusqu’à nos jours. En 1957, des cendres de la Topolino naissait la Nouvelle 500 qui devait caractériser les 20 années suivantes, elles aussi comblées d’énormes changements. Ceux qui, comme moi, sont nés dans les années ’50, ont grandi avec les différents modèles de la 500, d’abord avec papa et maman, ensuite avec les amis et enfin en la conduisant directement une fois le permis de conduire acquis. Sublime, la conduite avec « doppietta » de la 595 Abarth que mon père vétérinaire utilisait, comme beaucoup d’autres 500 le long des routes de notre Vallée. La 500 affrontait les routes enneigées avec un grand mordant, devenait une spider l’été avec sa capote mobile, était la voiture des premiers baisers… et bien d’autre encore. Aujourd’hui, avec le tout nouveau et hardi modèle, la 500 renaît après bon nombre d’années, suscitant de la curiosité et du divertissement, comme le remake d’un ancien film ou l’arrangement d’une chanson du passé. Personnellement je suis pour la nouvelle voiture, même si des 500 d’antan seulement le nom survit, même si la silhouette des designers propose des clins d’œil qui ont la saveur du déjà-vu et l’horizon européen a déplacé la production en Pologne. Les voitures, phénomène de masse et de costume, représentent désormais le temps qui coule : elles sont des photos et des images du passé tout comme des trouées dans la modernité. La 500 a été la compagne de vie pour différentes générations. juillet Les rêves sont une chose bien étrange. C’est une constatation que tout être humain peut faire puisqu’il en a une connaissance directe. Comment pouvons-nous les définir ? Je dirais : ces histoires – de véritables films dont nous sommes les metteurs en scène et les producteurs – construites dans le 32 sommeil par notre cerveau, surtout la nuit lorsque nous sommes suspendus dans un espace irréel : le repos est peuplé de fantômes créés par notre imagination. Une espèce de vie parallèle à la vie réelle : d’ailleurs Carducci, ce grand poète, en paraphrasant Pindaro, se demande – au moment de sa mort – qu’est-ce que c’est la vie et il répond : « È l’ombra di un sogno fuggente ». Quand je suis fatigué ou stressé, mes rêves, au moment du réveil, disparaissent complètement de ma mémoire, ce qui m’arrive normalement dans la vie malheureusement trop frénétique que je mène ces dernières années. Je rêve, c’est certain – et il n’en pourrait être autrement – mais j’efface tout aussitôt et je ne rappelle plus rien, dieu sait pour quelle forme de refoulement ou d’autodéfense. Seulement après quelques jours de repos – donc quand je suis en vacances – ces rêves bénits réapparaissent et je les retiens tous, brefs ou longs, beaux ou mauvais qu’ils soient. L’été, avec la complicité de la chaleur et du grand air, il y a aussi des rêves qui sont comme des éclairs instantanés et parfois traîtres dans cette torpeur de l’après-midi qui accompagne la chaleur la plus intense. Lorsque j’étais au lycée – et probablement je comprenais bien peu de ce que je lisais – j’avais été vivement impressionné ( aujourd’hui je le suis beaucoup moins par la répétitivité des idées exprimées ) par le père de la psychanalyse, Sigmund Freud, et par son interprétation des rêves. Un cadre compliqué pour expliquer le pont qui existe entre la vie et le rêve, en revenant en arrière dans les années de notre formation et à partir desquelles nous bâtissons l’ossature de ce que nous serons dans notre âge d’adulte. Aujourd’hui je préfère davantage penser à la bonté de la phrase de Fernando Pessoa, lorsqu’il dit : « Un bon rêveur ne se réveille pas ». Ce qui me paraît une belle clé de lecture : espérer que les rêves, lorsqu’ils incarnent des espoirs, ne soient pas confinés dans les yeux fermés mais qu’ils orientent – tout comme des choses à faire et à réaliser – l’action politique quotidienne. Il serait bien triste, voire improductif, si notre travail quotidien n’était pas parsemé par des sursauts d’avenir, des rêves les yeux ouverts, des points d’arrivée tellement difficiles qu’ils paraissent des rêves. Comme une porte secrète dans la vie de tous les jours qui sert à éviter la répétitivité et la banalisation et nous distingue des robots, et nous pousse à avoir des élans plus forts et plus intéressants. La rationalité contre-balancée et chauffée par les émotions. Corrado Gex avait vu loin. Sa passion pour le vol aérien – qui malheureuse- ment lui coûta la vie – lui avait permis, il y a 50 ans, d’entrevoir l’utilité d’avoir un aéroport régional bien structuré ainsi que l’utilisation innovante d’avions et d’hélicoptères pour le vol en montagne. Il s’agissait d’intuitions parce que, 33 au cours de ce demi-siècle, il y a eu un développement énorme surtout dans le domaine du transport aérien et même au-delà des attentes par rapport à la structure de cette époque, où seuls les vols de tourisme étaient les protagonistes. Dans les années soixante, personne n’aurait pu imaginer, à l’instar de ce qui se passe aujourd’hui, un vol quotidien régulier entre Aoste et Rome ou des sauvetages en hélicoptère en toute sécurité sur les sommets les plus hauts de notre Vallée. Mais surtout, personne n’aurait jamais osé penser que la procédure de vol contrôlé par contact radio sur l’aéroport, l’éclairage que nous avons déjà réalisé, l’allongement – dans de brefs délais – de la piste à 1500 mètres, tout en ayant prévu une série de mesures pour l’approche à la piste en raison de l’orographie particulière, auraient permis à des avions de différent genre d’atterrir au milieu de nos montagnes. Voilà pourquoi je regrette que ce dossier, que j’ai suivi au cours de ces dernières années en le ressortant d’une sorte de marais où il avait été enseveli, soit périodiquement la victime du hachoir de la politique. Un hachoir qui n’est pas détestable par lui-même, mais qui le devient lorsque – tout comme il se passe souvent au sein du Conseil de la Vallée – on affirme la critique gratuite, le côté superficiel, la banalisation de thèmes sérieux. Parmi les conseillers d’opposition on en trouve qui interviennent avec de longs prêchiprêcha sur des arguments qu’ils ne connaissent pas et qu’ils n’ont jamais étudié en profondeur. Ce qui est important, c’est la simple polémique, la recherche du sensationnel, la démagogie contre tout choix raisonné. Pour certains conseillers de l’opposition, les interrogations et les questions en assemblée ne sont pas les instruments pour acquérir des nouvelles ou des informations : ce qui compte, c’est l’étalage verbal, l’avilissement du travail des autres, voire la politique des insultes. Ceux qui comparent l’aéroport à la « cathédrale au milieu du désert » ne saisissent pas deux points essentiels. En premier lieu, dans le système de la protection civile, l’aéroport est un tasseau incontournable et donc une escale bien équipée est une garantie de sécurité. En deuxième lieu, le tourisme du futur passera de plus en plus par l’utilisation des avions et, sans cacher certaines limites structurelles que nous ne pourrons jamais enlever ( les avions de grandes tailles ne pourront jamais atterrir ), l’aéroport est une chance de plus, surtout pour attirer les charters de touristes des quatre coins de l’Europe. On ne trouve nulle part dans les Alpes une telle proximité entre l’aéroport et les stations touristiques. Nous espérons que la crise de l’Air Vallée, qui garantit la liaison avec Rome et qui est partenaire de la Région dans la société de gestion de l’aéroport, soit dépassée par une nouvelle propriété. Le futur de la compagnie aérienne et de ses employés nous tient à cœur : mais cette crise ne change pas la bonté du projet pour un nouvel aéroport qui reste solidement dans les mains de la Région. 34 D ans la vie d’une personne, vingt années représentent-elles beaucoup ou peu de temps ? Sincèrement, si l’on réfléchit au fait que de la naissance à la mort le destin ne nous appartient jamais, je crois qu’il faut penser au moment de l’existence auquel on situe ces vingt ans, et ce n’est tout à fait pas la même chose, si on les affronte à un âge plutôt qu’à un autre ! Si je devais – dans un bilan au vu et au su de tout le monde – parler de ma vie, je dirais que les premiers vingt ans ont été, évidemment, ceux de l’enfance et de la formation ( même si, par choix, j’ai obtenu ma maîtrise après être devenu journaliste, ce qui était l’objectif poursuivi ). Et en effet, une dizaine d’années ou un peu moins, ceux immédiatement après, je les ai consacrés à ce travail : la fièvre du journalisme, l’envie de raconter des événements et des histoires, convaincu comme je suis, qu’il y a dans le journalisme une partie de devoir d’utilité publique très élevée. A latere, j’ai soutenu les examens universitaires, en obtenant une maîtrise, et il me reste seulement la thèse de fin d’études pour la deuxième ( quand je pourrai, je la rédigerai ). Improvise et inattendue, au printemps 1987, la politique est arrivée. Non pas que j’en étais immune, pour des évidentes raisons de famille. J’avais milité dans la Jeunesse et j’étais inscrit à l’Union Valdôtaine et j’avais suivi avec beaucoup d’intérêt certaines grandes batailles civiles de ces années radicales. De toute façon, je pensais que mon parcours était celui du journalisme, mais je me trouvais à être candidat pour les élections politiques du mois de juin 1987. C’est à ce moment que les deux décennies qui portent tout droit jusqu’à aujourd’hui ont commencé, et après ces élections encore trois pour Rome ont suivi : 1992, 1994 et 1996. Ensuite, en 2000 j’entrais au Parlement européen et en 2003 la bien connue candidature aux régionales. Aujourd’hui, après vingt ans de politique, le bilan pour moi est positif, même si ce n’est pas à moi de me donner une note sur le « carnet scolaire » ni d’exprimer des évaluations positives ou négatives. Je me suis engagé le plus possible, je n’ai jamais arrêté d’étudier, et si je me suis trompé, je l’ai fait en bonne foi et avec un viatique dont je ne peu pas me démentir : l’honnêteté. Dans les nombreux messages de félicitations et de sympathie qui m’arrivent dans ces heures, on me souhaite encore vingt ans d’heureuse activité politique. Je les remercie avec le cœur ( même si avec quelques conjurations ), mais je pense que la sérénité de ces vingt ans découle de la considération que la politique est une activité qu’il faut vivre pleinement, toujours en tenant compte – surtout en raison de la juste guillotine du jugement populaire qui s’exprime à travers le vote – que ce n’est jamais quelque chose de définitif, mais que l’on y est prêtés pour une certaine période et il serait donc risqué de faire trop de prévisions pour le futur. Je pense que le thème important sont les satisfactions qui dérivent d’un travail bien fait et avec engagement, en sachant à quel point est fatigante la scène de la politique, où l’on doit soutenir souvent 35 des collisions féroces et des polémiques inutiles mais pénibles. Le jour où la politique devient une sorte de cage qui limite la liberté d’action en réduisant les gens – comme des pauvres chimpanzés dans les zoos – à des gestes terriblement répétitifs et aliénants, alors il vaut mieux faire autre chose. Aux amis, et surtout aux ennemis, j’annonce que pour le moment je ne me sens pas dans une cage et sans croire à qui sait quels horizons futurs – si Dieu le veut et si la santé me soutient – je me sens encore suffisamment éveillé pour affronter de nouvelles luttes et me fixer de nouveaux projets. Je pense que le parcours de modernisation de la Vallée est à peine commencé et les batailles à combattre ne permettent ni des paresses ni des préretraites. L’histoire du bouquetin blanc est bien bizarre et elle est instructive de la façon dont on peut voir la Nature selon les différents points d’observation. L’événement est désormais hyper connu : une femelle de bouquetin dans le vallon des Laures au-dessus de Brissogne accouche d’un petit albinos, un cas rare que la littérature scientifique n’avait jusqu’à présent mentionné. Il y a une année de cela, le fait avait été déjà observé par les chasseurs de la zone et par les gardes forestiers, qui ont entre autres une petite guérite très belle sur les rives du premier des trois lacs d’un vallon d’extraordinaire beauté, dans l’un des poumons verts de notre Vallée, aux marges du tourisme de masse. Durant l’hiver l’animal disparaît, c’est probablement son albinisme qui le rend plus fragile face à la clarté aveuglante de la neige qui enveloppe la haute montagne et qui gêne ses yeux rendus délicats par la pathologie. Le dégel nous redonne la certitude que le petit bouquetin est vivant et soigné par sa mère, ce dont j’ai pu me rendre compte en première personne avec une sincère émotion. La décision de médiatiser la découverte, choisissant le dimanche pour la dévoiler, lorsque pour les journalistes la faim de nouvelles intéressantes est plus ample qu’au courant de la semaine, naît de la conscience que tout ce qui apparaît comme extraordinaire dans le monde animal intrigue les êtres humains depuis la nuit des temps. Et il est juste qu’il en soit ainsi : seulement la conception déformée des intégristes de l’environnement peut considérer l’homme comme un élément étranger à la Nature, dont, par contre, il fait partie légitimement. Les animaux albinos, avec leur manteau blanc, ont toujours été enveloppés par une auréole de magie et de charme. Ainsi le bouquetin blanc – repris par cet opérateur de la RAI, doué, capable et… chasseur qu’est Luciano Joris ( issu d’une ancienne famille valdôtaine vouée à l’activité de la chasse depuis des générations ) – est devenu une authentique star des télés du monde entier, paraissant aussi dans nombre d’articles de journaux. Ma fille Eugénie, émue de le voir avec ses jumelles lorsqu’il se reposait dans une 36 vire d’un rocher à quelques mètres de la paroi est du Mont Emilius – cette montagne qui est un culte pour les Valdôtains – l’a baptisé « Flocon de neige », le transposant de la petite chèvre blanche de Heidi. Ce qui apparaît singulier dans cette histoire, c’est comment une maladie rare peut rendre double le destin du bouquetin blanc. Pour nous les humains, ce manteau candide est une exception extraordinaire qui le rend unique et admirable, voire un objet ayant une tutelle particulière ( ce seront les gardes forestiers qui veilleront sur lui grâce à leur grand professionnalisme, même s’il paraît que, selon les légendes, de terribles sortilèges frapperaient les braconniers imprévoyants qui voudraient l’abattre ! ). Pour les bouquetins, par contre, le prodige est une sorte de handicap qui rend la mère plus protectrice et le troupeau méfiant et cela pourrait aussi rendre difficile la vie sociale de Flocon de neige ( y compris la possibilité de courtiser les femelles et par conséquent la capacité de se reproduire ). Admiré par les hommes, isolé par ses semblables : une histoire vraiment singulière. juin Le monde est un ensemble de variétés extraordinaires et de multiples différences. Il faudrait avoir le temps et l’argent pour le parcourir d’un bout à l’autre ! Voilà pourquoi j’estime que cette bénite Planète doit être défendue et sauvegardée et que l’Humanité doit avoir pour ce faire une grande responsabilité. Humanité qui vit aujourd’hui, dans la profonde différence de ressources à disposition de chacun et l’inéquitable distribution de la démocratie, l’un des drames qui empêche un développement équitable et harmonieux. Nous devons y réfléchir tous les jours, en regardant aux générations futures et aux responsabilités du présent, pour tout ce que – dans le bien et dans le mal – nous leurs léguerons. Il est donc fort utile que l’héritage ne soit pas un désastre ! La grande dimension, la politique planétaire et la vision mondiale sont importantes mais elles n’ont pas l’exclusivité. Sans quoi nous serions à la merci des grands Etats, des tentaculaires accords internationaux, des grands intérêts des multinationales. Voilà pourquoi, quoique petits face aux dimensions gigantesques, nous devons faire entendre notre voix et la faire retentir, si possible, au-delà de notre taille minuscule. C’est ce que nous sommes qui vaut : nos traits distinctifs 37 et particuliers, notre désir de faire et d’être reconnus, tout en étant conscient de notre petite échelle, là où nous pouvons dire la nôtre. Pour cette raison j’ai fortement voulu un accord avec la FAO, l’organisation internationale ayant son siège à Rome, avec laquelle j’ai commencé à travailler en 2002 à l’occasion de l’Année internationale des montagnes. En reprenant notre action positive en matière de coopération décentralisée dans différents Pays tels que le Népal, l’Equateur ou le Tibet, le pilier de cette entente réside dans l’idée de travailler en faveur des territoires de montagne du monde entier. Le texte de l’accord le rappelle : « Dans la Région autonome Vallée d’Aoste, avec un territoire de montagne à 100%, la population a acquis une remarquable expérience et connaissance en matière de promotion du développement dans le respect de l’environnement fragile de la montagne ». En citant aussi l’expérience du passé : « La Région autonome Vallée d’Aoste a été non seulement concernée dans les célébrations de l’Année internationale des montagnes en 2002, mais elle a joué un rôle moteur au niveau international en représentant un modèle pour les autres pays ». Et encore : « La Région autonome Vallée d’Aoste encourage une série d’activités visant l’information et la sensibilisation sur la question de l’importance des montagnes pour l’équilibre de l’écosystème mondial ainsi que pour la promotion du développement des montagnes dans le monde. Tout particulièrement, la Région a toujours célébré la Journée internationale de la Montagne en organisant des événements publics de haut niveau. » D’autres précisions figurent dans l’accord : « La Région autonome Vallée d’Aoste participe aussi aux activités organisées par la Convention des Alpes en tant que régions chef de file du groupe italien de la Conférence Etat-Régions de l’Arc alpin et, dans le cadre italien et européen, elle joue un rôle important dans la promotion du développement des montagnes en orientant l’attention politique vers les nécessités de l’environnement et des communautés montagnardes. » D’ici le choix de l’accord-cadre : « La Région autonome Vallée d’Aoste et la FAO, sous l’impulsion d’idéaux communs, désirent entreprendre et développer un rapport de collaboration dans le cadre des principes de la coopération décentralisée avec l’objectif de réaliser des initiatives destinées au développement durable notamment dans les zones de montagne, afin de promouvoir la sécurité alimentaire, déraciner la pauvreté et la marginalisation sociale, assurer le développement économique et la promotion de lois et de politiques spécifiques aux aires de montagne. » Ce pont avec la FAO, si nous serons en mesure de le garder en vie, peut représenter une belle opportunité pour la visibilité internationale de la Vallée d’Aoste. 38 Il faut rêver. Cet impératif catégorique, qui est pour moi encore valable comme produit épanoui des expériences du passé, nous fait remonter le temps jusqu’aux sources de nombreuses espérances. Je pense aux optimistes de la famille, qui nous apprenaient à chevaucher avec engagement et sans bougonner les problèmes les plus compliqués. Un viatique très utile pour notre existence : j’ai sincèrement admiré ceux qui, même face à la malchance et aux injustices, ont su conserver leur sérénité vis-à-vis du futur. Tout comme j’admirais les amis avec lesquels je partageais des rêves colorés par la multitude d’attentes positives. Depuis notre enfance, une étincelle de plus dans les yeux caractérisait celui qui regardait ambitieusement au-delà de l’horizon de celui qui posait son regard seulement sur la pointe de ses pieds. Et je me réfère aussi à ces enseignants qui, du haut de leur pupitre, nous incitaient à croire dans nos énergies, surtout à une époque – je me réfère à l’adolescence – où il était difficile de distinguer, dans notre ventre bien avant que dans notre cerveau, le mélange d’émotions, d’idées, d’enthousiasmes, d’illusions. Aujourd’hui cet état d’âme bien disposé sert aussi à l’âge adulte, lorsque la rudesse du quotidien risque d’endurcir même le cœur le plus rempli d’utopies. Ce « monde qui n’existe pas », qui n’est pas le monde imaginaire de Harry Potter ou de Peter Pan, mais ce monde – le nôtre – qui se transforme d’époque en époque dans les mêmes lieux, et dont l’utopie est l’aliment qui permet de se fixer un objectif tellement difficile à réaliser qu’il apparaît comme irréel. Pensons à toutes ces étapes que nous avons franchies grâce à cette barre apparemment trop haute: mais qui a démontré, au fil du temps, ne pas être une limite parce que nous avons, tôt ou tard, réussi à l’atteindre. Le darwinisme appliqué à l’humanité a fait des dégâts – avec les phantasmes positivistes du classement entre les races humaines ( dont les génétistes ont enfin détruit certaines velléités ) – mais il peut avoir un visage positif à l’égard de cette idée, à prendre avec prudence, d’un progrès qui est un défi pour les êtres humains. Le fait de parcourir un chemin, une étape après l’autre, donne le sens d’une ligne d’arrivée mobile, qui se déplace toujours un peu plus audelà. Un but mobile exactement comme dans le paradoxe le plus connu de Zénon, celui d’Achille et de la tortue. Si Achille ( autrement dit « Achille aux pieds rapides » ) acceptait de challenger une tortue à la course et s’il accordait à la tortue une certaine avance, il ne pourrait jamais rattraper la tortue car Achille devrait d’abord atteindre le point occupé précédemment par la tortue qui, entre temps, aurait avancé encore plus loin, en atteignant un nouveau point qui lui permettrait d’avoir encore un certain avantage. Efforçons-nous donc de transmettre à nos enfants cette capacité de rêver. C’est un antidote contre cette grisaille d’âme et ce mal de vivre qui empoisonne tant de gens. Chaque jour il nous arrive de rencontrer ce genre de personnes, souvent irritées ou renfermées dans la cage de leurs insatisfactions. Elles ont cessé de rêver. 39 Q uelle attitude faut-il avoir dans le rapport entre la dimension publique et les aspects privés de la vie des personnes ? Le thème remonte à la nuit des temps, mais les nouvelles technologies, tels que l’Internet ou les chaînes par SMS, rendent l’information encore plus capillaire et parfois moins soignée dans la recherche des sources et des faits qui se sont réellement passés – pensons par exemple à l’absence de scrupules des blogs et à la superficialité permise par l’anonymat. Ainsi la vicissitude toute récente d’un curé valdôtain, qui a été rendue publique par la presse, est tout à fait significative : le choix – établi de commun accord ou imposé, peu importe – d’une année sabbatique dans l’activité de direction de la paroisse a eu comme explication, d’après les journaux, la naissance d’une petite fille, il y a trois ans, à partir d’une relation amoureuse. La nouvelle, dont le fondement est en vérité indéterminé, a fait la une des journaux et a eu une vaste diffusion. L’opinion publique est partagée entre ceux qui signalent une dérive d’un journalisme potinier et intrusif de l’intimité et ceux qui par contre pensent que la nouvelle en soi existe, s’agissant quand même d’un fait extraordinaire que celui d’un prêtre qui viole ses droits, tels que celui de la chasteté et, par conséquent, de la paternité. Il est légitime que chacun de nous manifeste ses positions par rapport au sujet en question. En parlant avec les gens j’ai saisi différents points de vue : ceux qui signalent l’obligation de l’action de la hiérarchie ecclésiastique, ceux qui estiment que cet épisode fait ressurgir le vieux thème du mariage pour les prêtres, ceux qui pensent que la nouvelle aurait pu être diffusée avec plus d’attention pour les sentiments des personnes concernées. La double casquette de journaliste et de personne jouant un rôle public m’impose de penser que cette question délicate réside justement dans l’équilibre entre les droits de l’information et le respect des personnes. Public et privé finissent par devenir les côtés problématiques de la même médaille. Il est juste et nécessaire que ceux qui ont un rôle public soient transparents et visibles dans leurs comportements. Mais qu’il soit clair, il existe des problèmes personnels et familiaux qui demandent à être manœuvrés avec soin et circonspection. Il faut que, cas par cas, le journaliste arrive à équilibrer les exigences opposées afin d’éviter que certaines intrusions dans la sphère la plus intime et privée finissent par créer des gênes, des difficultés, voire de la douleur. Exposer quelqu’un à la risée publique peut assumer les caractéristiques d’un procès sommaire, une sorte de pilori médiatique, alors que le bon sens coïncide avec le sens de la mesure et avec les règles élémentaires de la politesse et du respect envers les autres. Je crains que dans le cas du curé valdôtain il n’y a eu ni l’un ni l’autre et pour cela, s’il peut compter quelque chose, je suis solidaire avec lui. 40 « Montagne » est un terme universel, qui – pour nous, les Valdôtains – représente la quotidienneté et on a donc la tendance à tenir pour acquis un tas de choses. Vies vécues, familiarités rassurantes, anciens mythes, traditions solides : la synthèse qui en dérive – civilisation montagnarde rondebosse – est fondée de façon certaine, mais il faut avoir la conscience du débat plus ample qui est en train de se développer autour de nous. Etre dynamique signifie éviter de tomber dans la tentation de la paralyse au nom d’une pure conservation. La particularité des territoires et les politiques qui en découlent pour leur développement est une nouveauté de ces dernières années, et il faut être réactif face à une formulation de source européenne qui rend les actions encore plus cohérentes avec les nécessités. Cela est différent de la vision traditionnellement aveugle face aux diversités dérivant des différences géographiques de ce rouleau compresseur qu’a toujours été l’Etat nation, où tout est égal dans une vision illogique et pour rien respectueuse du principe d’égalité, qui prévoit des conditions différenciées pour rétablir le même traitement et placer tout le monde au même niveau avec les même chances. L’Autonomie spéciale de la Vallée est, entre autre, un binôme peuple valdôtain – territoire montagneux qui accompagne au particularisme linguistique la singularité culturelle de communauté alpine dans un spécifique périmètre situé dans un contexte historique à travers les millénaires. C’est vrai que chacun utilise le mot montagne selon sa propre latitude. Il y a quelques jours, le chef de la délégation d’une île de l’Estonie en visite en Vallée me racontait que leur montagne est haute 300 mètres, ce qui est un discret bond respect aux 59 mètres d’altitude moyenne… L’exemple pourrait se répéter à l’infini et pour chaque Continent. En Italie, même Monte Citorio, qui est aujourd’hui le siège de la Chambre des députés et rien d’autre qu’une modeste montée, est apparu aux yeux des Romains digne d’être une… montagne, tout comme cela arrive pour Montmartre à Paris. A l’intérieur des nombreuses et changeantes conditions de notre planète, mais surtout au-dessus d’une certaine altitude et avec d’autres caractéristiques, la montagne, c’est la montagne. Un thème qui n’a rien de banal et qui a été au centre des débats en Italie avec la découverte – même de la part du Président de Confindustria Luca Cordero di Montezemolo – qu’une partie du périmètre des communautés de montagne est ridicule et gaspilleur. Le thème de la montagne fausse, située, sans aucun sens du ridicule, à la plaine ou sur la mer est en vérité bien connue depuis des décennies en Italie. Avec un grand absent : le montagnard et, le grand perdant, la vraie montagne ! Je crois qu’il s’agit d’un thème crucial, à côté d’un système solide de classement, distinguant le côté sérieux du problème et sauvegardant la montagne des Alpes, des Apennins, les îles et 41 les volcans. Pour parler enfin de la véritable Cendrillon italienne : la haute montagne, à laquelle nous appartenons solidement et certainement. Autour de ces principes il est possible de créer des réseaux de solidarité. mai En 1977 je venais d’atteindre l’âge de la majorité. Le temps passé, bien qu’imbibé de nostalgie pour la jeunesse révolue, ne peut pas cacher certains aspects problématiques de ces années-là. Je peux dire en particulier que, soit à l’école soit par le biais d’amitiés et de connaissances de l’époque, j’ai assisté de près au mouvement de 1977, qui avait rempli les rues et les places. Une protestation vivace et forte, qui a pris par la suite un mauvais plis dans la foulée d’un phénomène, celui du terrorisme de droite et de gauche, qui a sévi l’Italie des années ’70 avec des bombes dans les rues, dans les trains et dans les gares et avec beaucoup d’assassinats politiques. Il s’agissait d’un humus politique et social embrouillé – qui a été rapporté par de nombreux livres parus à l’occasion du trentième anniversaire – qui a entraîné le phénomène très grave du terrorisme, imprégné du sang de nombreuses personnes innocentes. Je conseille aux jeunes de s’informer, de s’intéresser, s’agissant d’une histoire qui ne paraît pas encore dans les livres scolaires en raison du choix bien connu de garder l’histoire contemporaine à une certaine distance des décennies les plus proches, comme s’il y avait quelque chose de mal… « Kossiga boia », du nom du Ministre de l’Intérieur de ce temps-là, était un slogan parsemé de haine, qui était écrit à la main sur les murs de l’Italie tout entière et qui a marqué le climat dramatique de cette époque. Je me souviens très bien des articles de Giampaolo Pansa qui exhortait la Gauche à prendre les distances des violents et des éversifs contre la logique débonnaire de ceux qui, trop nombreux, parlaient de « compagni che sbagliano ». L’existence d’extrémismes opposés était contestée par certains intellos soi-disant progressistes qui acquittaient au préalable l’aire de la gauche que l’on définissait alors d’extraparlementaire. Un acquittement dénué de logique et de sens : le journaliste avait raison et il avait été clairvoyant ( encore aujourd’hui il a repris ce même thème ! ) en jugeant les comportements indulgents comme trompeurs et susceptibles de créer une complicité désastreuse. Malheureusement, la violence se déchaîna laissant derrière elle une foulée de crimes 42 faits au nom des Brigades rouges et d’autres groupes éversifs, qui a démenti les optimistes et ceux qui n’avaient pas voulu voir la réalité d’une lutte armée criminelle et sanguinaire. Voilà pourquoi l’inscription « Caveri boia », à deux pas du Palais régional, m’a fait horreur et m’a dégoûté. On ne sait pas si ce jeune stupide ayant écrit cette bêtise si lourde et offensive, qui va au-delà de la gaminerie, sera un jour attrapé. On aurait en effet envie de régler la question, si l’auteur devait être découvert, en lui passant un savon et en lui donnant une leçon salutaire d’histoire avec l’obligation de lire un bon livre sur la démocratie ou contre l’utilisation de la violence. Bien différent devrait être par contre le traitement réservé aux inspirateurs de l’acte, ceux qui ont armé le spray qui a sali avec un graffiti le mur d’une maison. Dans les années ’70, les « mauvais maîtres » ont fait des désastres et ont gâché la vie d’un tas de jeunes, qui sont allés en prison pour des crimes commis au nom d’un communisme grotesque dont ils étaient porteurs. Voilà pourquoi certains piètres « mauvais maîtres » de nos jours, disponibles à tout pour une poignée de voix et en dépit de la cuisante défaite de certaines idéologies, devraient être éloignés des jeunes : ils leur font du mal et sèment une violence nuisible et inutile. Dans le fond ce « Caveri boia », dont j’ai gardé la photo, finit par être – dans une certaine lecture historique – une sorte de médaille. Le silence est chose rare, de plus en plus rare. C’est une sorte de bien de luxe, effet d’un monde de plus en plus bruyant. Le point culminant de cette situation est représenté par les sonneries des portables ou par le petit bruit annonçant l’arrivée d’un sms. Une sorte d’invasion de sauterelles dans la vie quotidienne, qui n’épargne personne : même le curé de l’autel recommande d’éteindre les portables, tout comme au théâtre ou à un concert de musique classique on nous demande de le faire. Etre bruyant veut dire, dans nombre de cas, être impoli. Et le silence est souvent un privilège comme l’oasis dans un désert. Des chaînes d’hôtel même ont été créées signalant, comme caractéristique de prestige, le silence, s’opposant ainsi à l’agression quotidienne à laquelle nos pauvres oreilles sont soumises. Je crois que nous, en Vallée d’Aoste, nous devrions en profiter. Il s’agit de quelque chose dont nous abondons. Fermez les yeux et songez. Un alpage, un pré, du relax : les sonnailles des vaches paraissent un carillon. Un sommet, un panorama, la paix avec soi-même : la bise est imperceptible comme une note de musique. Un bois, des parfums, un plein d’énergie : le sous-bois croque comme le papier d’un bonbon. La cheminée, le canapé, la chaleur : le bois crépite alors que le feu brûle. Nous devrions confectionner autour de ces thèmes une série de séjours touristiques… 43 Le silence vaut aussi bien dans les rapports interpersonnels et c’est une façon de communiquer entre les êtres humains. Nous pouvons nous parler avec les yeux, avec un mouvement de la main, avec la complicité de la proximité. Le silence – pensons au sacrifice d’Emile Chanoux – prend une dimension héroïque. Avec Max-Pol Fouchet : « Pour que demeure le secret, nous tairons jusqu’au silence ». Se taire signifie parfois avoir du respect pour l’autorité, comme aux temps de l’école ; c’est un moment de réflexion, assis sur le banc d’une église ; c’est du respect pour ceux qui nous ont quittés ( une minute de silence ) ou un dîner à la lueur d’une bougie où ce sont les cœurs qui parlent ; c’est un besoin de se reposer. Il m’arrive, après une journée de rencontres et de réunions, de savourer la dimension privée et personnelle du silence comme occasion pour récupérer mes forces. Cette duplicité entre le silence de la nature et le silence entre les personnes peut aussi alimenter le long débat entre ceux qui veulent les montagnes avec et ceux qui les veulent sans. Avec ou sans hommes, dans la perception erronée de ceux qui estiment que la Nature – avec un grand N – est une entité séparée de l’être humain et que sa présence dérange les équilibres de la Terre. « Anthropisation » est un mot grossier, utilisé avec un certain dégoût. Une culture qui arrive tout droit de l’extrême droite, aux racines profondes et inquiétantes, qui a parsemé son propre pollen à différentes latitudes politiques et qui joue une charge de cavalerie wagnérienne qui exalte, amplifie, résonne et, enfin, effraie. Parce que le silence, surtout s’il est opposé à certaines violences verbales qui caractérisent les rapports sociaux et politiques, est sûrement muet, mais il est aussi – et il ne s’agit pas d’un paradoxe – un écho courtois de notre façon d’être en harmonie avec ce monde auquel, légitimement, nous appartenons. L’ Union européenne d’aujourd’hui est très différente du « bébé » qui a vu le jour il y a 50 ans à Rome, avec un accouchement décennal qui trouve ses racines dans les réflexions des pères fondateurs de l’idée fédéraliste européenne ( Colorni, Rossi et Spinelli, mais aussi Einaudi et la « compagnie » de la Déclaration de Chivasso ), transformée en projet politique et en accomplissement institutionnel. L’UE a grandi, en dimension, en influence, en importance. L’Europe est présente dans la vie quotidienne de chacun de nous, mais ce quotidien acquis ne peut et ne doit faire oublier l’élan idéal qui avait allumé le moteur de l’unification européenne il y a 50 ans. Un moteur qui fut animé par une étincelle semblable à celle qui donna le feu vert, ces années mêmes, à la reconnaissance institutionnelle de l’autonomie valdôtaine. En effet, d’après une première analyse du courant européiste et de l’autonomie valdôtaine 44 contemporaine, un parcours parallèle surgit avec clarté. Un parcours qui s’est développé à partir de la deuxième guerre mondiale jusqu’à nos jours, nourri par un humus commun qui est celui de la pensée fédéraliste. L’infiniment grand et l’infiniment petit qui, dans les espérances fédéralistes, devraient pouvoir coexister et s’intégrer grâce à une souveraineté répandue et multicouche, imprégnée de la notion de subsidiarité qui est l’un des éléments indissociables du fédéralisme. Un aperçu prophétique est représenté par ce « message en bouteille » qu’est la Déclaration de Chivasso, première véritable expérience fédéraliste, parce que organisée autour de véritables mouvements fédéralistes qui ont participé à la lutte contre le nazi-fascisme avec une physionomie politique autonome. C’était l’année 1943, les Valdôtains et les Vaudois voyaient dans le régime cantonal, pour les petits peuples des Alpes dans un contexte européen, un antidote au jacobinisme des Etats-nations et à leur nationalisme ancien, porteur des dictatures du XXe siècle, auquel on contre-opposait un Etat régionaliste respectueux des minorités linguistiques. Ce parallélisme n’a rien de fortuit : l’Europe était, et peut encore l’être, une occasion pour « démonter » ces formes limitées de concession d’autonomie de la part des vieux Etats nationaux et pour avancer vers une « recomposition » libre et respectueuse des peuples et des communautés. Ce qui aujourd’hui paraît un souhait, demain pourra être lu comme un projet politique concret. Le fédéralisme apparaît sous cet angle comme un projet, un ensemble d’idées, un instrument constitutionnel, une façon de vivre pour notre communauté et pour sa projection en Europe. C’est au monde politique qu’il reviendra de tenir le cap, sur une mer qui se fait de plus en plus agitée. Mais ne vous laissez pas induire en erreur par cette métaphore marine : nous sommes et serons toujours un pays de montagne et aucun changement climatique, aussi radical soit-il, ne pourra altérer cette réalité. Les diverses facettes de notre âme et nos multiples caractéristiques doivent ouvertement prendre place dans l’Europe des diversités. « L’Europe – écrivait Passerin d’Entrèves – est notre patrie […] et l’amour que nous lui portons n’exclut pas, bien au contraire il enrichit ce que nous ressentons pour ce coin de terre où nous sommes nés ». Il faut lutter contre tout projet macro-régional, contre toute tentative de se défaire des plus petits, contre une économie d’échelle qui agit comme une nivelle détruisant les peuples et les identités. Il faut lutter pour affirmer une solution raisonnable pour la Vallée d’Aoste et non seulement. Ce parallélisme ne s’arrête pas aux années de l’après-guerre, il est encore bien réel et sans aucune exagération : il est intéressant de voir le choix tout récent du Conseil de la Vallée de récrire le Statut d’autonomie par le biais de la Convention, en évoquant ainsi le processus d’élaboration du Traité constitutionnel européen amorcé avec le Traité de Nice de l’an 2000 et qui s’est par la suite empêtré entre les référendums contraires de la France et des 45 Pays-Bas ainsi qu’un scepticisme larvé. La nouvelle Constitution régionale des Valdôtains, quels que soient les choix qui seront faits, devra certainement innover en profondeur l’une des limites du système valdôtain en vigueur : le Statut ne considère pas la dimension communautaire dans le texte actuel, même si l’autonomie dans le quotidien de l’administration et dans les choix politiques et programmatiques a dû tenir compte en mesure croissante du rôle, des pouvoirs, des fonctions et des compétences des institutions communautaires. La dimension européenne, dans un crescendo constant et continu, représente un défi tout à fait nouveau pour l’autonomie spéciale de la Vallée d’Aoste. Un défi que nous avons recueilli et auquel nous avons fait face en pleine conscience avec l’approbation de la loi sur l’Europe. Ayant été approuvé le 3 mars 1947, à savoir dix ans avant la naissance de la Communauté économique européenne, le Statut d’autonomie de la Vallée est de toute évidence dépourvu de références aux institutions communautaires. La loi régionale en question constitue donc un passage significatif, qui donne une réponse concrète à l’irruption de l’Europe dans la scène valdôtaine : de la participation à la phase ascendante du processus décisionnel communautaire – à l’intérieur duquel le Bureau de la Région à Bruxelles acquiert une valeur stratégique – au rôle de la Région dans la phase descendante, avec l’adoption d’une véritable loi communautaire, dont nous avons eu cette année la première approbation. Le thème du Traité constitutionnel ne peut être éludé, tout en reconnaissant les limites intrinsèques et les difficultés contingentes qu’il a rencontré. Donner une constitution à l’Europe signifie en reconnaître la nature d’Etat, d’institution unitaire naissant de la volonté commune des peuples européens. Il s’agit de rassembler les principes fondamentaux d’une Europe en croissance, qui s’élargit, qui se mesure à de nouveaux défis et qui doit donc pouvoir mieux fonctionner. Il s’agit par ailleurs d’établir une véritable gouvernance fédérale à tous les niveaux. Je pense au régionalisme et à l’action des Régions. Le Traité constitutionnel propose déjà quelques idées par rapport aux Traités, tels que la reconnaissance explicite du rôle local et régional, l’extension du principe de subsidiarité à ce niveau ainsi qu’une plus ample reconnaissance de la politique de cohésion territoriale. Le point est celui de comprendre quel type de fédéralisme nous poursuivons : s’il est respectueux de la fidélité des choses ou bien s’il est construit artificieusement et hâtivement, sans tenir compte ni des besoins réels ni des véritables attentes et potentialités. I l y a quelque jour, un rapporteur – en s’occupant de la politique en tant qu’activité qui doit tenir compte du futur – a dit une chose qui m’a frappé pour sa simplicité : l’espoir est une vertu théologale, la nostalgie non. J’aime cette définition si profonde, autant que synthétique, même si j’aime la nos46 talgie, comme tout le monde, parce qu’elle est enveloppante comme la couverture de Linus. Objets, odeurs, mémoires qui – tout comme la Madeleine de Proust – rappellent des moments heureux du passé comme une sorte de marée montante sur la plage de notre vie. Un passé qui – de façon naturelle –devient plus beau, parce qu’on a la tendance à effacer tout ce qui nous a blessés ou affligés à un moment ou à un autre, avec le filtre du temps. Une espèce de coquille qui – vidée de son mollusque – apparaît dans toute sa beauté plastique. Un passé qui, quand on vieillit, coïncide avec les années de la jeunesse et avec la présence des amis d’antan ou des parents qui nous ont quittés. Mais regarder en arrière serait bien stérile s’il ne donnait lieu qu’à un regret qui éteint l’avenir. Voilà pourquoi, dans la comparaison avec ce qui s’est passé, la quotidienneté – si lourde dans sa prise en charge des problèmes et des difficultés – apparaît dans toute sa dure réalité. La force dans le présent est donc nécessairement représentée par l’énergie positive et à bon prix de l’espoir. On œuvre aujourd’hui pour que demain l’on regarde les fruits, et l’espoir est aussi un médicament – homéopathique pour la petitesse de la dose demandée – contre les amertumes qui arrivent de la part de ceux qui, sans aucune vision perspective, voudraient tout et tout de suite, ou finassent sur la nécessité, par contre inéluctable, de synchroniser avec patience la pensée et l’action. Cela nous oblige à ne pas être pressés, parce que construire – ce raisonnement nous parvient de l’ancienne sagesse paysanne qui vivait le temps dans la conscience des saisons et de la lenteur contemplative de la nature – signifie savoir attendre. Détruire, c’est plus facile : il suffit d’une grenade, d’un incendie, d’un acte de violence. Cela – si nous ne savons pas nous rebeller à la simplification et à la logique des raccourcis qui souvent faussent les compétitions – risque d’étouffer l’espoir qui, par contre, comme l’on dit, doit être le dernier à mourir. Ne nous privons donc pas des horizons qui, une fois atteints, tout comme les espoirs qui s’alimentent de nouveautés, se déplacent vers un nouvel objectif qui, atteint à sa fois, se dirige à nouveau vers une autre direction. La politique, pour cette raison, n’est pas comme un médicament avec une date d’échéance, parce que c’est l’espoir qui brûle comme une flamme, alimentée par des idées et des projets, qui la garde vivante. Il s’agit d’une sorte de plan qui nous accompagne dans la partie de route que nous parcourons dans notre vie, même en politique, qui est et qui reste une composante importante pour être des citoyens conscients et …pleins d’espoir. «J’ai vu tant de choses, que vous, humains, ne pourriez pas croire... De grands navires en feu, surgissant de l’épaule d’Orion. J’ai vu des rayons fabuleux, des rayons C, briller dans l’ombre de la porte de Tanhauser. Tous ces moments se perdront dans l’oubli, comme les larmes, dans la pluie... Il est 47 temps de mourir... ». C’est ainsi que s’exprime Roy Batty, le réplicant de Blade Runner, film de Ridley Scott, sorti en 1982, dont l’histoire se déroule à Los Angeles en 2019. La ville est devenue une gigantesque mégalopole monstrueuse où règne la surpopulation, la saleté, la publicité omniprésente, et des créatures appelées « répliquants » ( créatures humaines artificielles ), utilisés pour des travaux dangereux sur Terre et dans les missions spatiales… Après vingt ans de politique, de temps à autres – certes sans aucune intention de mourir ! – j’ai l’impression d’avoir vu tant de choses, comme Roy Batty. Depuis les années 70 jusqu’à aujourd’hui, j’en ai vu des choses et j’ai bonne mémoire. Je suis même convaincu que certains « répliquants » sont véritablement parmi nous… « J’ai vu tant de choses, que vous, Valdôtains, ne pourriez pas y croire… De nouveaux mouvements politiques, surgissant de la côte de l’UV. J’ai vu des alliances incroyables, de faces de C…, briller dans l’ombre des Portes prétoriennes le jour de l’inauguration de la SaintOurs. Tous ces moments se perdront dans l’oubli, comme les larmes, dans la pluie… Il est temps de réagir… ». Afin d’éviter que la Vallée d’Aoste en 2019 – je dirais même à partir de 2008 ! – soit réduite à un déchet, ce qui pourrait très bien se passer si certains revenaient à la politique ou s’ils y parviendraient après une longue antichambre, il est nécessaire de commencer à réagir à toute provocation. Que les unionistes commencent à réagir pour affirmer la fierté de notre patrimoine politique, historique et culturel. Ça suffit avec cette histoire que l’Union est en train d’agoniser. Ça suffit avec l’idiotie que nous sommes un groupe de délinquants. Ça suffit avec ce commérage qui nous peint comme des incapables. Ça suffit avec la vulgate qui nous présente comme des soldeurs de notre patrimoine d’idées. Les temps de la tolérance et de l’aplomb sont achevés. Pour un choix de modération et un désir de vie tranquille, nous n’avons répondu ni aux insultes ni aux insinuations, même les plus graves. La contre information journalistique ainsi que la basse propagande ont vomi des histoires et des anecdotes ridicules donnant parfois des frissons. L’approche des élections ne nous rassure pas quant à un changement de style et de comportements. J’estime donc qu’il est temps de tourner la page – sans pour cela faire les mêmes erreurs ni singer les haines et les rancunes dont nous avons été les victimes. Il y a ceux qui ont joui en inspirant des mémoires anonymes et diffamantes aux autorités. Il y a ceux qui ont démontré d’être des provocateurs aux limites de la folie ; il y a ceux qui écrivent ou parlent en oubliant leur passé et les choses faites dans leur vie.Ces actions sont le contraire exact du dialogue qui a toujours été invoqué par ceux qui – et ils sont nombreux – avaient la vocation de recoudre les déchirures et de guérir les blessures. Je remarque que sur ce chemin beaucoup a été fait, mais quelques irréductibles – des « répliquants » de nom et de fait… – empoisonnent encore l’air de la politique et minent gravement la coexistence civile. Ce n’est pas ça dont nous avons besoin : les années à venir seront d’autant 48 plus complexes et les problèmes à résoudre, à une époque de changements, encore plus difficiles. Ceux qui jouent avec notre communauté, en jetant de l’essence partout et cultivant le goût pour la polémique constante, ne mesurent pas les potentielles et même néfastes conséquences. Les divisions et les critiques prétentieuses nous affaiblissent tous et ce n’est pas aujourd’hui que nous avons besoin de ça. Nous devrions y réfléchir davantage. avril Une grande pagaille règne autour de la candidature du Mont Blanc à patrimoine mondial de l’Unesco. La Vallée d’Aoste sait peu de réellement officiel ! Le Ministre de l’Environnement Alfonso Pecoraro Scanio – bien que la compétence en matière soit du Ministre des Biens culturels Francesco Rutelli ! – m’a personnellement expliqué que l’Italie, pour ce qui est des montagnes, a déjà la candidature pour les Dolomites, les français ont d’autres intérêts, et donc les promoteurs pourraient être les helvétiques. Mais cela a-t-il sens, du moment que les Suisses ont la portion la plus petite du Mont Blanc ? Déjà dans le passé, j’avais nourri un doute sur la réelle appétibilité de l’opération Mont Blanc ( tandis que je soutiens fortement la candidature comme patrimoine immatériel Unesco du peuple Walser ) qui, entre autre, a du mal à trouver quelqu’un qui présente la candidature. Je veux rappeler que pour figurer sur la liste du patrimoine mondial, les sites doivent avoir une valeur universelle exceptionnelle et satisfaire au moins un des dix critères de sélection. Les critères de sélection sont : 1) représenter un chef-d’œuvre du génie créateur humain ; 2 ) témoigner d’un échange d’influences considérable pendant une période donnée ou dans une aire culturelle déterminée, sur le développement de l’architecture ou de la technologie, des arts monumentaux, de la planification des villes ou de la création de paysages ; 3 ) apporter un témoignage unique ou du moins exceptionnel sur une tradition culturelle ou une civilisation vivante ou disparue ; 4 ) offrir un exemple éminent d’un type de construction ou d’ensemble architectural ou technologique ou de paysage illustrant une ou des périodes significative( s ) de l’histoire humaine ; 5 ) être un exemple éminent d’établissement humain traditionnel, de l’utilisation traditionnelle du territoire ou de la mer, qui soit représentatif d’une culture ( ou de cultures ), ou de l’interaction humaine avec l’environnement, spécialement quand celui-ci est devenu 49 vulnérable sous l’impact d’une mutation irréversible ; 6 ) être directement ou matériellement associé à des événements ou des traditions vivantes, des idées, des croyances ou des œuvres artistiques et littéraires ayant une signification universelle exceptionnelle ; 7 ) représenter des phénomènes naturels ou des aires d’une beauté naturelle et d’une importance esthétique exceptionnelles ; 8 ) être des exemples éminemment représentatifs des grands stades de l’histoire de la terre, y compris le témoignage de la vie, de processus géologiques en cours dans le développement des formes terrestres ou d’éléments géo morphiques ou physiographiques ayant une grande signification ; 9 ) être des exemples éminemment représentatifs de processus écologiques et biologiques en cours dans l’évolution et le développement des écosystèmes et communautés de plantes et d’animaux terrestres, aquatiques, côtiers et marins ; 10 ) contenir les habitats naturels les plus représentatifs et les plus importants pour la conservation de la diversité biologique, y compris ceux où survivent des espèces menacées ayant une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de la science ou de la conservation. La protection, la gestion, l’authenticité et l’intégrité des biens sont également des considérations importantes. Aujourd’hui la liste du patrimoine mondial est une sorte de bazar comble d’objets différents : il comporte en effet 830 biens que le Comité du patrimoine mondial considère comme ayant une valeur universelle exceptionnelle. Ces biens comprennent 644 biens culturels, 162 naturels et 24 mixtes situés dans 138 Etats. Par exemple, en Allemagne on trouve les Châteaux d’Augustusburg et de Falkenlust à Brühl ( 1984 ) ou les Mines de Rammelsberg et la ville historique de Goslar ( 1992 ). En Australie la Grande Barrière ( 1981 ) et en Autriche le Centre historique de la ville de Salzbourg ( 1996 ), en Belgique les Minières néolithiques de silex de Spiennes ( Mons, 2000 ). Et encore : en Chine la Grande Muraille ( 1987 ) et à Cuba la Vieille ville de La Havane et son système de fortifications ( 1982 ), et dans les Etats-Unis d’Amérique la Statue de la Liberté ( 1984 ) et dans la Fédération de Russie Le Kremlin et la place Rouge, Moscou ( 1990 ), en France le Site historique de Lyon ( 1998 ), en Grèce le Mont Athos ( 1988 ). En Italie la première reconnaissance a été décernée à l’Art rupestre de Valcamonica ( 1979 ) et ensuite au Centre historique de Rome ( 1980 ). Regardez donc la liste, et vous verrez qu’il s’agit d’une sorte de panier contenant un tas de choses ; pour le Mont Blanc se serait un atout en plus, qui, cependant, ne changerait rien juridiquement. Donc, pour l’amour de Dieu, que l’on fasse, en admettant que l’on y arrivera ( et je doute que cela puisse se faire en absence d’un Etat proposant ), mais en dépurant l’opération de celle excitation fébrile qui parait s’être répandue dans certaines associations environnementalistes. 50 «Riches et privilégiés : arrêtons une fois pour toutes ces maudites auto- nomies spéciales ! Nous sommes face à de persistances historiques intolérables et à des vieux et ataviques instruments juridiques ». Est-ce que vous les entendez ces slogans qui résonnent sur notre peau comme des tambours de guerre ? Voilà que soudainement nous sommes peints comme des avides profiteurs, des tire-sous des autres, des autonomistes rusés –dégoûtants et voleurs – à la chasse d’avantages financiers. Et les Valdôtains en particulier sont dans le collimateur de ces chasseurs – et jouer le rôle de la proie n’est pas du tout agréable. Par des articles de journaux, des déclarations politiques multicolores, des documents officiels ( pensons aux propositions repoussantes sur le fédéralisme fiscal ), les nombreux moralisateurs – souvent inspirés par les casseurs locaux, des anciens autochtones frustrés, figurants éternels de la politique valdôtaine ou simple traîtres de la patrie – nous montrent du doigt : mais vous n’avez pas honte, sales accumulateurs de richesses d’autrui ! La récréation est terminée, tout comme les joies du Paradis où vous estimez vivre tranquillement : la Vallée d’Aoste doit être à nouveau – comme à l’époque du fascisme – une nullité politique, terre d’émigration forcée ( et d’immigration pilotée ), culturellement prosternée à l’Italie. Une certaine Droite tout comme une certaine Gauche oublient d’un coup les divisions et flirtent contre nous. Un coup de crayon et on balaye tout ! Ça suffit avec les mystifications et les sottises : histoire millénaire, sentiment identitaire, Constitution, Statut spécial. Minorité linguistique ? Mais nous sommes en Italie, parlons italien et adaptons-nous à la langue, aux habitudes et aux façons d’être de la Péninsule ! Zones de montagne ? ça suffit avec ces histoires : que les gens descendent à la plaine, cela nous coûtera moins cher. Bâtissons des beaux édifices dans les villes et sur ces maisons écrivons « Valsavarenche », « Valgrisenche », « Champorcher » : ça suffit avec cette onéreuse manie des montagnards de vouloir rester chez eux. « Maîtres chez nous ? ». Ils sont fous ces Valdôtains ! Qu’ils arrêtent avec ces habitudes provinciales et à caractère local, avec ces obsessions nationalitaires ou pire nationalistes et même – authentique horreur pour nos ennemis – d’empreinte européiste. Finissons-en enfin – selon une logique prolétaire jouant au rabais et au paupérisme humble – avec cette histoire du système financier : indigents, un peu ahuris, esclaves et folkloriques. Ainsi doivent être les Valdôtains ! Rien à voir avec l’entente, le principe du pacte, le fédéralisme et la subsidiarité. Tout le monde pareil ! Que Rome ordonne, que Turin décide ! Ainsi les centralismes de Rome et de la Maison de Savoie renaissent de leurs cendres avec des violences verbales dignes de la meilleure cause. Il est temps de répondre à ce beau cœur de voix : nous sommes très fâchés, vous nous avez embêtés, arrêtez de tirer la corde, car elle peut se casser. Nous sommes prêts – au plan juridique, moral, culturel et de l’engagement personnel et collectif – à faire nos démonstrations. Tout comme ceux qui 51 veulent briser les équilibres et bouleverser les choses – y compris les rapports de vie civile et l’ancien sens de l’accueil – sont libres de le faire. Mais nous sommes d’autant plus libres de crier aux attentats à notre liberté, aux tentatives de violer nos droits acquis, d’oublier nos principes de bases, aujourd’hui mis en discussion, de l’entente politique et de la collaboration loyale. Je ne suis pas d’accord : j’en ai assez, je suis préoccupé, offensé et extrêmement combatif. Je vais le crier en Vallée d’Aoste, à Rome, à Bruxelles et partout où il sera utile et nécessaire. Les idées comptent dans la vie et ceux qui pensent que les Valdôtains sont des marionnettes à manier ou qu’ils sont dociles comme l’âne et le bœuf de la crèche, se préparent au pire. Merci à ces ennemis, qui se sont alliés contre nous avec la colle de la haine, de la jalousie et de l’envie, bien souvent en mettant de côté les antiques hostilités que les séparent. Merci, parce que – qu’ils le sachent pour en tenir compte – ils nous font sentir pleins de vitalité et d’énergie comme jamais il n’a été. Dans son évangile, Saint Luc dit : « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux ». J’avoue que, dans mon enfance, la vision plastique du chameau ( par ailleurs en Palestine il n’y a que des dromadaires… ) essayant de rentrer dans le trou d’une aiguille avait la vivacité d’un dessin animé à la Walt Disney ! – sans pour cela être blasphème, mais il faut reconnaître que les Evangiles sont riches en métaphores incisives dans leur suggestivité qui traverse les millénaires. Pauvres…riches : ils n’avaient pas de grosses possibilités de succès et, par ailleurs, le chameau n’avait-il rien de mieux à faire que de tenter un défi encore plus improbable avec ses deux bosses sur le dos ? Après quoi – voilà la déception de l’adulte – j’ai découvert combien cette phrase est controverse : certains – et cette thèse me semble digne de foi – prétendent que le chameau en question serait un simple câble pour accoster les bateaux aux quais ( la confusion réside dans la traduction entre les mots grecs « kamelos – chameau » et « kamilos – câble » ), d’autres – mais cette hypothèse me semble moins crédible – affirment qu’il ne s’agirait pas d’une aiguille banale mais de la « porte de l’Aiguille », célèbre à Jérusalem pour son étroitesse. Il est certain que, même s’il s’agissait d’une corde et non pas d’un chameau, la métaphore manifeste la difficulté pour les riches d’accéder au royaume des cieux ! Cette histoire me plaît beaucoup en raison de sa force et je crois qu’elle devrait être appliquée aussi à d’autres domaines. On pourrait se référer aux exercices de contorsion et aux bouillonnements qui se préfigurent pour entrer, dans une année, dans le trou d’une aiguille : le Conseil de la Vallée. 52 Au fil des années, d’abord comme journaliste et ensuite comme politicien, j’en ai vu de toutes les couleurs – et, un jour peut-être, j’aurai le temps de les raconter – tout comme je continue à en voir aussi de nos jours. La naissance de nouvelles forces politiques, de mouvements, d’associations ; le va-et-vient de personnes ; les coups de théâtre et les trahisons ; les amitiés et les inimitiés : le tout finit par tourner autour des 35 sièges au Conseil, que ce soit pour un désir de représentation politique ou pour une ambition personnelle. Et je dois dire qu’en règle générale – comme un fil rouge dans nombre d’aventures de différentes personnes – ceux qui parlent très mal des élus sont les mêmes qui, par hasard, se portent candidats aux élections ! Au cours de ces années – qui, malheureusement, commencent à être bien nombreuses – j’ai observé, dans la rude bataille des campagnes électorales, de nombreuses formations politiques ainsi que des carrières personnelles se briser sur les écueils des élections régionales. Comme des chameaux tristement impuissants et paralysés face au trou de l’aiguille, qui était si étroit que l’on ne pouvait pas y passer, même en utilisant la plus puissante des vaselines. Je suis étonné qu’autour de la question de l’annexion à la Vallée d’Aoste de deux Communes du Canavese, Noasca et Carema ( et des autres qui l’invoqueront ), il y ait des représentants de la politique valdôtaine se disant – dans une gamme de commentaires bigarrés – modérément ou fortement enthousiastes. Je ne comprends pas par contre – si ce n’était qu’au nom d’une vision démagogique entortillée et pour arracher un futur consensus électoral – sur la base de quoi nous devrions accepter un mariage imposé de façon unilatérale : un référendum communal qui déclenche une loi constitutionnelle pour le détachement du Piémont ne prévoyant qu’un avis des Assemblées des deux Régions ( qui sont, entre autres, contraires ). Avant même de rentrer dans le mérite des raisons qui sont à la base de l’opposition, il est évident qu’un mariage est un plat qui se consomme à deux et la volonté seule de l’une des deux parties n’est pas suffisante à conclure le contrat. Il s’agit d’une limite – à savoir l’absence du principe de l’entente – de cet article 132 de la Constitution que nous pensions ne pas s’appliquer à la Vallée d’Aoste puisqu’elle a un territoire propre déterminé par le Statut d’autonomie et par le Décret précédent du Lieutenant du Royaume. La Cour constitutionnelle en a établi différemment, par une sentence incroyable par sa petitesse et sa superficialité, en portant un préjudice historique à notre autonomie et nous devrons trouver le moyen pour représenter nos raisons devant cette instance juridictionnelle. Il s’agit de réparer un vulnus qui déclenche de très graves conséquences pour l’identité historique, culturelle et géographique de notre Vallée. Par ailleurs, il est à préciser que le Gouvernement Prodi a présenté au Parlement italien une révision de l’article 132 qui prévoit, après le référen53 dum de la Commune qui veut quitter sa Région d’appartenance, un référendum ultérieur à organiser séparément dans les deux Régions qui indiquera le « oui » au détachement ou à l’agrégation. Un mécanisme assez coûteux que l’on pourrait aisément dépasser par le principe de l’entente obligatoire : dans le cas en examen, sans le « oui » des deux Régions, exprimé par les Conseils régionaux, aucune initiative ne pourrait être entreprise. Si nous rentrons dans le mérite, alors la question devient encore plus facile. Carema est une Commune piémontaise et il est inutile de se passionner pour les épisodes historiques démontrant l’existence de liens plus ou moins forts avec le territoire valdôtain. Carema n’a pas de raison pour passer à la Vallée d’Aoste : il est bien clair qu’au fil des temps, elle a été principalement une Commune du Piémont. L’usage de la disparité de traitement entre Régions spéciales et Régions ordinaires comme élément fondant de la requête nous attriste par son inconsistance. Pour ne pas parler de Noasca qui est situé de l’autre côté des montagnes et la proximité géographique est tout à fait théorique. Combien de temps faut-il à un habitant de Noasca pour rejoindre la Vallée ? Les écoles de référence, les services sanitaires et sociaux sont et resteraient ceux du Piémont ! Selon la même logique, demain le Valsesia tout entier pourrait demander l’annexion à la Vallée ! Certes, comme dit le proverbe, mieux vaut faire envie que pitié. A savoir, il vaut mieux que ce soit Carema à demander l’annexion à la Vallée que PontSaint-Martin au Piémont. Toutefois, on ne peut pas déroger à certains principes au nom de la sympathie ou d’un principe abstrait d’accueil et sans même invoquer le principe fédéraliste de l’autodétermination. L’autodétermination est une chose sérieuse et non pas une attraction fatale vis-à-vis de ceux qui, dans le fonds, sont considérés comme des riches et des privilégiés. Il faut du sérieux, tout comme a fait le syndic de Ronco Canavese qui, en révoquant une délibération de référendum adoptée de façon tout à fait imprévoyante, a saisi l’occasion pour demander plus d’autonomie et plus de ressources au Piémont et pour le Piémont, sans inventer des histoires artificielles pour changer de veste ou de drapeau. Si, dans le futur, la chaîne des annexions devenait – tout comme il pourrait se passer en acceptant de notre part la requête de n’importe quelle Commune – un phénomène répétitif, que pourrions-nous faire pour bloquer cette attaque à la diligence ? Il faut donc de la prudence en isolant ceux qui, pour une poignée de voix de plus et pour se mettre en évidence dans les journaux, sont disponibles à solder notre expression la plus évidente : les confins de notre identité, sans aucune fermeture à l’égard de n’importe qui, mais en sachant que les motivations actuelles qui sont apparues sont plutôt liées au portefeuille qu’au cœur. Il est vrai que nous pourrions éviter de nous emporter tellement, l’histoire républicaine nous racontant qu’aucune Commune n’est jamais arrivée à changer de Région et la procédure constitutionnelle appliquée à ce cas la rend encore plus improbable, mais il est toujours bien d’être prudents lorsque des valeurs fondamentales sont en jeu. 54 mars L e Traité de Rome, acte fondant de l’Union européenne actuelle, fête son 50ème anniversaire. Le temps passe et je m’attriste un peu en pensant que c’est le dernier cinquantenaire dont je peux dire « moi, je n’étais pas encore né… » Avec un esprit de rhétorique tout à fait compréhensible et de nombreuses manifestations ( à Rome il n’y avait que le Comité des Régions : que ce soit de bon auspice ? ), l’événement a été célébré, tout en étant conscients qu’il coïncide aujourd’hui avec un moment assez négatif pour les perspectives en faveur de l’Europe. Le Traité constitutionnel qui, avec ses multiples défauts, représentait un pas en avant par rapport aux Traités en vigueur, est paralysé par les veto croisés et les élections françaises et britanniques n’offrent aucune perspective dans l’immédiat. Nous l’avons perçu dans les documents très vagues approuvés à Berlin, qui ne semblent pas tenir compte que l’Union des 27 court un gros danger sans une piqûre de participation populaire et de nouveaux et plus efficaces instruments constitutionnels. L’Europe de l’après Chirac et de l’après Blair est un thème à traiter avec caution soit au Royaume-Uni, qui est eurosceptique par sa propre histoire, soit en France où l’européisme traverse une profonde crise et les candidats aux présidentielles en parlent avec circonspection. Les célébrations sont aussi une occasion utile pour nous, les Valdôtains, afin de comprendre notre rapport avec l’Europe. Il faut savoir que le chemin de l’intégration européenne a le même âge que notre parcours d’autonomie et les horreurs de la deuxième guerre mondiale ont produit deux mouvements. D’une part, l’élan de l’agrégation supranationale et d’autre part le développement du régionalisme. La croissance des deux n’a pas eu une courbe constante et régulière, c’était plutôt un mouvement fait de hauts et de bas imprévisibles. Il n’existe aucune contradiction dans le fait de croire – tout comme dans le patrimoine culturel et politique de l’UV – aux deux mouvements, qui sont apparemment contraires mais dans la réalité ils sont complémentaires. Coupant un peu le haut et grignotant par le bas, des morceaux de souveraineté se sont heureusement détachés de l’Etat nation, qui manifeste sa taille inapte : trop grand et inefficace pour la démocratie de proximité, trop petit et infructueux pour les thèmes internationaux importants. 55 Pour cette raison il est tout à fait cohérent de regarder soit vers le haut soit vers le bas et personnellement je n’ai aucun problème à me sentir à la fois un Valdôtain et un Européen. Une double identité cohérente qui n’a rien de schizophrénique. En sachant parfaitement aussi que ni cette autonomie spéciale ni la photographie actuelle de l’Union européenne ne me satisfont. Notre autonomie est faible parce qu’étant octroyée par l’Etat ne représente pas le fruit fédéraliste d’une autodétermination. L’intégration européenne tourne encore trop autour des Etats et trop peu autour des Régions, surtout là où – comme dans notre cas – la géographie coïncide avec l’histoire et la culture d’un peuple. C’est un signe évident du fait que rien ne doit jamais être tenu pour acquis et que les célébrations ne servent pas seulement et toujours pour regarder le passé – risquant ainsi de se transformer en de statues de sel ! – mais à regarder vers le futur, avec attention et avec un esprit combatif. Européistes valdôtains. Le Casino de la Vallée va avoir 60 ans et il est bien de fêter cet anniver- saire. Nous considérons cet événement pour ce qu’il pourrait être au-delà du calendrier des manifestations : un point à la ligne, un symbole utile et représentatif. Un passage qui pose – en mettant de côté pour un instant les polémiques, bien qu’importantes, et les disputes destinées à augmenter ou à se dégonfler – l’attention sur un thème, celui du Casino, qui est étroitement lié depuis sa naissance jusqu’à nos jours à la politique valdôtaine. Avec des passages juridiques délicats, des vicissitudes judiciaires, des contentieux syndicaux, de la jurisprudence civile et pénale. Bref : un enchevêtrement de faits, de documents, d’histoires personnelles et sociétaires, des chroniques de tous les genres. J’ai connu quelques personnages ( je pense notamment au Comte Cotta ) et j’espère qu’un jour l’histoire de la naissance et de la mort de la SITAV – la société qui pendant 50 ans a géré le Casino – soit écrite. Il est évident que cette date sculptée dans le calendrier de notre historie est aussi une occasion pour préfigurer – dans le rapport entre origines et perspectives – un dessein qui pose, ici et aujourd’hui, les conditions pour relancer une entreprise qui est pliée sous le poids d’une série de difficultés. Différents sujets se rassemblent dans l’effort et dans l’engagement d’intégrer soit ce que le Casino a signifié pour notre communauté,soit pour promouvoir cette activité économique si atypique et particulière, dont nous ne pouvons et nous ne devons plus faire à moins. Le Casino a été et reste une tesselle importante aussi bien pour l’argent transféré à la Région, que pour le nombre d’employés qui y travaillent et également pour le développement de Saint-Vincent, des communes voisines et de la Vallée entière. 56 Qu’il soit clair : derrière les difficultés actuelles, il n’existe aucun but plus ou moins caché. Quelqu’un raconte les fables suivantes : il y a ceux qui – et je serais parmi ces conspirateurs – cultivent l’idée d’une privatisation avec plusieurs entrepreneurs choisis à l’avance après avoir travaillé à une constante aggravation des comptes et du climat des relations industrielles et syndicales à l’intérieur de la maison de jeu. Ce serait un choix stupide outre que criminel. Stupide parce que toute privatisation ne serait jamais réalisée ad personam, étant donné l’obligation d’appels d’offre européens pour déterminer un gérant ou un associé pour la Région autonome. Criminelle parce qu’ouvrir au marché en des temps si difficiles serait comme solder l’entreprise. Si nous le voulons, tout cela peut tourner autour de ce mois de mars 1947. Le Conseil de la Vallée venait d’être créé depuis une année, on était à cheval entre l’action de Federico Chabod et celle de Séverin Caveri, lorsque – avec une gestation rapide en pensant aux mécanismes bureaucratiques et politiques actuels – la maison de jeu ouvrait ses portes, en tirant comme un élastique la compétence en matière touristique du décret du lieutenant. Un titre dont la validité, une quarantaine d’années après était niée par une sentence bien connue de la Cour constitutionnelle. Toutefois la fermeture fut évitée puisque – à sauver l’exception de Saint-Vincent – intervenait à notre support la reconnaissance implicite de la dérogation au principe général d’interdiction au jeu d’hasard venant du système financier fondé sur une loi de l’Etat qui, bien que seulement tacitement, reconnaissait l’existence du Casino, tout en étant à l’absence du titre des compétences pour notre Région. Dans les récits de famille, on dit que mon oncle, la soirée historique de l’ouverture aux jeux du Casino valdôtain, craignait l’intervention de la police pour une fermeture immédiate, que Rome n’ordonna jamais : ainsi, débuta une activité qui a voyagé en parallèle avec le développement de l’autonomie valdôtaine. Moins de Région et plus de marché : voilà l’appel qui est lancé périodi- quement de parts et d’autres et qui, récemment, est devenu plus pressant. Je voudrais dire avant tout qu’il ne faut pas être insensible aux requêtes raisonnables qui photographient une économie en changement et une mutation du rôle de la politique, des instruments et des logiques d’intervention publique. Les thèses critiques, qui sont plus ou moins articulées selon la provenance politique et le courant de pensée, déplorent, dans la meilleure des hypothèses, un excès de dirigisme – qui s’est incrusté dans le temps – de la part du Gouvernement régional sur l’économie locale. Cette présence pluridisciplinaire emprisonnerait les énergies entrepreneuriales, en déformant les règles du jeu et en dévaluant l’esprit de concurrence. Sans cet excès présumé 57 de la Région, comme régulatrice du marché et des différents secteurs, on libérerait – dans la partie conclusive de ces raisonnements – des intelligences et des actions pouvant amorcer de nouvelles et plus efficaces activités économiques. Dans la pire des hypothèses – parfois à la limite de la paranoïa – la logique serait par contre celle sous-entendant « les mains sur la ville », c’est-à-dire un groupe de pouvoir qui contrôle l’économie par l’entremise de la politique dans un ensemble qui sent le pourri. Délire… Une fois acquittés de la version affairiste-maffieuse, qui est ridicule et offensive, nous serions tentés de dire, sur les thèses de l’excès de la présence régionale : et bien, retirons la Région de l’économie, totalement ou en partie, et observons les résultats, selon les mesures entreprises ! Il faut dire tout d’abord que, les vaches grasses du budget régional étant épuisées, aujourd’hui un Welfare excessif et gaspilleur se heurte déjà tout seul avec les ressources budgétaires ainsi qu’avec le bon sens et le bon gouvernement ( et je me conforme à ces principes comme à un Evangile ). Il y a toutefois deux observations utiles à cerner l’aire d’intervention. La première concerne les secteurs qui doivent être solidement gardés au sein de la gestion publique, soit directement, soit avec son indiscutable régie. Santé et services sociaux, école et formation professionnelle, transport public local : personne ne peut penser que la gestion publique – sauf les principes de l’efficience et de l’épargne – sorte de ces secteurs stratégiques pour les services à la communauté et à la personne. Deuxièmement, dans un milieu de montagne comme le nôtre, il ne s’agit pas d’un prétexte, mais plutôt de l’augmentation des coûts qui sont estimables scientifiquement : ou bien il existe des éléments de compensation publique dans l’économie, ou bien certains secteurs – tels l’agriculture, l’industrie, l’artisanat, le commerce – risquent de disparaître et, avec eux, les personnes et les collectivités locales qui habitent notre territoire. Et dans certains cas – nous pensons au tourisme – il y a le danger de remettre à quelqu’un d’autre les clés de notre développement. Voilà pourquoi l’intelligence est utile dans l’usage du frein et de l’accélérateur. Donc : aucun libéralisme sauvage et naïvement adorateur du marché et de ses règles spontanées, mais non plus une gestion publique envahissante et suffocante qui veut mettre son nez partout et au lieu de supporter les entrepreneurs se substitue à eux. C’est facile à dire, mais il n’est pas aussi simple de fixer les limites à chaque fois. Pour l’instant, l’assainissement des excès de la présence publique est un chemin sans retour. 58 Parfois il est nécessaire de se pincer la peau pour savoir si nous sommes réveillés ou bien si nous dormons et nous ne sommes pas en proie d’un cauchemar. L’épisode le plus récent et bien connu a rempli en effet les premières pages des journaux et nous a beaucoup bouleversés en raison des modalités presque surréelles de son déroulement, qui se situait entre un récit d’Edgar Allan Poe et le sarcasme napolitain d’un personnage comme Toto’. Le fait : renfermer dans un congélateur – acheté exprès pour cette macabre opération – le cadavre de son père pendant plusieurs années, dans le but de toucher entre-temps la retraite. Jusqu’au moment où, par hasard, c’est le petit-fils qui découvre – sans le reconnaître – le corps du pauvre pépé octogénaire congelé ( qui avait passé les 90 ans seulement pour l’Inps et l’Inail ) et dénonce le fait aux carabiniers. On découvre ainsi pour l’énième fois que chaque jour l’anormalité cohabite avec la normalité et que la réalité est pire qu’un roman noir, tel qu’il a été observé par nombre de commentateurs vu l’ampleur de la nouvelle. Le juge devra établir avec certitude les dynamiques et les responsabilités de cet événement qui, malheureusement, est arrivé à Aoste, même si – dans la bizarrerie de l’humanité – il aurait pu se passer n’importe où et sans aucune explication locale. Entre temps, même en Vallée d’Aoste on observe et on commente une histoire douloureuse, liée aux intérêts économiques pour survivre aux difficultés de la vie, où se croisent des affections, de la folie, des craintes. Une histoire qui nous laisse effarés parce qu’il ne s’agit pas seulement d’un fait divers, mais c’est de la psychologie, de la sociologie et autre encore. Avec la mort solitaire d’un citoyen d’Aoste dans son appartement, découvert à cause de la mauvaise odeur qui dérangeait les voisins ( ce n’est pas la première fois que des morts de ce genre occupent les pages locales ), cet épisode démontre la solitude dans laquelle nous vivons, privés de ces liens du passé et de cet ensemble de pratiques collectives que nous définissons de « contrôle social ». Est-ce possible que la « disparition » pendant des années d’un homme, bien qu’âgé, n’ait pas suscité le suspect d’un ami, d’un voisin ou de quelqu’un de la famille ? Est-ce qu’il suffit d’être enfermé dans un congélateur pour devenir simplement un numéro sur la carte de la prévoyance sociale dans l’axiome vieux=retraite ? Nous habitons un bien étrange monde où la vie humaine peut être monnaie tellement précieuse à congeler un cadavre. Tu es là, assis sur le fauteuil, au deuxième étage de Place Deffeyes à la Présidence de la Région. Chaise confortable ou inconfortable, selon les circonstances, et personne ne le sait mieux de celui qui…y est assis dessus. 59 Bien évidemment il s’agit – Statut spécial à la main – du sommet politique et administratif de la Vallée d’Aoste avec ses particularités telles que les fonctions de préfecture. Je suis le quinzième Président depuis 1946, le quatrième de ce siècle. Je me rapporte aux personnes et non pas aux nombres de Gouvernements qui se sont succédés, qui est par contre de vingt-huit présidents, avec ceux pré–statutaires ( trois en total ). La durée moyenne des Gouvernements dès le mois de mai 1949 résulte être, à l’état actuel, de deux années et un mois environ. De ces Présidents de la Région j’en ai connus et j’en connais certains très bien ( Severino Caveri, Cesare Dujany, Mario Andrione, Augusto Rollandin, Ilario Lanivi, Dino Viérin, Robert Louvin et Carlo Perrin ), certains bien ( Mauro Bordon, Gianni Bondaz ), un seul, je l’ai seulement rencontré ( Vittorino Bondaz ), les autres, je ne les ai jamais connus pour des raisons de différence d’âge ( Federico Chabod, Oreste Marcoz, Cesare Bionaz ). Des personnalités très différentes, sous le profil de la formation culturelle et du curriculum, de différentes générations ( dès le début du XXe siècle jusqu’aux années 60 ) : chacun a représenté soit des moments de passage rapide, soit des périodes plus longues et significatives, soit des cycles de gouvernement qui ont marqué pas mal de temps. Chacun a joué un rôle, en laissant des traces plus ou moins grandes de son passage. Même si leur mise en partage dans le souvenir c’est la difficulté et la peur qui jusqu’à présent a empêché d’écrire une histoire réellement approfondie de l’autonomie actuelle de notre Vallée. Et cela au détriment de la mémoire des personnalités qui ont soutenu les Gouvernements régionaux au fil du temps et qui sont, malheureusement, littéralement méconnues auprès des jeunes générations, qui ignorent, de quelque façon, l’histoire patrie. C’est une circonstance très négative, parce que sans mémoire nous n’existons pas, les oublieux n’ont pas de passé et sont dépaysés dans le présent et sans perspectives pour le futur. Par contre, s’immerger dans les moments politiques vivants et changeants des dernières 60 années acquiert une valeur précieuse de continuité et d’enracinement. Parce que la politique est lutte, souvent féroce et brutale, mais qui fortifie et motive notre identité. Bien sûr, la figure du Président assume une drôle de valeur : aimé et haï, en monté et en descente, admiré et envié. Il existe un danger incroyable qui s’est déjà vérifié et dont le Président a pleine conscience. Il s’agit de l’effet « bouc émissaire ». L’expression désigne en langage courant la personne qui est désignée par un groupe comme une victime expiatoire. D’ailleurs l’origine est un rite expiatoire annuel des Hébreux. Le grand prêtre devait prendre deux boucs puis les tirer au sort. L’un était directement sacrifié à Dieu, tandis que l’autre était envoyé dans le désert vers Azazel, démon sauvage, sans doute un ange déchu, dont le nom signifie dieu-bouc. 60 C’est ce deuxième bouc qui est appelé bouc émissaire. Le rôle exact du bouc émissaire est clairement décrit dans le texte biblique : « Aaron lui posera les deux mains sur la tête et confessera à sa charge toutes les fautes des Israélites, toutes leurs transgressions et tous leurs péchés. Après en avoir ainsi chargé la tête du bouc, il l’enverra au désert sous la conduite d’un homme qui se tiendra prêt, et le bouc emportera sur lui toutes leurs fautes en un lieu aride. » ( Lévitique XVI : 21-22 ) Eh bien, il se révèle grotesque et paradoxal de voir comme de vieilles et de nouvelles oppositions jouent sur la représentation, sous des traits infamants, en termes politiques et parfois personnels, du Président en service, paratonnerre des polémiques et de boatos les plus variés, parfois sincèrement dégradants et signes de temps misérables dans la confrontation politique. février Les émotions, dans leurs différentes formes de manifestation, comptent dans la vie. Elles sont une extraordinaire source d’énergie, qui nous aide à ne pas nous arrêter. La force de leur impact nous vient surtout du passé, tout comme une marée inexorable. Il suffit de rappeler ces émotions et nous en sommes aussitôt investis seulement grâce à l’utilisation de notre pensée et à la capacité évocatrice de notre intelligence. Et cela vaut aussi pour l’activité politique. J’avoue avoir vécu en première personne des émotions uniques, dont je suis fier et qui sont aujourd’hui gravées dans ma mémoire. Et j’en suis énormément reconnaissant aux électeurs, seuls juges de ce bizarre métier qui est la politique. Si je regarde en arrière, je retrouve certains discours à la Chambre, quelques lois proposées et approuvées ou quelques séances de « ma » Commission au sein du Parlement européen. Ou encore : une foule en liesse au Palaceva suite à une victoire électorale, les appréciations des vieux unionistes, un verre en compagnie avec les amis du Tyrol du Sud, les Occitans ou les Slovènes. Des instants, des moments, des personnes, des circonstances. Il suffit d’un document, d’une photo, d’une vidéo, d’une rencontre, pour être là, à nouveau. Ces émotions peuvent être encore plus lointaines et ne pas être directement les miennes, mais les miennes en tant que patrimoine de l’histoire et de la mémoire collective et aussi, et surtout, de l’Union Valdôtaine. Toutefois, les émotions ne vivent pas seulement du passé. Nous devons 61 faire vivre de nouvelles émotions à notre communauté, dont l’humus est et reste dans le levain indispensable représenté par nos idées. Elles se concrétisent selon les circonstances historiques du moment. Seulement les intégristes – qui cultivent la pensée immuable et muséalisé – ne comprennent pas que pour affirmer leurs propres convictions il faut toujours tenir compte du contexte dans lequel on travaille, en fixant certainement une limite non franchissable à la nécessité du compromis. La Démocratie signifie justement des règles qui cherchent des points d’équilibre entre des positions qui sont au départ différentes. Si le passé est une référence riche de suggestions et de souvenirs, qui impliquent des certitudes et des nostalgies, il faut affronter les grands espaces du futur, en nous nous mettant en jeu, en amorçant des moments riches de participation et de chaleur humaine. Autrement le risque est celui d’être considérés immobiles et non pas en mouvement : on ne peut pas conduire une automobile en regardant seulement dans le rétroviseur ! Ceux qui souhaitent arrêter le temps et pensent retourner à un passé parfois mythique ( souvent amélioré par les lentilles déformées du souvenir poignant, qui coïncide surtout avec la jeunesse ) ne tapent pas dans le mille : les émotions doivent être une chaîne à ne pas briser, tout comme un fruit qui avec ses semences se répand dans l’avenir. Vive les émotions ! L’autonomie spéciale est gracile dans ses mécanismes de garantie pour éviter des coups de main qui puissent mettre en discussion les droits acquis. Sa défense – ou plutôt son travail en faveur d’une meilleure capacité d’autogouvernement – pose une obligation d’adhésion à certains points fondamentaux. L’unité n’est point une sorte de slogan abusé, mais une pré-condition qui sauvegarde la Vallée d’Aoste face à l’éventualité, pas du tout éloignée, d’un ensemble d’attaques contre le Statut. Ceux qui sortent de la logique d’une solidarité ample au sein de notre communauté font du tort à tout le monde, et non pas seulement à eux-mêmes. Et cela devrait être bien compris par les transfuges ex unionistes, fondateurs de nouvelles formations politiques, qui désormais passent le temps – tout comme il arrivait pendant la tragédie grecque – à faire le chœur. Quelle que soit la chose que l’on dise ou que l’on fasse, leur prise de position se déclenche, et cela touche toutes les cordes : le sarcasme, le drame, la contestation, le moralisme, etc. Avec la présomption, entre autres, d’être les dépositaires de la vérité révélée et d’une sorte de pureté originaire, comme si tout à coup, ils n’avaient aucune mémoire de leur passé, de leurs histoires personnelles, politiques ou professionnelles. Tabula rasa ? Trop facile ! Toutefois, puisque trancher les ponts du dialogue c’est du pur masochis62 me et c’est du profit pour les adversaires qui jubilent de l’existence de ces « repentis » ou « convertis », il serait bien d’avoir quelques points indiscutables, en commençant justement par le Statut. En considération du travail de réforme qui appartiendra à la Convention, il serait bien d’éviter un climat de Far West, tout comme il serait indispensable de pouvoir amorcer un échange de vues grâce à une action efficace, le plus possible partagée, sur quelques points. Le Statut paye son caractère de base : un Statut octroyé par la Constituante qui n’est pas le produit d’un accord paritaire Vallée d’Aoste-Italie. Et donc modifiable à la discrétion de l’Etat à n’importe quel moment, puisqu’il n’existe pas une norme juridique qui fonde ce principe de pacte que l’on considère vivant sous le profil politique. Deuxièmement, à cause de la non-application de nombreuses parties du Statut, soit par indolence de l’Etat, soit par calcul politique. Troisièmement, qu’il s’agisse de pouvoir ou d’argent, l’attitude de l’Etat est périodiquement menaçante : je vous invite à lire certaines parties du document sur le soidisant fédéralisme fiscal ou bien les défenses du barreau de l’Etat au sein des contentieux constitutionnels et vous verrez qu’il y en a qui considèrent nos droits comme de la paperasse. Ajoutons à cette liste les fonctionnaires européens qui, en évaluant au préalable quelques lois pour lesquelles nous avons l’obligation de notification, exercent des contrôles de mérite qui n’existent même plus dans le droit interne italien, ou qui se comportent de façon contradictoire et incohérente, tout comme dans la vicissitude des coupons d’essence. Ce n’est donc pas une question de droite ou de gauche. Ce n’est ni de la haine ni de la revanche à l’égard d’un représentant politique plus ou moins sympathique ou puissant. Tout comme ne peuvent pas l’être les légitimes ambitions personnelles et les blessures apportées, de quelque façon, à l’orgueil personnel. Tout comme ni les caprices ni les chantages ne doivent avoir de l’espace. Je suis peut-être un rêveur, mais je crois qu’il existe une frontière suffisamment ample pour permettre d’inclure certains choix pour le futur. Nous devons, comme Mouvement, y travailler afin que la désinformation, les ruses ou les tendances à se poser en victime ne se répandent comme un virus qui génère la division parmi les Valdôtains. Il en va de notre avenir. Pensez – mais c’est seulement un exemple – au Cervino-Cérvin-Matte- rhorn : ce prisme de roche, que nous partageons avec les valaisans, est un cult. On le voit représenté dans le monde entier, parce qu’il a démontré être le signe graphique le plus utilisé comme symbole de la montagne. Il est là, planté dans la terre, comme une sorte de unicum et à ses pieds – et dès 1865 sur son sommet – se dénoue une partie de l’histoire et de la civilisation alpine et de l’alpinisme. 63 Pour ce qui est de notre Vallée, à ce tasseau, on pourrait ajouter d’autres petits morceaux pour construire le puzzle de nos montagnes et de notre civilisation. Mont Blanc, c’est le titre d’une histoire qu’une fois amorcée pourrait devenir une légende infinie. Mont Rose est autant déclinable en mille récits pour en décrire les nombreux aspects. Grand Paradis n’est certainement pas inférieur pour sa force évocatrice. Imaginons quelle extraordinaire capacité de rapprocher les chroniques, les légendes, les circonstances peuvent avoir le Grand-Saint-Bernard et le Petit-Saint-Bernard. Dans un spectacle multimédia, qui est fait d’images, de sons, de parfums : on reste stupéfait face à une richesse faramineuse, comme une suite infinie de faits et de personnages. Le territoire parle, il n’est pas muet et silencieux. Il faut avoir conscience de cela et savoir l’écouter. Il faut regarder au-delà des apparences. Le territoire est constitué de monuments de la Nature et de monuments de l’Humanité, conjoints dans un seul habitat, dont nous sommes les gardiens. Il y a quelques jours, j’y pensais, en frisant les murs de ce spectacle à couper le souffle qu’est le cryptoportique d’Aoste, caché comme un trésor quelques mètres sous la Cathédrale. Et j’y ai pensé souvent, face aux fresques du château d’Issogne ou face à Saint Georges et le dragon dans la cour du château de Fénis, ou encore en regardant de l’hélicoptère les forts en pierre de Bard et de Verrès. La Foire de Saint-Ours, elle-même, décavée de l’excessif gigantisme, de certaines pacotilles et du tourbillonnement de la fête, est une mine d’or de mémoire, d’évocations, de passerelles entre les époques différentes de notre passé. On peut rester tout à coup muet face à un morceau entaillé avec maîtrise, un morceau qui sait raconter quelque chose. Un vin, une tranche de Fontine, un bout de pain de seigle dur : ce sont les filons d’un goût ancien qui, tout comme le son d’un tambour, multiplient les sensations. Ce n’est pas seulement une approche sensorielle, un jeu intellectuel, un instinct qui apparaît : c’est une obligation de notre conscience, qui nous invite à découvrir et à étudier notre Pays, la Vallée d’Aoste. La citoyenneté valdôtaine n’est pas une étiquette bureaucratique, c’est un désir qui doit être alimenté, un désir de découverte et d’envie de voir au-delà de l’apparence. Un voyage passionnant qui nous rend les raisons les plus profondes d’un amour qui, pour qu’il ne soit pas stérile, doit se transformer en engagement civil et politique. J’ai toujours trouvé très amusante la représentation que les films de science-fiction font de l’autre – l’extraterrestre – venant d’une planète et d’un Univers inconnus. D’un aspect toujours désagréable, l’extraterrestre est en général ( exception faite pour le bon gars E.T. de Spielberg en 1982 ) un en64 vahisseur, agressif et méchant. La laideur et la méchanceté ( dont Alien, protagoniste de la saga de Ridley Scott qui a débuté en 1979 et qui en est arrivée au cinquième film, en représente l’apothéose aux limites du « noir » ) servent de base à des astronefs perdus dans l’espace, à des planètes maudites, à des invasions ou à des destructions de la Terre. J’avoue que ce genre de film ne me déplaît pas du tout, parce qu’il est supporté de façon musclée par le « happy end », où les monstres sont anéantis. Même si les héros, notoirement étourdis et en général trop prétentieux de leur victoire, oublient un œuf, un tentacule, un embryon de l’extraterrestre, ce qui sert bien pour pouvoir tourner un nouveau film ! Il est alors intéressant d’essayer un exercice utile : celui des inversions des rôles. Une pratique – et cela pour ne pas trop nous éloigner de la réalité, naviguant dans les espaces infinis… – qui devrait être aussi à la base de la politique : s’identifier dans l’adversaire et agir, penser et se comporter comme il pourrait le faire. Un exercice qui en Vallée d’Aoste – et aujourd’hui plus que jamais – est très utile. Et alors, arrêtant la politique et ses misères, mettons-nous dans la peau de l’extraterrestre, qui est en général baveux, vert ou gris, violent et un peu bête à la fois, avec des grosses dents de tigre ou transparent comme une méduse, bien plus évolué que nous. Mais, lui, l’extraterrestre – ou encore mieux les extraterrestres, comme dans l’échantillonnage amusant des robots et des corps aux formes bizarres de Star Wars – qu’est-ce qu’il peut bien penser de nous ? Est-ce que nous nous sommes bien regardé ? La concentration yeux, nez, bouche rend notre visage une bien étrange chose et nos organes internes – par exemple dans le cycle de l’ingestion de nourriture à l’évacuation des restes – sont assez impressionnants. Pour ne pas parler de la voix, des mouvements, des doigts symétriques de nos mains et de nos pieds. Les éléments mêmes de la reproduction – vus du regard extérieur du martien – sont aussi bizarres… Et quoi dire de l’élevage des chiots d’homme, des rites collectifs des terrestres, de la violence dont l’être humain peut être capable ? Dans le fond, ils sont pour nous des extraterrestres, mais nous sommes aussi des extra par rapport à d’autres endroits, y compris le leur. Tout comme il pourrait l’être en se mettant à la place des extra-communautaires, afin d’éviter les comportements stupides. Un excellent exercice est celui de se mettre dans la peau de tous ceux qui sont différents de nous et de se remettre en question. En définitive : vive les extraterrestres ! Ils nous permettent – qu’ils arrivent d’autres planètes, qu’ils viennent d’autres continents ou qu’ils soient comme des fantômes dans nos têtes – de nous regarder dans la glace pour mieux nous connaître, pour échanger nos certitudes avec d’autres idées, pensées, modèles. Une invitation au dialogue, dans le fond. Sans armes dressées, ni lasers spatiaux, ni astronefs de guerre… 65 janvier Il est avec moi, mon fils Laurent, assis sur le siège de l’avion. Depuis le hu- blot, nous regardons ensemble les nuages et les jeux d’air sur les ailes. Nous sommes allés en Pologne : le premier voyage seuls, même si un soir – lorsqu’il a eu mal au ventre – il a écrit un petit message à sa maman. C’est un signe évident que mon avis sur l’origine de son malaise ne faisait pas autorité et que son point de repère c’est elle, qui bien plus que moi – comme beaucoup de pères coupablement occupés – le suit et le forme. Honneur aux femmes : elles sont des espèces de Rambo qui conjuguent la famille et le travail et on ne sait pas trop comment elles font, surtout avec la génération des hommes années Cinquante, à laquelle j’appartiens, encore vaguement dans l’adolescence et tout à fait maladroits dans la vie domestique. Laurent vient d’avoir 11 ans et la complicité entre nous grandit, comme on dit le personnage masculin de repère c’est moi et nous apprenons à nous connaître. La génétique n’est pas une opinion et l’empreinte culturelle non plus. C’est tout comme regarder à travers une glace mes qualités et mes défauts. Il aura mon âge en 2044. Moi, si j’y arrive, j’aurai 86 ans, plus ou moins l’âge de mon père – son pépé – à ce moment. Dieu sait. Notre vie est liée à un fil très mince dont nous n’avons pas la maîtrise et l’impondérable domine tout le monde. Nous avons visité ensemble Auschwitz, le terrible camp d’extermination, où pépé Sandro – comme militaire interné avec une vingtaine d’autres Valdôtains âgés de 20 ans – avait transité il y a plus de 60 ans, voyant de près la tragédie de l’Holocauste. Mon père avait mon âge en 1972, moi j’avais 14 ans et j’allais acquérir plus de sûreté en moi et c’est ce que, grosso modo, est en train de se produire en Laurent. Ce sont des échelons de la vie où chacun de nous, à tâtons, prends les contacts avec le monde, se pose les tous premiers doutes et ébauche ses espoirs. Lui expliquer les comportements des nazis contre les Juifs n’a pas été un fait banal et il a nécessité une série d’explications au préalable : le bien et le mal sont des catégories qui restent gravées et visiter ces lieux est tout de même un vaccin contre les dictatures. Il n’existe pas – et c’est parfois une chance – une boule de verre pour lire dans le futur, mais j’imagine que mon père – comme moi et conjurant le mauvais sort – pouvait penser ce qu’il en aurait été de moi, de lui ( et en général de sa famille ) dans les décennies à venir. Et je m’interroge sur le futur 66 de Laurent et de sa sœur Eugénie. Il fut un temps, j’aurais dit : ils ne verront plus jamais la guerre. Aujourd’hui, je n’en suis pas si sûr. J’aurais pu penser : la lutte contre les maladies fonctionne. En tant que père, je tremble en regardant autour de moi, dénué de toute certitude. Je n’aurais jamais dit que la Nature même aurait pu se rebeller, mais je vois, au contraire, un climat de plus en plus bizarre. J’aurais pu me créer des illusions sur un monde plus homogène grâce au progrès, alors que le gouffre des pauvretés s’agrandit de plus en plus. La mondialisation plane et il faut savoir chevaucher les changements, au risque de se faire emporter par les vagues. Laurent s’est endormi, sa main dans la mienne. Il rêve, je l’aperçois de ses yeux fermés qui bougent imperceptiblement et de sa respiration qui change de vitesse. Il serre la main et il se réveille angoissé, avec ses yeux jaunes-verts. Un cauchemar, mais papa est là. Dans une période de rareté de nouvelles dans les rédactions des médias – et cela se passe notamment au début de l’année quand l’activité est au ralenti – même un fait qui n’a rien d’extraordinaire peut surgir à la une afin de solliciter l’attention du lecteur et pour remplir les pages. Il s’agit d’un processus tristement connu de formation des nouvelles, qui démontre, d’une part, que l’on peut gonfler comme un ballon un événement et, d’autre part, qu’il n’y a souvent pas chez les journalistes l’attention nécessaire à la recherche de sources directes. Aujourd’hui recopier et souvent déformer les infos qui viennent des agences de presse évite de se fatiguer et je peux vous assurer qu’auparavant il n’en était pas ainsi. Le travail du journaliste passait par la présence sur les lieux des événements et par nombre de vérifications croisées afin de donner tout élément utile de jugement. Aujourd’hui, par contre, un certain goût du scandale s’est affirmé, ce qui peut s’avérer tout à fait trompeur : en effet, les dommages d’une nouvelle publiée qui a parfois porté atteinte à une personne ne sont jamais réparés par des mises au point successives. Vous avez sûrement suivi le cas de la fille sarde, Eliana Cau ( fille d’origine africaine, adoptée par ses parents ), qui avait été appelée en Vallée d’Aoste – grâce à une insertion publiée dans un journal de Cagliari – par un restaurateur de sa même région qui gère une pizzeria à La Salle pour lui offrir un poste de serveuse. Une circonstance qui n’a rien d’exceptionnel étant donnée la difficulté de trouver du personnel saisonnier dans notre Vallée. Les thèses sont très différentes concernant l’issue négative de la rencontre : selon la jeune sarde, elle n’aurait pas été embauchée en raison de la couleur de sa peau, d’où le suspect de discrimination à teinte raciste ; selon le restaurateur, par contre, la rencontre se serait passée très mal à cause du caractère agressif de la jeune, raison pour laquelle elle aurait été jugée inapte à ce travail. Ce sera la Magistrature – en cas de dénonciations – qui devra 67 vérifier les faits et l’existence d’un délit ou, vice versa, d’une diffamation. Un fait est certain : la nouvelle a explosé partout et est devenue, dans les journaux, un cas de racisme de notre communauté ( « le restaurateur valdôtain » était la définition la plus répandue ) avec tous les commentaires des Ministres que nous connaissons bien. L’un d’entre eux en est arrivé à invoquer la suspension de la licence, en oubliant de toute évidence que si le délit était le racisme les conséquences seraient bien plus graves pour le coupable : rien à voir avec une licence commerciale ! Aucun membre du Gouvernement n’a pensé – ce qui aurait été tout à fait logique – de demander des informations au Président de la Région, qui leur aurait fourni quelques considérations de plus. Mais nous savons que l’information serre de près et une déclaration à effet assure une présence dans les articles de presse du lendemain. Nous suivrons l’évolution des faits. Je suis personnellement curieux de parler avec Eliana, qui viendra travailler à la fin du mois dans une structure de Vétan grâce à la générosité d’un hôtelier, pour comprendre le déroulement des faits et pour la rassurer sur le sens de l’hospitalité des Valdôtains. Je n’ai pas en mémoire des événements significatifs de racisme dans notre Vallée et il faut donc éviter les nombreuses généralisations auxquelles nous avons inutilement assisté ces derniers jours. Je veux être clair : il se peut qu’en Vallée d’Aoste aussi, face au phénomène croissant de l’immigration, parfois très différente du point de vue culturel, nous devions enregistrer les venins du racisme et de la xénophobie. Je suis toutefois sûr que les anticorps résident dans l’éducation au respect et à la tolérance ainsi que dans une information plus attentive à étouffer les incendies plutôt qu’à les allumer. Pensez à quel jugement chacun de vous exprime pour commenter les ca- ractéristiques particulières des peuples, connus par expérience directe ou par héritage culturel. Imaginons : la rigidité des Allemands, la grandeur des Français, la gaîté des Espagnols, la froideur des Anglais. Il s’agit en effet d’idées reçues, utilisées parfois en tant que préjugés, mais ces étiquettes restent comme point de départ. Exactement comme il se passe pour les Italiens, dont la réputation du peuple, pleine de fantaisie, est depuis toujours une arme à double tranchant : génie et dérèglement. Il est suffisant de fouiller un peu en profondeur pour observer comment certaines définitions qui englobent tout, résultent fragiles. Les Allemands ? Ça dépend du Länder d’appartenance. Les Français ? Là aussi chaque identité est changeante : imaginez de confronter un Corse et un Alsacien ! Et en Espagne, il suffit de penser aux grandes exceptions des Pays Basques et de la Catalogne pour vérifier que le prototype standard est une fiction. Les Anglais froids ? Au-delà des nationalités écossaises et galloises qui sont, his68 toriquement, très différentes, il suffit de penser à un hooligan et à un lord pour comprendre que les différences sont abyssales et la froideur n’est pas du tout un détail… Le « cas italien »est encore plus complexe : un modélisme national n’est pas vraisemblable parce que le stéréotype bien connu à l’extérieur « pizza e mandolino »heureusement n’est pas proposable, dans son image caricaturale, notamment face au puzzle des différences régionales. Mais, la même échelle régionale, dans certaines Régions, n’est pas tout à fait représentative de l’ample fresque de personnalités. Pensons à la Vénétie et aux grandes différences de mentalité entre un Vénitien et un habitant de Belluno, ou encore, comme on peut comparer, bien que dans la même Région, un Emilien et un Romagnol ? Il existe donc une logique qui se fait provinciale et qui devient sousprovinciale. Et nous, les Valdôtains, comme nous nous plaçons aux yeux des autres et quelle représentation avons-nous de nous-mêmes ? Pour les autres, l’ensemble « valdôtains » correspond – à mon avis – à une série de sous-ensembles. Bien sûr la spécificité linguistique représente déjà un unicum, et le fait d’être montagnard est un autre signe caractérisant, tout comme ce que j’aime définir, un mixte entre un individualisme un peu anarchique et une forte composante de vie en commun. J’imagine que l’on peut avertir que ces deux facteurs produisent une considération de sobriété et parfois d’un certain détachement, injustement interprétable comme un mélange entre timidité et présomption. Pour ce qui est de notre perception, je pense que nous nous représentons comme de bons travailleurs et des personnes qui font communauté, avec une tonalité de sérieux mais qui n’est jamais une ostentation du sérieux. Si je devais exprimer un jugement, j’estime que notre aspect le plus distinctif est le trait multidisciplinaire et l’étique du travail. Le Valdôtain est transversal dans les occupations quotidiennes ainsi que dans les passions personnelles. Mais il faut encore ajouter qu’une fouille ultérieure dans la « valdôtaineté » peut abattre, d’une vallée à l’autre et d’un clocher à l’autre, l’existence d’un homo valdostanus ( ou – pour être politiquement correct – de femina valdostana ). Différentes typologies existent parce que, dans le cœur de notre peuple, il suffit une distance de peu de kilomètres pour trouver des différences caractérielles et comportementales, parce que chaque collectivité locale impose un imprinting différent. Nous l’apercevons seulement après une longue pratique, les autres n’en ont pas la sensibilité et donc il est légitime que quelqu’un tombe dans la généricité d’une catégorie unifiée, « les Valdôtains », qui nous rend un peu indifférenciés aux yeux du monde. Mais, au moins entre nous, une certaine origine nous signale avec évidence une appartenance spécifique, qui nous rend encore plus riches dans le cadre des caractéristiques qui rapprochent le peuple valdôtain. 69 En décrivant les attentes pour l’année qui commence – pour ceux qui font de la politique, c’est un devoir d’office, surtout en ces premiers jours de janvier – il existe une série de pièges, qui passent par des mots dont l’utilisation paraît plutôt dangereuse ou ambiguë. Des mots qui risquent – tout en étant utiles – d’être abusés, dégradés et changés selon les situations. Prenons le mot « Paix ». Qui ne voudrait-il pas un 2007 à l’enseigne de la paix ? Seulement un fou belliciste ou un irresponsable virulent pourrait applaudir à la « Guerre ». Cela vaut aussi pour « Santé ». Lorsque nous cherchons un terme bienveillant, la « Santé » est au premier rang. Et d’ailleurs, qui pourrait-il militer dans l’équipe de la « Maladie » ? Et quoi dire du mot « Amour », extraordinaire panacée contre tous les maux du monde, qui souvent finit – tout comme une cerise sur le gâteau – dans les discours des personnes acrimonieuses et endurcies, dont le cœur ne bat plus depuis longtemps ? Ces paroles phares sont le prélude à un vaste équipement idéologique et rhétorique et représentent une sorte de manifeste, dénué de toute correspondance avec la réalité. Par ailleurs, bien souvent, le même terme peut avoir une utilisation merveilleusement multiple. Un exemple : un politicien qui dit qu’ « en 2007 la Vallée d’Aoste devra renforcer son autonomie » se situe apparemment sur un terrain stable et rassurant. Mais si parmi le public quelqu’un se lève pour demander des détails tels « quel genre d’autonomie ? », l’effet surprise pourrait être sidérant. Parce que – heureusement pour l’Uv et pour son futur – pour plusieurs personnes, « Autonomie » est seulement un titre, qui n’est pas automatiquement suivi par des faits qui se nourrissent d’idées et de convictions. Cela vaut aussi pour « Identité », terme qui donne de l’épaisseur à une communauté, mais il y a ceux qui utilisent ce mot sans en avoir conscience, tout comme s’il s’agissait d’un automatisme vidé de contenus. Un autre mot qui risque d’avoir différentes clés de lecture – comme s’il était un couteau suisse à tout faire – est « Démocratie ». Un concept noble et très ancien, qui donne de la substance à des siècles de recherche de la vérité, comme une flamme de plus en plus étincelante malgré les difficultés. Toutefois, il y en a qui utilisent ce mot en agitant des drapeaux ou en prononçant des slogans qui n’ont rien à voir avec les graines qui font pousser la plante de la démocratie, bien au contraire. « Fédéralisme » : voilà un autre terme qui change comme la lumière de l’aube au coucher du soleil. En 2006, ce mot, auquel correspond une définition bien précise, a acquis une définition différente par rapport à 2005 et si nous remontions le temps – je pense aux années 1919, 1943, 1960, 1985 ou 1992 – il aurait une signification différente d’année en année. En 1919, un fédéralisme de type européen se diffuse afin de contraster la plaie nationaliste qui débouchera dans la deuxième Guerre mondiale. En 1943, le fédéra70 lisme est le dessein antifasciste et clairvoyant de la Déclaration de Chivasso inspirée d’Emile Chanoux. 1960, 1985 et 1992 marquent des étapes d’un parcours qu’est le nôtre : l’UV est le seul Mouvement politique qui a cultivé avec conviction le fédéralisme, jusqu’à la proposition constitutionnelle de réforme fédéraliste. L’apogée d’une action politique, bien avant que le fédéralisme soit à la mode, de façon parfois déformée. Mais aussi 2005 et 2006 sont bien différents : à partir de 2006 on a assisté à un véritable changement de mentalité, qui ressurgit d’un sursaut centraliste qui inquiète et fait table rase de ce peu de fédéralisme qui pouvait se faufiler à l’horizon. Les mots vont et viennent. Il en sera ainsi en 2007 aussi. 71 73 décembre Roulement de tambours ! L’atmosphère est celle des grandes occasions et le risque de se répéter guette ceux qui aiment noter leurs pensées. L’originalité est difficile surtout parce que Noël – avec les souhaits, la crèche, l’arbre, les cadeaux, la Messe de Minuit, les grandes bouffes – se fête selon un scénario dont le succès réside dans sa rassurante routine. Tout le monde – que ce soit dans les habitudes qui deviennent des traditions et vice-versa – retrouve soi-même ainsi que le cadre de référence de cette festivité. Ce qui surprend les passionnés de lecture, c’est qu’on n’en finit jamais de creuser sur un certain sujet. Ainsi, dans le livre de Jean-Louis Beaucarnot, titré « Comment vivaient nos ancêtres ? » ( sous-tire « De leurs coutumes à nos habitudes » ), édité par JC Lattès, nous trouvons des idées intéressantes. Pour commencer : « Le nom même de la fête se perd dans la nuit des temps chrétiens. Vient-il d’une simple interjection d’allégresse : Noël ! Noël ! n’ayant d’autre valeur qu’Alléluja, ou bien du latin natalis dies qui signifie ‘jours de naissance’ évoquant l’anniversaire de la naissance de l’enfant Jésus ? ». Le même auteur rappelle que cette date de naissance a été assez mobile jusqu’au moment où un Pape, en 354, a fixé en toute autorité la date du 25 décembre, qui coïncide – et ce n’est pas un hasard – avec la dernière nuit du solstice d’hiver. Beaucarnot explique : « Au risque d’étonner, je peux presque dire qu’il y a une généalogie. Depuis longtemps, en effet, les fêtes solsticiales, appelées saturnales par les Romains, sont prétexte à des distributions de cadeaux. Dans l’Europe du Nord, ce rôle revenait à Odin alors qu’à Rome la déesse Sabine Sternia distribuait des cadeaux de bon augure qui sont à l’origine du nom de nos ‘étrennes’ ». Cela vaut bien évidemment, selon la même dénomination latine, pour notre terme francoprovençal étrèina, dont découlent les souhaits que nous faisons en Vallée d’Aoste le premier jour de l’an : Treìnadan ! Mais avec le christianisme, est-il de savoir qui apporte les cadeaux ? Le livre raconte que chaque pays et chaque région avait ses saints : sainte Barbe en Autriche, sainte Catherine en Catalogne, les rois mages en Espagne. Dans nombre de régions françaises, c’est le petit Jésus en personne, et je crois ne pas me tromper lorsque je dis que c’était ainsi chez nous. Il l’était certaine75 ment pour ma génération, avant que le Père Noël – qui est né aux Etats-Unis seulement en 1822, à partir de saint Nikolaus ( le saint qui offre les cadeaux aux enfants de notre communauté walser ! ) – se confirme comme le protagoniste indiscutable des dons de Noël. Mais Beaucarnot reconstruit aussi une autre invention culturelle, qui témoigne comment les traditions les plus authentiques sont le fruit de stratifications complexes. Je me réfère aux rois mages, que nous plaçons dans nos crèches : « seul saint Matthieu en parle dans son Evangile, disant que « Jésus étant né à Bethléem de Judée, aux jours du roi Hérode, voici que les mages d’Orient arrivèrent à Jérusalem, disant ‘où est le roi des Juifs qui vient de naître car nous avons vu son étoile à l’Orient et nous sommes venus l’adorer.’ « . Nul autre texte n’en dit davantage. Au Vème siècle, ces mages, qui devaient être des savants ou des sages, deviennent tout à coup des rois. Au VIème, ils sont trois et reçoivent les noms de : Gaspard, Melchior et Balthasar. Au VIIème siècle, on retrouve leurs reliques et au XVème, on sait d’où ils viennent : Melchior d’Arabie, Balthasar de Chaldée et Gaspard d’Ethiopie. Il est Noir ! ». Quel merveilleux métissage d’histoires et de cultures ce Noël : j’espère qu’il soit beau et joyeux pour toute notre communauté et pour chacun d’entre vous, mes chers lecteurs. Si je devais avouer le thème de perspective qui me tient le plus à cœur et que j’estime le plus important de l’année qui se termine, je n’aurais aucun doute : l’Eurorégion AlpMed. Je résume les épisodes précédents. Gustavo Malan – un vaudois extravagant, le plus jeune parmi ceux qui ont participé à la Déclaration de Chivasso en 1943 – racontait qu’Emile Chanoux lui avait parlé d’une République du Mont-Blanc, qu’aujourd’hui nous pourrions définir transfrontalière. Une sorte de petit Etat qui représentait une alternative aux anciens Etats, avec deux soucis : d’une part, être respectueux de l’aire linguistique francoprovençale et, d’autre part, se souvenir des traditions de la maison de Savoie. Avec la Vallée d’Aoste, une République du Mont-Blanc ne serait pas imaginable sans la Savoie et les cantons romands. Et maintenant, tout comme dans une machine à remonter le temps, revenons brusquement à nos jours. La perspective actuelle regarde à l’Europe. A la différence du Traité de Rome de 1957, où la logique des Etats triomphait, le régionalisme – lentement mais inexorablement et avec des hauts et des bas – s’affirme comme une logique qui est également alternative en ce qui concerne le rapport entre les populations que l’Histoire a placé dans des Etats différents. Tout cela se passe aussi dans notre aire géographique. Reprenons notre machine à remonter le temps : il y a 25 ans ( soit le 2 76 avril 1992 ), sous l’impulsion d’un débat qu’à l’époque venait du Conseil de l’Europe, la Cotrao ( Communauté de travail des Alpes occidentales ) voyait le jour. Ses membres : les toutes nouvelles régions françaises de Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur, le Piémont et la Vallée d’Aoste en Italie ( dans les faits la Ligurie n’a participé qu’à quelques projets ), les Suisses des Cantons du Valais, de Genève et de Vaud. En dehors de deux études Interreg, l’un sur les risques naturels et l’autre sur le tourisme, Cotrao est bien morte et ensevelie, en raison aussi d’un statut juridique incertain. Ceux qui me connaissent savent que, depuis des années, j’estime tout à fait illogique et négatif que notre aire historique et géographique languit alors qu’un peu partout en Europe les Eurorégions se multiplient. J’avais donc demandé, à tous les niveaux, d’entreprendre à nouveau le chemin amorcé, soit en suivant l’évolution juridique de la coopération dérivant du Conseil de l’Europe ( les mises à jour périodiques de la Convention de Madrid ) soit en parcourant l’évolution de la coopération transfrontalière dans l’Union européenne. Enfin nous y sommes. Un noyau historique ( Piémont, Ligurie et Vallée d’Aoste avec Rhône-Alpes et PACA ) est en train de reprendre le parcours, dont j’ai informé périodiquement les amis valaisans. D’abord à Turin, puis à Lyon et dans quelques mois à Aoste – pour la signature définitive ! – nous travaillons pour l’Eurorégion Alpes-Méditerranée avec un tout nouvel instrument européen – dont l’acronyme est GECT – qui a été approuvé l’été dernier. Le Groupement européen de Coopération territoriale – que j’avais soutenu avec force à l’époque où je siégeais au Parlement européen – permettra de créer une structure juridique pour les Régions dans le domaine de la coopération transfrontalière. Voilà ce qu’il fallait pour notre Eurorégion. Il faudra y travailler beaucoup et sérieusement afin de ne pas tomber dans le piège de créer une boîte vide, mais au contraire pour qu’elle nous aide à abattre définitivement les frontières, à être des Européens, à limiter les pouvoirs politiques centraux. Un bureau commun à Bruxelles, que nous aurons en 2007 avec le Piémont, Rhône-Alpes et PACA, ira dans cette direction. Et maintenant, au travail ! Au terme des Etats Généraux de la Montagne de Turin organisés par l’Uncem, qui réunit les communautés de montagne, j’ai décidé d’écrire une lettre à la main au président Enrico Borghi, que je lui ai remise directement sur place. Entre-autres, il est intéressant d’utiliser un moyen traditionnel. C’est un signe de discontinuité et de polémique apaisée à une époque où les congrès sont devenus une sorte d’étalage de sonneries de téléphone polyphoniques et terriblement bruyantes. Et quoi dire des coups de fil « cachés »de congressistes, qui ressemblent – dans leurs contorsions pour répondre au 77 téléphone – à ces types qui, dans le passé, utilisaient les cure-dents en se cachant derrière une serviette… Tout comme il faut ajouter les sms solitaires qui nous relient au monde, et au lieu de la solitude d’un fauteuil de congrès il y a, à présent, la connexion avec le monde ainsi que la tristesse ou le sourire qui n’a rien à voir avec ce que le rapporteur du moment est en train de dire. J’avoue que j’ai voulu écrire une lettre, parce que le fait de dire « écris-mois un mél » cache désormais un escamotage pour se libérer d’un casse-pied. Je propose cette lettre aux lecteurs du Peuple, car j’estime qu’elle représente une synthèse de quelques problèmes liés au futur de la montagne, ce qui est en grande partie le futur de notre communauté même. Cher Enrico, Nous nous connaissons depuis longtemps et je sais que nous croyons à la montagne, il est donc inutile de nous raconter des trucs que nous connaissons bien. Tu permettras cependant à un vieil ami de relever combien souvent nous nous débattons entre deux extrémismes opposés. Le premier a deux visages. Commençons par l’abstraction parfaite, qu’assume la montagne dans l’avenir : paradisiaque, tout près de nous. Certainement lié à la large bande, parce qu’au Paradis la fracture digitale n’existe pas… Le deuxième visage, c’est le pessimisme cosmique, qui condamne la montagne à un marais stygien : un petit enfer, aujourd’hui et ici. Et ça sent le soufre ! Le deuxième extrémisme est aussi double. D’un côté, la bonne loi des Finances, de l’autre, la mauvaise. Dans une sorte de théâtre des marionnettes, on se bat à grands coups selon la position du moment au sein du Parlement, tout comme si la loi des Finances était une Bible taillée dans la pierre et non pas un impressionnant tome de papier que l’on vote chaque année. Et alors, il y a une troisième voie : le réalisme, qui ne devrait être rien d’autre que la normalité. En bref : une directive européenne très nette à même de classer la montagne une fois pour toutes et d’imposer une attention particulière aux territoires de montagne dans nombre de matières : aides d’Etat, politique de la concurrence, télécommunication, transports et ainsi de suite. Et encore : une loi sur la montagne en Italie liée aux réelles compétences de l’Etat après la réforme du Titre V ( fiscalité, obligation de services publics directs ou par appel d’offre, réseaux ) laissant aux Régions, avec leur propre législation, le devoir de s’occuper de leurs montagnes avec une approche tout à fait originale. Certes, pour éviter l’isolement chaque montagne doit regarder aux autres montagnes, dans une logique – là où il est possible – transfrontalière, transnationale et même avec un esprit international ! Pourquoi ? Parce que les peuples de toutes les montagnes du monde sont similaires et doivent coopérer entre eux. Toutefois dans les Régions les montagnes doivent avoir des Communautés de montagne dimensionnées justement et supportant ces Communes qui agonisent. Je veux être clair : il existe un point de référence fort et clair et c’est la Décla78 ration de Chivasso de 1943. La logique était simple : s’il y aura les Régions – se référant à l’après-guerre – créons dans et pour les montagnes des Cantons avec des pouvoirs, des fonctions, des rôles véritables afin d’éviter que la montagne ne souffre. Une prophétie, un message en bouteille ! Les lois, les règlements, les décrets – de l’argent en plus, non pas l’aumône – ne suffisent plus si entretemps le montagnard s’effrite et avec lui s’en va la culture des montagnes. Avec un danger : que l’on parle encore dans le futur des problèmes de la montagne mais avec la nécessité – afin de se connecter avec un montagnard – de recourir à une séance de spiritisme. novembre «Potinier ». Il y a quelques jours, au cours d’une discussion, j’ai été apos- trophé avec cet adjectif, dans un moment d’évident nervosisme, par mon interlocuteur. Considéré qu’il ne s’agit pas d’un compliment, je me suis intrigué sur ce thème pour comprendre comment, autours de ce sujet, se croisent de nombreuses trajectoires. « Contar tuti i peti » : c’est ainsi que disent les Vénètes, voilà alors que la bruyante et puante étymologie est dévoilée. Il s’agit – tout comme pour le pet francophone – d’une dérivation onomatopéique, c’est-à-dire un mot formé par harmonie imitative et, dans ce cas spécifique c’est bien connu par chacun de nous, du moment que nous appartenons à la même espèce qui, avec Dante « del cul fece trombetta ». Le cas évident, toujours sur la question, c’est le bavardage du bavard, qui nait du ba-ba-ba des bébés ( qui font la bave… ) ; et que dire du cancan ( Fére un cancan di dzablo ! ) qui dérive – selon les interprétations étymologiques – du cri des canards ou des oies, animaux parfois associés au converser entre femmes ( commérage ). On pourrait alors s’orienter vers des chemins nouveaux ou anciens. La nouveauté, c’est la Conversational Hypertext Access Technology ( en acronyme Chat, francisé avec Clavardage ou...Bavardage au clavier ) et aujourd’hui le moyen est plutôt diffusé, même en Vallée. Il existe certains sites qui utilisent le réseau, normalement grâce à l’anonymat ou à l’utilisation d’un astucieux nickname, pour divulguer de nouvelles malicieuses ou sans fondement. C’est-à-dire – et voici le chemin le plus ancien – les rumeurs : « La rumeur 79 se murmure, se chuchote, serpente à travers toutes les couches de la société puis se gonfle et se répand comme une épidémie ». C’est ainsi qu’écrit Lydia Flem, tandis que son évolution – la légende urbaine – est décrite par Jean-Bruno Renard comme : « Un récit anonyme, présentant de multiples variantes, de forme brève, au contenu surprenant, raconté comme vrai et récent dans un milieu social dont il exprime les peurs et les aspirations ». Bref, le terme « potinier »dans la société actuelle est réductif. Entre le passé ( contes, mythes, légendes, anecdotes ) et le présent ( chat, messages téléphoniques, échange de courriel, jusqu’aux photos des portables ), de nouvelles formes de communication se répandent et s’accentuent. Ce n’est ni un bien ni un mal, il s’agit tout simplement de la réalité. Entre autres, dans le cas valdôtain, il vaut aussi ce qu’Alain Peyrefitte écrivait pour la France : « Le seul endroit où la communication résiste, c’est le bistrot ». La communication, dans ce cas, est en prédominance un bavardage ! Il y a quelques jours je pensais aux objets qui n’existent plus, signe évident que les années passent. En triste confirmation de ça, un ami qui travaille pour la Région et qui était mon camarade au lycée, m’a téléphoné et m’a dit gaiement « Il y a trente ans nous étions en voyage scolaire ». Une fois terminé de revivre les souvenirs joyeux, un voile de regret nous a rapprochés, et le croissant alibi – destiné à s’aggraver dans les prochaines années – que l’on peut être jeune à n’importe quel âge ( sic ! ) nous a peu confortés. Cette caractéristique consolatoire ressort à la fête des conscrits, où souvent, après cinq minutes, il paraît d’être retournés sur les bancs de l’école. Parmi les objets disparus, ou changés, ce sont les jouets qui me sont revenus aussitôt à l’esprit. Un cousin à moi, Giusi, savait construire des mitraillettes fantastiques avec une boîte de petits fromages et quelques morceaux de bois. La fronde et la sarbacane étaient les armes d’une véritable guerre entre bandes ( à Verrès on combattait sur une montagne dont le nom est représentatif : Mont Carogne ). Le vélo était un objet de culte, utilisé sur des routes moins dangereuses qu’aujourd’hui. Elles étaient si belles les automobiles du passé, elles étaient rangées dans de garages minuscules, et elles nous accompagnaient pour longtemps. Chez moi, il y avait l’automobile du travail de papa ( la 500 Abarth, pendant des décennies ) et la voiture familiale du dimanche ( normalement des modèles de la Giulia super de l’Alfa Romeo ). Je pense aux trains du passé : quand j’étais étudiant on voyageait sur les « littorine » ( qui remontent évidemment à l’époque fasciste ): les wagons des trains s’arrêtaient à chaque gare ( gares qui, aujourd’hui, sont pour la plupart fermées en Vallée ), et ces wagons étaient séparés par des compartiments qui paraissaient de vieux petits salons rococo. 80 Un autre objet disparu : le téléphone de l’époque. C’était un troublant et gigantesque instrument noir et pour appeler en « teleselezione » – je m’en souviens ! – il fallait se servir de l’intermédiation de gentilles standardistes. Pour ne pas parler des vieux jetons de téléphone et de l’appareil à déclenchement qu’il y avait dans les cafés, que l’on utilisait pour les coups de fils plus importants avec les copines. Et que dire des premiers portables, avec leur 337, désormais claqué, et de la mort désormais acquise du fax, qui semblait être une modernité destinée à durer longtemps. Et les télésièges d’antan ? Je me souviens qu’au départ de Weismatten, à Gressoney-Saint-Jean, en hiver, avant de monter on était équipé d’une couverture et je me souviens encore des « œufs » colorés qui montaient à Pila, partant d’Aoste, avec le vieux téléphérique. Et les skis, et les chaussures ? Les premiers, on aurait dit ceux de Zeno Colò, rien à voir avec les nouvelles techniques. Le lait, on l’emportait dans une petite casserole spéciale, le CocaCola avait une vieille bouteille fuselée, au cinéma on prenait seulement les bonbons, la télévision avait seulement deux chaînes en noir et blanc, les préservatifs on les achetaient seulement chez le pharmacien et l’éducation sexuelle passait à travers de grotesques journaux pornographiques ! Il est évident, aucun regret, parce que chaque époque a ses objets et aujourd’hui tout nous paraît plus étincelant. Mais, dans le cœur, restent – comme des photos dans le fond d’un tiroir – ces images flouées par le souvenir, qui évoquent, dans plusieurs personnes, des moments, des épisodes que malheureusement personne, sauf la mémoire, ne pourra nous rendre. Le temps présent est rapide comme un clin d’œil. Mais il est indispen- sable de se confronter avec l’actualité, en sachant que le temps s’écoule à grande vitesse, comme le sable dans un sablier. Il serait beau si l’on pouvait arrêter pour un instant ce temps bénit qui presse et de regarder une œuvre se réaliser, apprécier une idée, vivre un moment avant qu’il ne se soit enfui. En disant « Voilà, moi j’y suis », on exprime le sentiment extraordinaire d’une vie pleine, la vie de quelqu’un qui ne se laisse pas vivre banalement. Le Cardinal Mercier mettait en garde avec ces mots : « Je ne veux ni gémir sur le passé qui n’est plus, ni rêver follement de l’avenir qui n’est pas. Le devoir de l’homme se concentre sur un point, l’action du moment présent ». J’aime cette définition parce qu’elle donne le sens de la vie vécue et de la nécessité de se donner tout de suite et maintenant, conscients, justement, que le temps passe rapidement. Il est inutile de s’attarder dans le regret de ce qui fut, et c’est illusoire de tout renvoyer à l’horizon futur. Personnellement j’aime le passé s’il est utile au présent et aux actions qu’il faut mener aujourd’hui, tout comme, bien entendu, je lis et je respecte l’histoire et ses évènements, ainsi que les personnages qui les ont vécus. Et j’aime autant le 81 futur s’il est utile comme perspective temporelle pour réaliser concrètement des idées et des projets semés dans le présent. Il est clair que la logique « tout et tout de suite » est tout aussi superficielle et heureusement le temps nous permet de construire : voilà le pont idéal entre générations qui regardent en avant et non en arrière, parce que ceux qui s’arrêtent sont perdus… Par contre, ce qui est insupportable est ce que les latins appelaient « Laudator temporis acti », c’est-à-dire « Celui qui vante le temps jadis ». Expression utilisée par Horace dans son Ars poetica pour réprimer le vieux bougon. Voyons l’expression dans son contexte : « Difficilis, querulus, laudator temporis acti / se puero, castigator censorque minorum », c’est-à-dire : « Quinteux, plaintif, vantant sans cesse le temps passé lorsqu’il était jeune ; prêchant, grondant tout ce qui est moins âgé que lui ». J’avoue que lorsque je parle avec les jeunes je fais bien attention à éviter d’évoquer le passé de cette façon. C’est grotesque de vivre seulement en fonction des souvenirs, pour critiquer ce que l’on fait aujourd’hui au nom du passé, passé qui souvent apparaît plus beau dans la mémoire que dans le vécu. Entre autre, l’expression d’Horace s’applique désormais à tous ceux qui, jeunes ou vieux qu’ils soient, regrettent une époque heureuse du passé qui n’est plus là, et qui utilisent la mémoire de la même façon qu’un tueur utilise son pistolet. Je déteste cette sorte d’attitude destructive, parce qu’elle est banale, inutile et parfois pétrie de mauvaise foi. En effet, souvent, certaines difficultés du temps présent ne sont pas des inventions soudaines, mais elles sont provoquées, dans un rapport de cause-effet, par les choix œuvrés dans le passé et probablement par ce même « Laudator » qui le regrette et le célèbre autant. Bref, affrontons les problèmes et le présent qui englobe ces problèmes, dans un engagement qui matérialise notre action quotidienne et qui nous fait sentir vivants. L’esprit constituant est une tension morale, un désir de changement, la conscience qu’il existe des valeurs supérieures auxquelles se rapporter lors des moments de passage et qui doivent voler plus haut que les divisions et les disputes. C’est tout comme respirer de l’air pur face à la puanteur du marais, qui souvent nous coupe le souffle et nous déprime l’âme. Et ces valeurs supérieures sont la passion, l’ardeur et les rivalités qui ont marqué la période historique qui, à partir de la Libération de 1945, conduisait au Statut d’Autonomie de 1948. A cette époque, les Valdôtains meilleurs espéraient tenir les rênes de leur propre destin politique et constitutionnel, en croyant que les idéaux démocratiques si annoncés auraient donné pleine liberté au Val d’Aoste. C’était la période ou se croisaient des événements passionnants tels que 82 le Décret du Lieutenant, la naissance de notre Mouvement, les demandes de plébiscite et de garantie internationale, le premier Conseil de la Vallée ( il y a soixante ans, ces jours mêmes, Séverin Caveri devenait le premier Président unioniste de la Région ! ), les propositions statutaires à la Constituante et, enfin, le Statut d’autonomie octroyé, ainsi que l’effort pour que son application soit possible. Il faut alors se demander, en pensant aux évènements de l’époque et à la valeur personnelle des nombreux protagonistes de ces pages historiques, si, dans le contexte actuel – avec la réouverture du débat sur la réécriture de notre Statut d’autonomie – l’esprit constitutionnel est encore présent, ou non. Et surtout, il faut savoir si cela se produit non seulement parce que quelqu’un l’a déjà fait ( par exemple le Frioul-Vénétie Julienne ), ou est sur le point de le faire ( voir le cas de la Sardaigne ), mais parce que nous le considérons véritablement comme un élément indispensable pour notre futur. Et cela, en considérant que notre Statut, en tant que Constitution régionale, doit être réécrit parce qu’il est nécessaire et parce que les nouveaux contenus doivent apporter une nouvelle lymphe au traditionnel désir d’autogouvernement des Valdôtains. En pensant en particulier à la perspective européiste qui nous englobe et en regardant aux plus modernes modèles régionalistes et fédéralistes qui sont en train de s’affirmer dans le reste d’Europe. Si l’on regarde en arrière – je me réfère aux deux Commissions pour les réformes présidées respectivement par Robert Louvin et Roberto Nicco – les tentatives de réformes statutaires ont échoué, parce que le climat n’était pas propice et l’esprit constituant était de manière et non de substance. Si le débat est artificieux, le destin est marqué : discussions, réflexions, auditions et textes conclusifs sont tous destinés aux archives et aux tiroirs, trop souvent comblés de bonnes intentions, qui restent telles, et sont inutiles. Aux cours des prochaines semaines, avant de rouvrir le thème des réformes institutionnelles, il serait bien – pour éviter de perdre du temps et de l’énergie – de pressentir l’air des temps, en comprenant si les forces politiques et les personnes qui les représentent sont vraiment conscientes de la nécessité et unies dans la volonté d’avancer dans la reforme. Autrement, il vaut mieux de surseoir, mais en clarifiant bien les responsabilités de ceux qui ne veulent pas les réformes, et proposent des projets alternatifs plus ou moins compréhensibles, et certainement défavorables pour le futur de notre autonomie spéciale ; des projets qui souvent sont menés dans l’espoir, pas trop caché, de se débarrasser de l’Union Valdôtaine. Gouverner c’est lourd. Je ne me réfère pas aux journées de travail intenses, aux nombreuses réunions, aux déplacements nécessaires, à la longue liste de rendez-vous. Personne n’oblige personne et se poser en victime serait risible 83 face à un activisme qui doit être lié aux règles d’un jeu qui engage, obligatoirement, ceux qu’y participent. Et lorsqu’on est appelé à gouverner, on sait ( et on le sait avant de faire ce choix ) qu’il faut percevoir le bon et le mauvais qui se cachent dans l’exercice du pouvoir, tout comme il arrive quand on accepte des clauses contractuelles. Les heures, il ne faut pas les compter. Comme les jours fériés, qui, trop souvent, coïncident avec des engagements publics. Entre-autre, c’est bien connu, ce n’est pas un travail à temps indéterminé et personne ne peut nier les avantages et les rentes de positions. Travailler en mine, c’est autre chose… La fatigue vient plutôt des terribles résistances aux changements, qui rendent chaque chose plus difficile, et une promenade se transforme en course à obstacle. Chaque intention réformatrice risque de naufrager face aux attitudes conservatrices et aux conduites habitudinaires de ceux qui vivent aisément dans des situations rangées. Ceux qui veulent innover doivent subir les résistances, actives et passives, qui dilatent les temps décisionnels, et qui voudraient éviter, préalablement, chaque changement. Le scénario est ultérieurement aggravé par l’affaiblissement du sens de responsabilité et du sens d’appartenance. Ces deux sentiments, qui suscitent cohésion, sont désormais une denrée rare dans un monde adsorbé par le particulare, par l’intérêt circonscrit, par une logique corporative – syndicale qui œuvre tenacement à la défense des droits, mais qui parait timide et réticente face au chapitre des devoirs. C’est ainsi que le mot devoir, ou encore pire, obligation, est désormais devenus un gros-mots et tous ceux qui ont le courage de l’utiliser en public sont tâchés de passéisme. Le décideur se rend alors antipathique, parce qu’il voudrait troubler des équilibres révolus, des niches de bénéfices, des comportements anachroniques. Seulement aujourd’hui, alors que j’atteins mes vingt ans de carrière politique, je découvre que celui qui ne fait pas, celui qui ne s’exprime pas, celui qui reste immobile ressemble à ces insectes qui ont fait du mimétisme et de l’immobilité leur point de force, parce que personne ne les remarque, et donc personne – métaphoriquement – les bouffe. Cette neutralité décolorée, qui est une puissante assurance sur la vie, ne m’appartient pas. Mon moteur reste la passion et le désir de faire. En étant presque quinquagénaire, la vie me parait comme un film dont j’assiste au second temps, et donc je ne voudrais pour rien au monde sommeiller ou bâiller face aux évènements ou aux circonstances qui nécessitent des interventions ou des actions concrètes. La politique serait bien pauvre chose si la logique était purement celle d’un bon salaire, d’un beau bureau, de quelques petits voyages. Une grisaille misérable et une routine déprimante, qui n’ont rien à faire avec la logique profonde qui séduit chacun de nous dans l’espoir de laissetr une trace, voire seulement un mot, dans la longue histoire de notre Vallée. Pessimisme ? Jamais. Gouverner, c’est lourd, mais, comme on disait, c’est un devoir et une obligation. 84 octobre Nous étions en troisième secondaire à l’école de Verrès quand Rinaldo, qui avait un an plus que moi, perdit son père tout à coup. Lui, qui savait déjà faire le boucher, car, justement, son papa Guido lui avait appris le métier, décida de quitter l’école pour aller travailler. Son sourire et sa bonhomie simple et directe – qui est typique des « arnayots » – ont été les mêmes jusqu’à aujourd’hui, identiques à celles qui avait mon ami d’enfance. Je me souviens, comme aujourd’hui, combien m’avais frappé la mort soudaine de son papa et, comme il arrive quand on est gamins, je passais du temps à penser que j’aurais pu avoir le même sort. Nul n’aurait jamais soupçonné que le jour où il se trouvait obligé de relever la petite boucherie familiale il allait devenir ce que les américains appellent un « self-made man », un homme qui a construit son avenir seul. Il faut dire que le succès d’un homme est souvent dû à une femme et Marilena a été pour Rinaldo, non seulement l’épouse et la mère de ses enfants, mais également un énorme soutien dans le travail du couple qu’ils avaient su créer, toujours en bossant avec le sourire et des mots d’esprit. Même lorsque l’inattendue dimension industrielle et les forts investissements les inquiétaient pas mal, ils ont su conserver ce trait de leur caractère, en dépit de l’inauguration un peu à « l’américaine » du beau siège en pierre et bois. Siège où les touristes peuvent acheter de nombreux produits dans le point de vente, et observer à travers les fenêtres internes le travail soigné, entre tradition et modernité, qui transforme des matières premières pauvres – tout d’abord le cochon – en de merveilleux produits. L’enthousiasme et l’envie de faire ont été indispensables pour transformer une petite production dans le système industriel actuel et pour faire accroître un label, « Bertolin » d’après son nom, qui a porté son entreprise à se refléter sur la diffusion des produits valdôtains, autrement destinés à rester de niche. « Lo lard » avant tout. Je me souviens comme, dans l’ancien siège situé le long de la route nationale qui traversait Arnad, le dimanche surtout, de nombreuses voitures s’arrêtaient. Ils allaient chercher ce lard épicé et savoureux que Rinaldo brassait, avec de nombreuses autres charcuteries qui ont marqué le succès des produits Bertolin et ont été même célébrés par de grands experts tels que Luigi Veronelli, Edoardo Raspelli et Paolo Massobrio. Rinaldo – et moi pour lui – était resté toujours le même, à l’instar de ce 85 qui se passe, magiquement, pour les amitiés qui naissent au plus jeune âge. Entre nous, peu de mots suffisaient pour expliquer des situations ou des états d’âme. Pour lui, la politique, et son bien-aimé Union Valdôtaine, était un point fondamental dans la vie. De temps en temps je lui disais : « Tu es devenus célèbre, un jour ou l’autre, après la Chambre de Commerce, tu finiras au Conseil de la Vallée ! » Et lui, il secouait sa grosse tête en me disant : « Ne dis pas des bêtises, je dois encore faire beaucoup de saucissons ». Dans le Paradis des bouchers, il pourra continuer à faire son travail avec son papa, en bavardant en patois d’Arnad et en pensant au destin qui les a unis, avec leur cœur qui s’est arrêté trop vite. L’Union européenne continue son chemin d’intégration, commencé ti- midement il y a 50 ans et poursuivi entre plusieurs hauts et bas, et qui a eu récemment une forte impulsion avec le passage à 25 Pays. Une histoire charmante, surtout parce qu’elle est née de l’horreur des guerres mondiales et de la conscience que la politique est le seul remplaçant à la folie dans les champs de bataille. Au contraire, le processus d’unification est toujours en cours, puisque les deux Pays retardataires dans le processus d’élargissement, la Roumanie et la Bulgarie, ont été enfin promus eux aussi, et à partir du 1er janvier ils rentreront dans la grande famille européenne. D’autres pays frappent à la porte : les Pays balkaniques comme la Croatie, la Turquie qui est en pré-adhésion, et il y a des états qui se sont poussés jusqu’à ouvrir le débat sur un élargissement – tout politique – vers Israël et ceux auxquels ne déplairait pas l’ouverture vers la Russie. Pour le moment conformons-nous à l’actuel rangement qui a beaucoup changé l’aspect de l’Europe, surtout avec l’entrée des anciens Etats communistes du centre et de l’est de l’Europe. Il s’agissait d’un acte de justice mais aussi d’un investissement pour le futur. Il faudra en effet encore quelques années et plusieurs difficultés pour absorber cet élargissement si brusque, rendu pourtant indispensable par la nécessité que les poussées antidémocratiques auraient pu créer des turbulences au reste de l’Europe. Fixer les wagons de ces Pays au fragile locomoteur européen comportera des coûts et des risques, mais l’alternative était une fragilité dangereuse de ces jeunes démocraties avec un effet de balkanisation assez négatif pour le Vieux Continent. Toutefois, le locomoteur avance péniblement parce que les Traités, qui sont le moteur, perçoivent le poids de l’âge et les mécanismes institutionnels, comparables à ceux d’une montre qui, à cause de leur complexité, risquent de ne pas fonctionner. Le fantôme qui incombe est celui de la paralyse et cela arrive pendant qu’il existe une brise antieuropéenne qui croît avec force 86 dans le temps. Tous à Bruxelles connaissent la solution : reprendre la discussion sur la Constitution européenne ou, comme on la définit avec plus de précision, le Traité constitutionnel. Repoussé en France et dans les Pays Bas avec un référendum – un instrument précieux mais souvent dangereux en démocratie, parce qu’on utilise d’avantage le ventre en dépit du cerveau –, le Traité est resté dans les tiroirs, pendant que l’Europe avance péniblement et ralentit plusieurs choix politiques. Comme dans une navigation dangereuse, les décideurs européens naviguent à vue, parfois comme si la route n’était pas connue aux capitaines, parce que l’impératif absolu est d’éviter les secousses et la rupture. Un sujet inconfortable et un dossier contrasté sont de préférence laissés de côté. On gagne de l’harmonie mais on perd de l’efficacité. De plus, dans plusieurs Pays – pensons à la France, à l’Allemagne ou à l’Italie – le trait distinctif est l’instabilité interne et cela rend encore plus difficile le débat européen. Cela comporte une série de risques : le pire est celui que, malgré tous les efforts faits, se forme une agacement vers le processus d’intégration européenne et par conséquent l’original dessin d’intégration puisse se bloquer et commencer à se cliver et que les Etats nationaux, affaiblis en haut par l’Union européenne et en bas par la vague régionaliste, relèvent la tête. Par contre il n’existe pas d’alternatives à ces deux forces apparemment en opposition et en réalité fortement complémentaires : l’unité dans la diversité. Les Régions sont comme les veines qui portent partout le sang dans un organisme et dessinent une nouvelle carte géographique de l’Europe, à condition qu’entre temps l’Europe ne perde pas la boussole d’un entendre commun. Les Etats – et l’Italie en est un exemple admirable – gardent bien fort, dans leur ADN, le concept de frontière. Dans les passages entre les Pays membres, les douaniers et les contrôles de police disparaissent mais ces frontières restent dans la tête et dans les comportements. Il s’agit d’une une sorte de vice invétéré, d’une réaction automatique, d’un préjugé dur à mourir. Prenez les rapports et les études des différents Ministères en Italie : c’est épouvantable de constater que jamais, même par erreur, on se réfère à un centimètre au-delà de la frontière de l’Etat. Le territoire d’un Pays semble terminer tout à coup dans un abîme sans tenir compte d’une dimension plus ample. Une carte géographique puérilement découpée avec les ciseaux en évidente contradiction avec l’intégration européenne, mais cela ne frappe pas parce qu’une vision nationaliste souvent défie le bon sens. La même chose vaut pour l’attitude dans les réunions officielles, où le protocole – je le vois, par exemple, dans les conférences intergouvernementales du Tunnel du Mont Blanc – n’est pas dissemblable de celui du dixneuvième siècle et il y a les délégations officielles avec les petits drapeaux et les règles du savoir-vivre désormais moisis. A la limite de la farce, il y a la 87 rigidité nationaliste de la Convention alpine, où les fonctionnaires ministériaux dissertent sur le futur des Alpes qu’ils n’habitent pas et que parfois ils ne connaissent même pas. Absents, parce que les représentants des Régions alpines ne sont jamais prévus : des objets mais pas des sujets ! Ainsi, en contrastant ces mentalités anachroniques, nous sommes les vrais et naturels transfrontaliers, populations nées et vécues aux frontières, portées à réfléchir en pensant aux confins comme un élément artificiel et aux territoires voisins comme un achèvement et non comme un espace adverse. Les problèmes, les idées, les échanges, les personnes, les langues brisent les vieilles cartes géographiques et les attitudes passéistes. Les Régions sont le niveau de Gouvernement qui incarne naturellement l’esprit en faveur de l’Europe, si loin dans la vision conservatrice et un peu hébétée des Capitales des Etats. La langue française, dans notre espace géographique, est une très grande valeur adjointe qui unit et cimente le dialogue. Pour nous, il s’agit heureusement d’un acquis, mais il ne l’est pas du tout, et maintenir cette spécificité nous ouvre à la confrontation. Tant qu’on plaisante, tout va bien, mais ça suffit. Cette histoire des valdô- tains privilégiés m’a vraiment irrité et j’invite tout le monde à ne pas sousestimer les conséquences. Il s’agit d’une petite brise qui se transforme en vent et souvent en tempête. Généralement on commence de loin avec un seul mot qui est déjà une condamnation : riches. Comme si le bien-être était quelque chose dont on doit avoir honte, et comme si les Valdôtains étaient des oies aux pattes clouées, gavées par la généreuse Italie. Ensuite, on passe aux coups bas : privilégiés. En méprisant – voici le raisonnement – chaque concept d’égalité, suite aux favorables et inconvenants événements de l’histoire, les Valdôtains ont gagné à la loterie et ils obtiennent de l’argent de la part de Rome comme des scheiks de Bagdad. Après avoir construit ce cadre, qui est un mélange entre des calculs statistiques, des envies moisies et une dose importante d’indifférentisme, se lève, par conséquent, l’exigence réparatrice. Ça suffit avec ces privilèges ! Il faut trouver un remède à une ancienne erreur et priver les valdôtains de ces richesses, ces avantages, ces gratifications. Ceux qui sont plus idéologiques précisent : une importante diminution aux transferts financiers permettra de couper la tête au serpent ! C’est-à-dire au système unioniste dans sa complexité. Pour mieux comprendre : il est préférable d’avoir une autonomie pauvre et sans moyens, parce que cela permettra une sorte de catharsis. Finalement une sorte de repentir collectif et de contrainte salutaire. Certains raisonnements indignent et montrent le vrai visage de nombreux adversaires que l’autonomie spéciale continue à avoir. Certains semblent les 88 kamikazes des Tours Jumelles, prêts à s’écraser avec leur avion sur les valeurs de l’autonomie – en premier l’autonomie financière – afin de voir s’écrouler les conquêtes de l’autonomie. Un jeu au massacre qui étonne et indigne, et auquel il faut réagir, en se rappelant les droits et les devoirs de notre autonomie. Un ensemble de règles juridiques et de valeurs qui ne sont ni des caprices ni des étrangetés. Il ne faut jamais accepter la diffusion des bavardages anti-valdôtains, de la parole qui devient une vérité absolue. Répondre coup sur coup, dans un bar comme dans les institutions, est une obligation pour nous tous. Il en est de notre crédibilité. septembre Il est sage de se rappeler que personne n’est propriétaire de la Vallée d’Aos- te. Nous sommes tous de passage comme nous sommes dépositaires, pendant une certaine période, de notre territoire et de notre culture. La constatation est banale et elle est liée à la logique qu’on pourra définir de la chaîne. Génération après génération, chacun d’entre-nous n’est qu’un anneau de la chaîne qui unit le passé et le futur. Et cela arrive, malheureusement, dans un horizon temporel limité. C’est notre vie, suspendue entre ce qui s’est passé avant et penchée vers ce qui viendra. S’il n’en était pas ainsi, il serait assez triste vu la brévité de notre existence, alors que nous avons une solide responsabilité, dont nous sommes dignes, vis-à-vis de nos ancêtres et des gens qui viendront, en commençant par nos enfants et nos petits-enfants. La forme la plus solide de reconnaissance est de laisser de bonnes conditions et d’améliorer ce que nous avons trouvé. Certes, au cours du long parcours millénaire de l’histoire valdôtaine, il y a eu des moments meilleurs et d’autres pires, des périodes où tout se passait bien et d’autres assez difficiles, des jours tristes et d’autres joyeux, des phases innovantes et d’autres consevatrices. Chacun, à son tour, hérite et laisse quelque chose, en caractérisant ainsi sa propre présence. Laisser une trace, même infinitésimale, est une juste ambition. Cela s’applique aussi à notre Mouvement politique, composé de personnes, de dirigeants et de militants simples, et né grâce à l’humus, voisin et éloigné en même temps, de l’identité autonomiste et libertaire de notre peuple. En 1945, il y avait ceux qui étaient déjà vieux et ceux qui, à l’époque très jeune, sont encore aujourd’hui un témoignage de ces événements. Il y a 89 ceux qui ont adhéré à l’acte de fondation et puis ils ont quitté le Mouvement. Il y a ceux qui ont choisi à droite, le Rassemblement Valdôtain et à gauche, l’Union Valdôtaine Progressiste, différents parcours qui sont devenus de nouveau coïncidents à partir de la fin des années Soixante-dix. Il y a enfin ceux qui ont été toujours inscrits fidèlement au Mouvement et ceux qui ne l’ont jamais fait, mais ils ont toujours voté en faveur, en permettant l’affirmation de nos idées. Pour cela, je ne comprends pas ceux qui laissent l’Uv, souvent après avoir eu, grâce à ce Mouvement, des reconnaissances et des charges. Briser une chaîne générationnelle, en chevauchant la logique destructive, est grave et ceux qui le font, se trompent. L’alternative reste le dialogue. Les protagonistes de la Résistance en Vallée d’Aoste nous laissent l’un après l’autre. Doucement mais inexorablement ces gens, désormais des grands vieux, laissent la scène et nous privent des leurs si précieux témoignages directs. J’espère qu’il existe vraiment un Paradis où plusieurs amis puissent se retrouver. Ici je rends hommage et j’honore la mémoire du cher Comandant Loris, mon oncle Ulrico Masini, partisan combattant de Justice et Liberté et l’un des premiers unionistes. S’inscrire dans la section unioniste de Donnas en 1946 était un choix courageux, mais un partisan comme lui – homme fort e méprisant du danger – était un valdôtain fier de son peuple et de sa terre et le choix unioniste rentrait dans ce sillon ( son jugement, même très récemment, vers ceux qui laissaient le Mouvement, était dur et sans appel ! ). Ses récits relatifs à la Résistance, limpides et sans censures, m’ont formé profondément. Sa Résistance n’était pas un récit de carte postale illustrée. Il s’agissait d’aventures pétries de peur, de souffrance, de douleur. Les partisans n’étaient ni des icônes ni des images : il y avait les bons et les méchants, la guerre entre les bandes était une triste réalité et il fallait malheureusement tuer l’adversaire nazi ou fasciste : mors sua vita mea. L’espoir d’une Vallée d’Aoste plus libre, celui du cher Commandant Loris, n’était pas partagé par tout le monde. Au contraire, il rappelait comme la trahison d’Emile Chanoux s’était produite de la part de ceux qui craignaient sa primatie déterminée et son assassinat dériva aussi du le désir de se libérer d’un homme excessivement charismatique pour les valdôtains. Ces hommes ne doivent pas être oubliés. Ils n’ont jamais dû cacher leurs idées. Maintenant qu’on découvre – c’était une polémique estivale – que l’écrivain allemand Günter Grass, maître à penser de la gauche, s’était enrôlé dans le Waffen-SS, en le cachant pendant 60 ans, il est nécessaire que certains thèmes soient tenus en considération. Bien sûr, se tromper de front n’était pas impossible : je me rappelle la souffrance avec laquelle Jean Pezzoli, qui dans 90 l’après-guerre a beaucoup fait pour notre culture, se souvenait de son choix juvénile d’adhésion à la République sociale. Mais il ne l’avait jamais caché. Donc, les 60 années passées ne signifient pas du tout oublier. Nombre de protagonistes des vicissitudes successives au 8 septembre 1943, pendant les années précédentes, s’étaient penchés en faveur du fascisme, peut-être pour faire carrière académique dans l’Université ou pour bien paraître aux yeux du régime fasciste. Le fait de les rappeler est positif : ce sont des parcours de vie ou de conversation diplomatique utiles à comprendre. Mais cela valorise, à plus forte raison, les premiers antifascistes, ceux qui – avec leur choix – ont permis aux antifascistes successifs de pouvoir compter sur quelques espaces de comparaison et de ne pas se trouver dans un vide d’idées. Aujourd’hui, beaucoup de démocrates, qui probablement se moquent de ceux qui utilisent comme moi l’histoire familiale, peut-être, ne peuvent pas faire la même chose, parce que pendant ces derniers vingt ans les choix de certains parents ont été une évidente compromission avec le régime fasciste. Personne ne répond du passé, pour la charité, le bon goût inviterait à être prudent en montrant une fièvre démocratique et en étant les paladins inoxydables de l’étique politique, comme si rien n’était arrivé. Dans nos raisonnements, le passé, le présent et l’avenir s’entremêlent autour des 60 ans d’autonomie. Et nous ne sommes pas les seuls dans ce cas : au début de la semaine dernière, j’étais à Trente, et là-bas tout comme chez nous, l’on discute des événements qui sont nés de cette période de grands bouleversements qu’a connu le pays, entre la Libération et l’adoption par la Constituante des Statuts d’autonomie. Là-bas – tout comme nous le faisons – les gens du Tyrol du Sud, les Autrichiens, les Italiens de Bolzano et ceux du Trentin qui ont plus ou moins de sympathie pour De Gasperi posent sur ces événements un regard différent, qui varie en fonction du point de vue de chacun, de ses idées, de ses convictions et de ses préjudices et bien sûr de son idéologie. Mais que dire du passé ? D’abord qu’avec des « si » on n’aboutit pas à grand chose. Si le décret du Lieutenant du Royaume avait fait l’objet d’un débat avec la communauté valdôtaine, l’Union Valdôtaine n’aurait jamais vu le jour. Si mon oncle Séverin avait été le premier président de la Région… ou si, au contraire, Frédéric Chabod était resté à la Présidence… Si, à la conférence de paix de Paris, De Gasperi avait dit « Concluons un accord De Gasperi-De Gaulle pour donner à la Vallée d’Aoste une garantie internationale »… 91 Et d’autres « si » encore : si Chanoux n’avait pas été assassiné, si un plébiscite avait été organisé… Et j’en passe… Mais ce ne sont là que des exercices de style, des simulations. Par ailleurs, nous devons aussi considérer que le décret du Lieutenant du Royaume n’occupe plus aujourd’hui la même place qu’autrefois dans l’histoire. Ce n’est plus un fait isolé dans le contexte de l’après-guerre parce qu’aujourd’hui, nous connaissons les contenus du Statut, nous savons quelles modifications ont été apportées, quelles dispositions ont été appliquées et quelles autres ont demeurées lettre morte. Nous savons que notre Statut et ses dispositions d’application – dont différentes délégations de pouvoir ont étendu la portée à des matières qui ne figuraient pas dans le document initial – ainsi que le décret du Lieutenant du Royaume et les autres décrets pris avant l’adoption de ce texte constituent ce que le nouvel article 48-bis appelle « l’ordre juridique de la Vallée d’Aoste ». Cet ordre juridique, qui a déjà changé de nature et de substance, continue d’évoluer, chose logique pour une autonomie « dynamique » : il suit les changements qui affectent les institutions et la politique de Rome ( il semble qu’aujourd’hui, par exemple, la mode du fédéralisme doit être suivie d’une nouvelle phase centralisatrice ) mais doit également tenir compte du processus d’intégration européenne, avec tout ce que ce dernier peut comporter en termes de superposition de compétences et d’opportunités. La tâche de comprendre le passé reste, aussi pour remarquer les torts subis par les Valdôtains sur lesquels il n’existe ni l’oubli ni l’armistice. Le régime fédéraliste s’évapora en 1945 dans l’actuelle autonomie et cela explique les jugements sur la faiblesse du décret du Lieutenant du Royaume mouillé par le travail des ennemis de la Vallée avec les bien connues complicités locales. L’UV naquit comme réaction et pour organiser politiquement le malaise. Les Valdôtains, privés de plus d’une garantie internationale, se trouvèrent seuls face à une Italie en rien désireuse de donner un caractère concret à notre autonomie ( pensons à la zone franche ! ). Pour cela, au nom de la dignité, nous devons travailler sur le nouveau Statut, reprendre la voie d’une autonomie qui change dans le scénario italien, européen et mondial. Chaque génération a sa bataille, dans le sillon des règles démocratiques, au nom et pour notre Pays. J’espère sincèrement que la Fête de la Vallée d’Aoste puisse, dans le temps, devenir une tradition et il faut un effort personnel de la part de chacun pour que cela se réalise. J’en serais fier parce que je trouve que, dans la loi régionale sur les signes distinctifs, cette nouveauté est la plus importante, bien sûr, à condition d’en savoir apprécier la logique d’unité, au-delà – pour un moment, au moins ! – 92 des divisions. Dans cette phase historique, ce n’est pas ma tâche d’expliquer à quel point on en ressent le besoin, comme une sorte d’antidote à certains poisons assez dangereux pour notre destin collectif. Découvrir ce qu’unit, est beaucoup plus salutaire que passer le temps à chercher des occasions de conflit interne, qui souvent résultent inutiles et captieuses. Depuis plusieurs années, je pensais à cette nécessité d’agrégation : une date pour exprimer – entre le caractère officiel avec son protocole et la participation populaire avec sa spontanéité – les valeurs dont la Vallée d’Aoste est le messager. Le 7 septembre, jour de Saint-Grat ( Patron de la Vallée ), journée pendant laquelle se tenaient les audiences générales des Savoie dans le Duché d’Aoste et date du Décret du Lieutenant du Royaume de 1945 ( dont naquit, pour réaction, l’Union Valdôtaine ! ), a été la date choisie pour l’ensemble des moments culturels, commémoratifs, ludiques qui rythmeront cette journée, mais aussi les précédentes et les successives. Certes, l’occasion est utile aussi pour réfléchir sur comment chacun peut librement interpréter cette nouvelle fête. Personnellement, j’estime que la diction Fête nationale est parfaite. Je comprends comment les sensibilités soient différentes. Institutionnellement la Vallée est une Région autonome fondée par des normes constitutionnelles valides en Italie et en Europe. Cette légitimité juridique n’éteint pas, à mon avis, dans une logique fédéraliste, le sens de nation que les Valdôtains expriment comme peuple et comme communauté politique. En Europe, j’appartenais à un intergroupe au Parlement européen appelé Nations sans Etat avec les Ecossais, les Gallois, les Catalans, les Galiciens, les Basques... Il y avait dans la définition, pour ma façon d’être, une certaine ambiguïté. Aussi bien le terme Nation, que le mot plus neutre Patrie –prononcés aujourd’hui et nettoyés de l’usage fait par les totalitarismes n’ont rien de subversif. Le terme Etat est plus difficile à utiliser pour un fédéraliste qui voit dans l’Etat ce Moloch naturellement centraliste et allergique à chaque diversité et à chaque différente revendication identitaire. Mais ce qui compte vraiment, c’est que chacun, fort de ses convictions, puisse s’y reconnaître : du léger régionaliste au convaincu, de l’autonomiste militant au fédéraliste dur et pur, des Chevaliers de l’Autonomie aux Amis du Val d’Aoste ( les deux nouvelles décorations régionales pour les citoyens valdôtains et pour les citoyens valdôtains honoraires ). La voie de l’autodétermination, qui est longue et tortueuse, désormais solidement ancrée à une vision panaeuropéenne qui évite le germe du micro-nationalisme et de la balkanisation, passe avant tout par la pleine conscience de soi, d’un peuple dans le respect des propres droits et des règles démocratiques. Ainsi la Fête doit être une occasion…de fête, mais avec le cœur et avec la tête, en sachant qu’il s’agit d’une occasion de plus pour apprécier les racines qui, du passé, nous ancrent solidement à la contemporanéité. 93 août La naissance d’un nouveau parti, qui s’est baptisé Renouveau Valdôtain, arrive à la fin d’une série de parcours politiques bien différents de ses principaux représentants, qui avaient eu des postes de responsabilité, surtout dans le passé, dans l’Union Valdôtaine. Certains, à vrai dire, n’étaient déjà plus inscrits depuis longtemps et ils attendaient la bonne occasion pour former une groupe : ils l’ont trouvée, en regroupant les amis, la famille, les sympathisants. La politique ressemble à une drogue et certains ne peuvent vraiment pas s’en passer... Je crois qu’on doit respecter les choix de chaque personne. La comparaison doit être toujours fondée sur les idées et sur les projets; les conflits personnels sont peu de chose, et ceux qui misent tout sur le côté personnel, sont destinés à ne pas aller loin. La logique ami-ennemi dans l’UV tend à exacerber les esprits et elle ne sert à rien, sinon à jeter de l’essence sur le feu ; et plus le temps passe et plus je trouve que pour le bien de la Vallée il faut isoler les incendiaires ( et aussi les empoisonnés de leurs malchances personnelles ) et valoriser les pompiers ! Ce dit, il ne faut pas cacher la réalité d’un choix très grave. Voilée de nobles idéaux, une rupture s’est consommée et cette fracture n’a entraîné rien de bon, il suffit de jouer sur l’équivoque « nous sommes les vrais unionistes » ou bien « je reste quand même un unioniste ». Ce sont des expressions malheureuses que j’ai entendues de mes propres oreilles, et qui créent de la confusion et personnellement elles m’énervent parce qu’elles montrent une profonde mauvaise fois. Personne n’est dépositaire des valeurs unionistes, seulement l’Union valdôtaine peut l’être, l’Union valdôtaine entendue comme Mouvement politique, opportunément réglée par de perfectibles règles démocratiques internes. Cette tentative de distinguer les « bons » ( eux ) et les « méchants » ( nous ) me paraît sincèrement pathétique. Il s’agit d’un jouet au massacre qui ne mène nulle part et qui m’indigne. Le peuple valdôtain doit réagir à la graine de la discorde. Il y a quelque chose d’affreux et de grossier dans le désir, souvent de vengeance, de frustrations personnelles, de jouer contre, une force autodestructrice aveugle et porteuse de ruine outre que de mise en discussion des principes qui fondent l’autonomie. Certains sorciers ou apprentis sorciers peuvent déclencher des processus d’opposition très graves en commençant ainsi une sanglante guerre au le cœur de notre communauté et nous le verrons bientôt dans plusieurs com94 munes. A en profiter, comme il s’est déjà produit, nos ennemis de toujours, émus depuis la naissance de Renouveau, utile cheval de Troie dans la citadelle de l’autonomie. Je le répète : parmi les enthousiastes du présent se cachent quelques-uns de nos ennemis depuis toujours ! Il faut le dire clair et fort. Dans ce climat, on avertit une haine et une âpreté personnelle qui finissent par éteindre toute lumière de dialogue dans une rancune forte et bruyante, qui a des traits d’irrationalité. Les valeurs morales, dans une logique de vengeance, s’élèvent à une grotesque représentation de contrepouvoir. C’est ridicule pour ceux qui ont vécu un certain pouvoir et l’ont créé personnellement, et certaines tortuosités qui se sont vérifiées dans le temps, ont une évidente paternité. On aurait envie de demander une trêve, mais je crains qu’une proposition de ce genre subirait la raillerie ou serait prise pour de la peur. Le hache-viande dans la politique a un effet destructeur et il faut s’arrêter avant qu’il ne soit trop tard et de toute façon il faut être prêt à défendre notre Mouvement. On discute avec un grand enthousiasme des avantages de la concurrence. D’abord je voudrais dire, pour éviter tout malentendu, que les principes de la concurrence sont sacro-saints et qu’une économie de marché est un bien inestimable. Mon expérience à Bruxelles – je pense au complexe système des transports – a été éclairante et aucune Région européenne ne peut penser, mais elle ne pourrait pas le faire, de se comporter en contre tendance et surtout en violant les préceptes de l’Union européenne. Le décret Bersani ( dérivant du nom du Ministre proposant ) fait une apologie de la concurrence et ensuite il grave un principe : celle-ci est une matière exclusive de l’État. Alors que dans l’ancienne Constitution on ne parlait pas de cette matière, aujourd’hui on le fait avec la réforme du Titolo V de 2001 qui attribue une exclusivité à l’État quant à évaluer avec le bon sens son application et pas comme on est en train de faire maintenant. J’espère qu’il n’y aura pas de conséquences. Il s’était déjà produit avec le « pacte de stabilité », c’est-à-dire l’ensemble des règles européennes qui aident les États membres à réabsorber leur dette publique, devenu le cheval de Troie pour Rome afin d’envahir les autonomies régionales avec le prétexte des comptes publics. Maintenant il se produit avec la concurrence : les professions libérales, taxistes, commerce, boulangers, pharmacies, sociétés d’économie mixte. Certains choix que les Régions ont faits légitimement avec de propres lois régionales, sont annulés par l’emploi immédiat et jamais établi de la guillotine du décret-loi au nom de et pour le compte du nouveau tabou en clé antirégionaliste : la concurrence. C’est inutile dire que déjà aujourd’hui, dans le respect des Traités euro95 péens, nous sommes obligés à nous assujettir aux règles de la concurrence et non seulement nous le faisons chaque jour, mais nous dialoguons de cette façon avec les autorités européennes sans avoir besoin de la sauvegarde de l’État. Que le Gouvernement national pense à ses systématiques violations de la concurrence, comme on le voit dans de nombreuses actions contre l’Italie de la part de la Commission européenne et des sentences émises par la Cour européenne. Pensons aux macroscopiques situations de monopole encore présentes en Italie dans le secteur des télécommunications, du gaz, de la télévision et à la bataille pour les licences des taxis…Ça fait vraiment sourire. Le centralisme d’état, qui souvent se cache astucieusement sous d’autres vêtements, a vraiment une grande capacité mimétique. Aujourd’hui, lorsque la main droite est pleine d’attestations ronflantes sur le fédéralisme et le régionalisme, la main gauche signe des mesures qui annulent les pouvoirs régionaux, en démontrant que la façade ne correspond pas à la substance. La prochaine Loi des Finances de l’État, dont on a déjà de vagues anticipations qui préoccupent, probablement portera des éléments ultérieurs qui montreront avec clarté notre rôle de défense de l’autonomie et que certaines divisions internes à la Vallée sont des prétextes. Ceux qui avec obstination et sans se rendre compte des dangers pour notre autonomie, s’en font les interprètes, se trompent gravement et ils en répondront face au peuple valdôtain, parce que le moment de cesser de se taire est arrivé. juillet Encore récemment, avec l’émanation des premières mesures du Gouver- nement Prodi, je me suis retrouvé – face au Président même et à ses Ministres – à soutenir les raisons de notre autonomie spéciale. Je vous assure que je ne perds pas l’occasion de le faire avec engagement et participation, parce que c’est ce que j’ai appris de ma famille et au cours de mon expérience politique. C’est l’une des constantes de notre raison d’être. L’Union Valdôtaine est née en 1945 avec ce but : s’opposer à la première forme d’autonomie, précédant le Statut actuel, considérée trop faible par rapport aux requêtes des Valdôtains. Cette action de stimulation, mais aussi de défense des résultats obtenus malgré leur faiblesse, n’a jamais fait défaut et reste un trait distinctif et particulier qui nous appartient. 96 Aujourd’hui, alors que tout le monde proclame des valeurs autonomistes, il est facile de voir que, lorsqu’on passe des paroles aux actes, notre rôle est unique et indispensable. Il serait intéressant, face à certains enthousiastes de la dernière heure, de creuser l’histoire de plusieurs philo-autonomistes du présent mais pas du… passé. Il ne s’agit pas seulement d’être fiers de nos idées et de confirmer notre action incontournable, mais de nous engager pour combattre les virus qui risquent d’infecter notre communauté. Un premier virus est celui du doute de la légitimité même de notre particularisme et qui est source de certains slogans qui nous voudraient « riches et privilégiés ». Un deuxième – de stricte actualité – concerne le choix de diviser : celui qui décide de quitter l’Union, en l’affaiblissant, a toujours tort. Un troisième virus est celui de la superficialité de ceux qui, tout en se professant unionistes, défendent faiblement nos idées. Le principe d’une militance active, partout où l’activité de chacun de nous s’exerce, est le seul antidote contre certains poisons. Un activisme qui nécessite d’une conviction et d’une préparation. Adhérer à l’U.V, ce n’est pas un choix émotionnel ou du cœur, mais plutôt un choix raisonné et conscient, qui concerne l’approfondissement de notre histoire et une sincère adhésion aux principes fédéralistes. Le sens d’une communauté passe à travers plusieurs éléments du quotidien, y compris le choix de participer à l’amélioration de notre modèle démocratique. Si notre régionalisme devenait une sorte de décentralisation atténuée, alors à la place du drapeau rouge et noir il serait mieux d’arborer un drapeau blanc. Lire les événements historiques n’est pas du tout facile. La même chose peut être interprétée de façon opposée, parce que tout dépend des perspectives de départ que l’on emploie dans les analyses. Le dialogue est fait par ces ponts suspendus entre les certitudes de chacun de nous. C’est le cas de la naissance de l’État d’Israël et de la « question palestinienne ». Ceux qui me connaissent savent que j’ai une grande admiration pour les Israéliens et pour ce peuple qui a été persécuté jusqu’à la terrible conception et à la dramatique concrétisation de l’Holocauste de la part du nazisme. Je peux imaginer qu’est-ce que signifie pour un Juif que de défendre son Pays, encadré dans une armée populaire et compacte, en ayant dans le cœur mille années d’un monstre changeant et toujours vif : l’antisémitisme, qui s’est nourri au cours de siècles de préjugés et de mensonges. Cela dit, afin d’éviter tout malentendu, comment ne pas penser au destin 97 aussi tragique des Palestiniens, dans les mains aujourd’hui – après un triste passé de sans terre – d’une élite d’extrémistes islamiques qui prêchent le suicide comme moyen de rédemption au nom de la foi et d’une place au Paradis. Une aberration qui nous consterne parce que fictivement basée sur une religion, alors qu’une religion ne pourrait jamais accepter de s’identifier avec certaines méchancetés. Et il ne faut pas oublier que ces lieux – qui sont aujourd’hui le terrain de batailles sanglantes et de combats mortels, dans le court-circuit des attentats et des actions punitives – sont pour les catholiques des lieux saints. Là-bas Jésus est né et a vécu et les écritures que nous lisons dans nos Messes nous rappellent ces pays, aujourd’hui tourmentés et souffrants, ainsi que les histoires de ces peuples que nous avons appris à connaître à partir des rudiments du catéchisme. Il existe dans la diaspora historique des Hébreux et dans celle plus récente des Palestiniens une dimension tragique pleine de conséquences qui, comme dans une toile d’araignée d’horreurs, alimentent des haines et des incompréhensions qui font en sorte que cette guerre locale ait maintenant des conséquences mondiales. Ce qui s’est produit à New York le 11 septembre 2001 en est un exemple : à partir de ce jour, la globalisation a montré sa face féroce. On est amené à penser, la foi étant pleine de clés de lecture qu’il faut se forcer de percevoir, que derrière ce conflit – dans un territoire qui est saint à la fois pour les Juifs, les Musulmans et les Chrétiens – se cache un ensemble d’événements dont nous devons saisir l’exacte portée. Une sorte de métaphore du monde actuel, de scénario infernal dont la profondeur doit être perçue comme un avertissement, un cri, une alarme adressée à notre appartenance à la même humanité. Autrement le Christ en croix, symbole profond pour ceux qui ont la foi, mais également pour ceux qui en lisent seulement le drame humain, n’est servi à rien face aux risques terribles d’horreurs enchaînées, qui semblent se multiplier au fil des années et semblent hypothéquer lourdement notre futur et celui de nos enfants. L e terme le plus utilisé au cours de ces derniers temps à l’intérieur de notre Mouvement a été « malaise ». Je ne sais pas qui a baptisé ainsi cet ensemble d’incompréhensions, de querelles, de discussions qui ont entraîné aussi, parfois, des départs et des abandons. Ce mot magique, « malaise », a été utilisé de différentes façons : en bonne ou en mauvaise fois, de façon ponctuelle ou sans distinction, avec un esprit réconciliateur ou en cherchant un prétexte pour la rupture. Et comme il se passe justement avec les mots, chacun a interprété le mot « malaise » selon sa propre vision des choses, souvent d’un esprit partisan, 98 quelquefois sans avoir une pleine conscience du sens du mot. Par contre les mots sont des mots, ils paraissent légers et ils s’envolent, mais ils peuvent être lourds comme des pierres et être écrits à l’encre indélébile. Pour curiosité personnelle j’ai fait une petite recherche étymologique. Le dictionnaire de l’Académie française, 8ème édition ( 1932-5 ), donne cette définition : « n. m. Trouble plus ou moins léger de la santé, qui ne peut guère se localiser avec précision. Ressentir du malaise. Avoir un grand malaise. Éprouver un malaise passager. Il signifie figurément sorte d’inquiétude ou de gêne résultant de causes obscures. Il y a un malaise général dans le pays. Cette famille vit dans un perpétuel malaise. ». Déjà cette brève description démontre au moins une dualité dans le mot en question, mais les citations littéraires nous confortent sur son utilisation prudente. La première : « Croyez-vous que cette soif de bien-être soit un signe des temps ? Les hommes n’ont eu à aucune époque l’appétit du malaise. Ils ont toujours cherché à améliorer leur état » ( A. FRANCE, Le crime de Sylvestre Bonnard, 1881 ). La suivante : « Gilliatt ( ... ) se mit à escalader la petite Douvre. À mesure qu’il montait, l’ascension était plus rude. Il avait négligé d’ôter ses souliers, ce qui augmentait le malaise de la montée. Il ne parvint pas sans peine à la pointe » ( HUGO, Les Travailleurs de la mer, 1866 ). Et encore : « Tandis que je lisais ( ... ), une brusque somnolence. Je regagne mon lit pour m’y étendre un instant, et, sitôt couché, des vertiges violents ; sueurs froides et nausées. Bientôt après, crise de vomissements. Le malaise a duré jusqu’à la nuit. » ( GIDE, Retour du Tchad, 1928 ). Mais les significations assument parfois d’autres nuances : « Les intoxications servent aussi à rassurer le malade, qui apprend avec joie que sa paralysie n’est qu’un malaise toxique » ( PROUST, Sodome et Gomorrhe, 1922, ). Très intéressant aussi : « Ce soir, on reste ensemble : Claire est souffrante. Pas gravement, je l’espère ? Non, malaise d’humeur plutôt que de santé » ( ESTAUNIÉ, L’Ascension de M. Baslèvre, 1919 ). Encore un exemple : « La misère recommence toujours, on reste enfermé là-dedans... ( ... ). Un silence se faisait, tous soufflaient un instant, dans le malaise vague de cet horizon fermé » ( ZOLA, Germinal, 1885 ). Et voilà, enfin, la politique avec deux suggestions : « état de trouble dans le corps social, un malaise d’opinion » ( J. DE MAISTRE, Considérations sur la France 1796 ) ; « Quand la France aborda la guerre, un lourd malaise social tenait son peuple divisé » ( DE GAULLE, Mémoires de guerre, 1959 ). Tout cela démontre que le terme peut être utilisé en tenant compte de la variété des cas proposés par les exemples littéraires. Ou bien, par contre, que le mot n’est pas du tout approprié s’il s’agit d’une façon pour masquer la substance, qui n’est pas faite de sensations plus ou moins agréables ou douloureuses, mais de règles partagées pour susciter l’adhésion volontaire au même projet politique à travers la participation au mouvement politique même. 99 Voilà déjà vingt ans depuis lieu la première visite de Jean-Paul II en Vallée d’Aoste, en septembre 1986. Je me souviens comme si c’était hier de cet après-midi ensoleillé sur la place Chanoux, avec ses chaudes couleurs de fin d’été. L’estrade avait été installée face à un hôtel de ville étincelant, à peine repeint pour l’occasion. La place, qui n’avait jamais été aussi noire de monde, était ordonnée et frémissante et l’arrivée, par l’avenue du Conseil des commis, du souverain pontife dans sa voiture découverte ( son hélicoptère avait atterri sur le terrain du stade Puchoz ) fut saluée par une explosion de joie. La tension ambiante se transforma en pure allégresse quand le Pape, en grand orateur qu’il était, sortit de son rôle officiel pour laisser libre cours à sa sympathie et à sa chaleur humaine. Personne, à la fin de cette journée et des jours qui suivirent, même pas l’auteur de ces lignes qui fut le chroniqueur de ces événements pour la télévision ( défi personnel auquel je m’étais préparé scrupuleusement ) ne pouvait imaginer le coup de foudre qui venait de se produire : ce pape polonais était, si l’on peut dire, tombé amoureux de notre Vallée, de ses montagnes, de la gentillesse et de la discrétion des Valdôtains et allait décider d’en faire le lieu privilégié de ses futures vacances en montagne. Une longue amitié, appelée à durer, qui a permis à notre communauté d’observer le Saint-Père et de participer à sa vie une année après l’autre. Cette période a aussi coïncidé avec le long chemin de croix du déclin physique d’un pontife très éprouvé par la maladie, dont les premiers séjours furent de vraies vacances sportives sur nos sentiers de montagne tandis que ses dernières visites furent marquées par la contemplation résignée de nos sommets, alors qu’il était immobilisé sur son fauteuil roulant. Un destin de souffrance, que j’ai pu observer personnellement chez cet homme extraordinaire qui sera sanctifié dans quelques années, en raison notamment de la force de volonté dont il a fait preuve lorsque son esprit intact se trouvait renfermé dans un corps qui ne répondait plus à ses ordres et dont il s’efforçait de ne pas être le prisonnier. Vous vous souvenez sans doute, quand, à quelques heures de sa mort, le pape tenta en vain de s’adresser à la foule réunie sur la place Saint-Pierre de Rome depuis la fenêtre de son appartement. Je crois que cette impossibilité de communiquer a été à la base de sa décision de refuser toute forme d’acharnement thérapeutique susceptible de prolonger artificiellement sa vie. Le vingtième anniversaire de cette amitié correspond au deuxième séjour de Benoît XVI en Vallée d’Aoste, coïncidence qui me semble extraordinaire, je vous l’avoue. En effet, alors que l’an dernier le nouveau pape allemand avait suivi le programme de vacances prévu pour son prédécesseur, cette année, c’est luimême qui a décidé de revenir chez nous. Je craignais que la concurrence – en particulier celle des Dolomites et de la zone germanophone alpine, bien connue du Saint-Père bien avant son accession au trône pontifical – prive 100 Les Combes de la visite du Pape en 2006. Il n’en pas été ainsi. Aujourd’hui nous engageons toute notre énergie afin que notre hospitalité garantisse au Saint-Père la tranquillité et la sérénité qui lui permettront de trouver chez nous le repos désiré. C’est à cette seule condition que ces simples vacances pourront ouvrir la porte à l’amitié. Mais dans l’immédiat, j’aurai dans quelques jours l’honneur d’accueillir le pape pour la deuxième fois : « Quel plaisir de vous revoir chez nous, SaintPère ! » juin Il arrive parfois d’assister à des manifestations publiques sans en connaî- tre à fond l’organisation et les motivations. C’est ainsi qu’il est arrivé samedi dernier au Col du Petit-Saint-Bernard. Dans une aimable lettre d’invitation, l’ami Hervé Gaymard – ancien Ministre et vice-président du Conseil général – m’invitait à une initiative de la fondation Facim ( Fondation pour l’action culturelle internationale en montagne ) présidée par lui-même. Il s’agissait de l’inauguration d’une plaque commémorative de la part du ministre de la Culture et de la Communication, M. Renaud Donnedieu de Vabres, pour rappeler le général Thomas Alexandre Dumas, qui en 1806, en qualité de commandant de l’Armée des Alpes, avait conquis le Col du Petit-Saint-Bernard. Je marque la date sur l’agenda et je décide de monter au Col, en ignorant que la Ligue savoisienne avait décidé d’organiser une importante contestation contre la manifestation, en remarquant que les troupes « d’occupation », dans l’ancienne Savoie, commandées par Dumas « firent régner la terreur avec arrestations, confiscations, déportations ». Ainsi j’ai assisté à ce qui a été décrit par le Dauphiné Libéré de dimanche : « Une Marseillaise couverte par les huées et les sons des cloches, agitée par des représentants et sympathisants de la Ligue savoisienne. Un ministre de la Culture obligé de s’époumoner au micro, pour parvenir à se faire entendre ( presque ) lors de son discours ». En effet, la cérémonie a été plutôt grotesque avec un Ministre qui a parlé une quinzaine de minutes face à un groupe d’autorités assez convenables par le protocole et avec les contestateurs, qui agitaient des sonnailles de vache et des drapeaux de la Savoie, afin d’empêcher à Donnedieu de Vabres de parler, mais lui admirable, il a terminé son discours, jusqu’au bout. Lors de mon retour à la maison, j’ai voulu me créer une opinion. Est-ce 101 que j’avais été inconsciemment complice d’une manifestation nationaliste contraire à notre histoire et à celle de la Savoie ? Entre temps, j’ai vérifié que la présence du Ministre sonnait comme compensatoire. En effet, malgré l’explicite demande d’insérer le nom de Dumas dans le cadre des célébrations nationales pour la commémoration de l’esclavage ( demandée en particulier, comme il est bien expliqué dans son blog, par l’écrivain Claude Ribbe ), Donnadieu de Vabres ne l’avait pas fait. Donc, son intervention au Col du PetitSaint-Bernard sonnait comme compensatoire. Mais quel rapport y avait-il entre Dumas et l’esclavage ? Voilà donc la possibilité pour moi de découvrir une histoire extraordinaire, celle justement de Thomas-Alexandre Davy de la Pailleterie, dit Alexandre Dumas, général, père du romancier, né à Saint-Domingue ( aujourd’hui République d’Haïti ) et premier général français de couleur, défini par Anatole France « fils de la négresse » et défini pour son héroïsme de combattant « le diable noir ». Je crains que les autonomistes de la Savoie aient sous-estimé la valeur symbolique de Dumas, au-delà de la bataille du Petit-Saint-Bernard ( définie par le fils écrivain « terrible, les montagnes semblent un volcan enflammé » ). Dumas était le symbole de rachète du fils d’une esclave, qui s’appelait « Douma », qui signifiait « dignité », devenu en français « Dumas ». Il était connu comme « Monsieur de l’Humanité » pour avoir sauvé de la guillotine à BourgSaint-Maurice des villageois qui ne voulaient pas décrocher les cloches de leur église et pour avoir donné sa démission de commandant de l’armée de l’Ouest pour dénoncer les crimes contre les Vendéens. Lorsque Napoléon rétablit l’esclavage et chassa « les nègres et les autres gens de couleurs » de l’armée il dut abandonner aussi et, selon les biographes, il mourut juste après à cause de la douleur. Voilà pourquoi, même si l’histoire ne nous plaît pas et toute position de désaccord est légitime, je ne regrette pas d’être allé au Petit-Saint-Bernard pour rappeler le Général Dumas, dans un lieu qui – dans le cadre européen – ne verra plus de batailles et, au contraire, deviendra toujours plus le symbole de l’abattage des frontières et d’une Eurorégion autour du Mont Blanc qui fasse dialoguer in primis les montagnards des vallées intimement liés entre eux. é crire est une île. Tu es là, face à une feuille blanche ( et peu change si à la place d’un stylo à bille on utilise un ordinateur ), et c’est comme si tu te trouvais magiquement seul avec toi-même et tes pensées. L’île, tu la partages dans la mesure où l’écrit n’est pas réservé ou il reste personnel. L’écrit a été une extraordinaire découverte qui a élargi énormément les frontières bien plus exiguës de l’oralité et de ses méthodes de diffusion. Quant tu te plon102 ges dans la lecture d’un livre, tu sembles être dans une dimension parallèle entièrement construite entre description et capacité d’abstraction et, s’il y a quelqu’un qui lit, c’est comme s’il te conduisait sur un sentier. J’aime, de temps en temps, en espérant que cela ne soit pas le signe de quelque névrose compliquée ou de n’importe quel syndrome, écrire un mot et discerner à quoi ma mémoire me rapporte. Je pense qu’il s’agit d’un exercice qui détend et surtout qui évoque un passé souvent lointain, des souvenirs profonds, parfois apaisés par la quotidienneté. Il s’agit peut-être d’un antidote aux plusieurs poisons, en sachant que la fantaisie fait voler et adoucit certaines amertumes. Je voudrais essayer avec les fruits. Par exemple : cerise. Je me vois en vélo, le long de la Doire entre Arnad et Issogne, avec mes amis d’enfance, à la recherche de la bonne plante pour ensuite prudemment monter sur les branches, les plus hautes. Avec « abricot », je suis dans le jardin de mon grandpère à Castelvecchio d’Imperia et je sens le parfum du fruit mûr qui vient juste d’être cueilli et le même concept vaut pour la « figue » qui me fait avoir l’eau à la bouche et aussi « pêche » dont je me souviens l’arbre et la recommandation : « Fais gaffe, les taches ne partent pas ». « Fraise » et « myrtille » représentent les bois de Pila et les recherches joyeuses et de groupe, en famille, de petits fruits savoureux, tandis que la « mûre » sont les buissons ardents de l’hinterland de la Ligurie et la récolte prudente parmi les épines. « Ananas » représente le soleil tropical du Brésil et un goût sucré dans la bouche que je n’ai plus jamais retrouvé et la même chose vaut pour « banane » avec ses fruits petits et délicieux qui me rappellent l’Île de la Réunion. La « pomme » me ramène en Vallée d’Aoste et il s’agit de somptueuses renettes cuites de mon enfance, ainsi que les poires martin sec, du jardin de ma tante Eugénie. La « mandarine » me rappelle encore ma tante et les repas de Noël avec la variété des fruits secs, tandis que l’« orange » représente les jus hivernaux pour les rhumes d’enfance. L’essayer, c’est l’adopter ! Ça marche avec tous les objets possibles. Ça ne coûte rien et ça assure des voyages gratuits dans notre passé. Comme viatique, je suggère certains termes de sûre efficace : encre, naphtaline, sable, réglisse, cartes à jouer. Il y en a à remplir un bon nombre de Calepins ! Il y a beaucoup d’attente et une grande curiosité autour du Congrès de notre Mouvement fixé pour cette fin de semaine. Il est tout à fait compréhensible que cela se produise et, d’autre part, le mauvais résultat des élections politiques a accentué la nécessité de mettre de l’ordre et de donner un élan à l’action politique. Il y a en jeu, sans jouer à la dramatisation ou à élever excessivement les tons, la centralité de l’Uv dans les échiquiers de la politique 103 valdôtaine et le destin d’une force politique historique et fondamentale pour notre Vallée. Je comprends que le moment n’est pas simple, puisque des années d’incompréhensions, de disputes, de divisions se concentrent en peu de jours. Et la tentation sera sans doute celle de reprendre le fil des événements, en signalant les erreurs, les omissions, la stupidité. Un exercice cathartique sur le fil de l’histoire plus récente qui, en marquant les étapes qui ont porté au Congrès, pourra devenir salutaire à condition qu’il y ait une volonté préliminaire de repartir ensemble. Le célèbre malaise n’est pas une invention. Il y a quelqu’un qui, comme je l’ai fait, l’a signalé et manifesté bien avant que certains paladins s’en fassent les porte-parole. Il n’y a rien à inventer. La discussion, même enflammée mais jamais poussée jusqu’à la déflagration, sert pour mettre en évidence aussi bien les points en commun que ceux sur lesquels les visions peuvent être nombreuses et différentes. La composition de ces différences est l’idem sentire de la maison commune unioniste, qui – comme toutes les maisons – a une seule porte tant pour entrer que pour sortir. Aujourd’hui nous devons réaffirmer qu’il n’y a pas de fils ni de beaux-fils. Nous avons tous les mêmes droits et les mêmes devoirs dans le jeu démocratique qui nous tient unis. Revoir certaines règles du Statut devrait vraiment aider à accentuer les éléments d’unification et à éloigner les poussées de division. Ceux qui pensent que l’histoire de l’Uv soit épuisée, commettent une grosse faute. Pour son futur, la Vallée a besoin de notre Mouvement, dont la croissance est un mérite et pas un malheur. Certes l’augmentation des consensus nous oblige à un majeur respect des règles de débat et de concertation. Chaque raccourci peut créer des incompréhensions qui peuvent engendrer des fractures en se transformant ensuite en gouffre. Le dialogue est difficile et fatiguant, mais je ne vois pas d’autres solutions. Certes, à la fin de tout, il y a la reprise du travail et il y a les problèmes à affronter, parce que celui qui s’arrête est perdu et les vides seraient remplacés par d’autres. Un petit jouet que quelqu’un, en jouant avec nos divisions pour ses ambitions, utilise depuis longtemps et c’est à nous de le décevoir. En Italie, la réforme de la Constitution a été pendant quelques années un sujet dont on pouvait se vanter. Face à une opinion publique vivement désintéressée, des groupes de parlementaires – y compris moi-même – se sont creusés la cervelle autour des modifications de la Constitution. Le climat constituant, c’est-à-dire cette effervescence mélangée à la considération du poids des décisions, était déjà absent avec la réforme du centre-gauche en 2001, et en 2005, avec le gouvernement de centre-droite, le climat s’est aggravé. Au moins le centre-gauche avait travaillé sur les textes de deux Bicamérales, tandis que la majorité de Berlusconi s’était accordée dans un chalet 104 de Lorenzago, entre une tranche de polenta et des saucisses grillées. Déterminés comme on était à la vieille Constitution républicaine, amplement inappliquée mais enveloppée par une rhétorique douceâtre sur les « grandes valeurs » de l’associativisme de la Constituante, l’idée d’une modification n’était pas bizarre. Je me souviens que nous aussi de l’Uv, nous avions présenté un texte fédéraliste, y compris le principe d’autodétermination, qui visait à indemniser avec 50 ans de retard les grands vaincus de la Constituante : les fédéralistes. Le fédéralisme, négligé et vitupéré, finit par contre pour devenir, dans la dernière décennie, une grande panacée. Même les plus analphabètes étaient devenus des fédéralistes et un grand nombre d’apprentis sorciers avait commencé à s’exhiber dans un fédéralisme à l’italienne qui laissait préoccupés et perplexes. Maintenant, avec le référendum qui brisera la dernière réforme, on retournera pour une large partie au début. J’espère que le débat des prochaines semaines pourra éviter un risque sérieux qu’on respire déjà dans l’air : que l’occasion serve aux nationalistes de droite et de gauche pour mettre en scène une exaltation de l’État contre les Régions et pour affirmer que le fédéralisme a été une débâcle. Dommage que le fédéralisme réellement contenu dans les réformes, surtout dans la dernière qui a recyclé le fameux « intérêt national », soit servi en dose tellement infinitésimale qu’il empêche à n’importe quel être pensant, d’invoquer les principes fédéralistes. À une fausse réforme risque ainsi de s’opposer une vraie contre-réforme que, je souhaite sincèrement, le Gouvernement Prodi ne voudra pas soutenir. Il faudra très peu de temps pour le comprendre et la première épreuve sera la Loi des Finances 2007. Il est très difficile d’administrer les Régions de nos jours, en tenant compte en particulier d’une série de règles très convaincantes, en matière de finance publique, que Rome impose dans les Lois de Finances de l’État. Il sera intéressant de voir si le Gouvernement Prodi retouchera certains principes caractérisés par une évidente logique anti-régionaliste du précédent Gouvernement Berlusconi, y comprises la tendance de réduire les pouvoirs et les compétences des autonomies spéciales. Mais abordons plus directement la question de l’argent. Pendant plusieurs années, je dirais les dernières 25, la juste stabilisation des ressources financières pour notre Vallée avait créé un flux croissant d’argent pour alimenter le fonctionnement de notre autonomie. Le grand point d’interrogation de la diminution, au début des années 90, de l’argent dérivant de la T.V.A. d’importation des camions à l’autoport, avait été dépassée par le fond de compensation en vigueur. Aujourd’hui quelques circonstances changent le cadre. D’un côté, les 105 nombreuses nouvelles compétences acquises par la Vallée ( Santé, Collectivités locales, Routes, Université, etc. ) ont, avec la dépense historique, rendu de plus en plus rigide le budget régional. De l’autre côté, la lente et inexorable introduction des mécanismes de contrôle de la dépense dérivant de l’application du Pacte de stabilité européen ( souvent une excuse pour envahir nos compétences ! ) rend difficile la construction du budget régional et ces mécanismes pourraient créer – si on ne les affaiblit – des effets grotesques, comme celui de ne pas pouvoir dépenser l’argent dont on dispose. Ajoutons encore que la répartition fiscale, les lois qui la règlent et les relatives lois d’application qui ressentent le poids des années ainsi que l’évolution des règles sur la fiscalité ne sont pas, pour l’instant, favorables. Ce cadre général, auquel on devrait ajouter en toute honnêteté que les incertitudes de la difficulté à gouverner pèsent beaucoup, comporte et comportera des coupures, des choix plus sévères dans l’allocation de l’argent régional et même des perspectives inférieures d’emploi dans le secteur public, en augmentation dans le temps. Cet air d’austérité contraste avec l’idée de finances régionales infinies et de demandes de financement qui croissent de plus en plus. Donc, en disant non afin de cadrer les comptes et en grevant avec des réformes qui réduisent la dépense courante, il y a le risque d’apparaître méchants ou d’être impopulaires. Certes, si les choix dans les coupures et la distribution de l’argent seront le résultat de débats démocratiques, qu’il soit clair qu’on ne peut pas rebrousser chemin sur la nécessité d’épargne et sur une plus attentive allocation de ressources décroissantes. Il s’agit d’un défi politique important, dont on doit tenir compte contre toute poussée démagogique et populiste, parce que gérer l’autonomie signifie choisir comme il faut les investissements stratégiques pour notre futur et retourner à réaffirmer notre spécificité. Et on peut y arriver seulement avec une Union Valdôtaine forte et resserrée, autrement il y aura le déclin. mai Il y a quelques jours, quelqu’un m’a dit : je suis comme toi, je crois dans l’existence des élites en politique. C’est vrai, je confirme d’y avoir toujours cru ; je voudrais le rappeler ici sans citations et sans donner lieu à un débat aussi ancien que la philosophie et la politique. Il s’agit de ceci : aussi dans notre Vallée – et dans l’histoire contemporaine l’exemple le plus concret nous l’avons, pendant des années assez difficiles, avec la Jeune Vallée d’Aoste – il 106 faut quelqu’un qui raisonne, qui pense, qui propose. Cela peut arriver seulement dans de petits groupes, dans des tours d’ivoire, pendant des moments sérieux de réflexion, auxquels revient la tâche de maintenir vivants certains projets politiques Dans un système démocratique, ce mécanisme se synthétise dans les règles de la démocratie représentative, qui se matérialisent dans des assemblées réduites et dans des gouvernements encore plus restreints par la responsabilité de la conduction. Les instruments de démocratie directe, s’ils ne sont pas utilisés de façon inconsciente ou pour des dérives populistes, sont des moments précieux de contrôle et de vérification. Le plus important est et reste le vote, il y a ensuite les référendums, les propositions de loi d’initiative populaire et – dans la vie des partis – les congrès. Mais ces mécanismes définissent des orientations et des choix, qui ensuite doivent être mis en œuvre par des personnes qui décident, démocratiquement élus, qui doivent exercer la politique et l’administration. Si l’élite choisie est de bonne qualité, cela devrait consentir des espaces et des temps pour penser à des idées et à de nouveaux programmes. Si on risque d’être écrasés par l’administration ordinaire, les horizons deviennent bouchés en état d’asphyxie. Je pense que, en laissant faire le temps, le présent doit être gouverné mais que les vraies satisfactions se construisent aujourd’hui pour des réalisations futures. Le « tout immédiatement » n’existe pas pour passer de la conception à la réalisation. Vis-je dans le monde des rêves ? Je ne crois pas, mais je sais et je comprends comment les mécanismes de la démocratie ressemblent aux contenus délicats dans la caisse d’une montre. Il suffit très peu pour que de gouffres terribles entre les élites et l’opinion publique s’ouvrent. Nous de l’U.V., nous sommes dans une phase délicate : soit nous retrouvons ce feeling qui nous a permis d’obtenir de succès croissants ainsi qu’une correspondance entre nous et la large majorité du peuple valdôtain soit nous serons balayés. Et voici ce que nos ennemis espèrent, mais aussi à l’intérieur de notre Mouvement, une certaine confusion règne : ceux qui prêchent un « tutti a casa », qui tirent sur les soi-disant leaders, qui annoncent des purges de différent genre, devraient démontrer une certaine prudence. Je serais prudent à gaspiller personnes, énergies et projets. À condition que l’élite – qui doit avoir des points précis d’union et de partage – existe, qu’elle fonctionne et qu’elle produise des résultats. Le retour à Rome, pour l’élection du Président de la République ( un choix excellent Giorgio Napolitano ! ), confirme certains esprits du passé, toujours actuels ! Rien d’extraordinaire, un simple viatique à ce bon sens irremplaçable, même dans sa banalité. Il s’agit de se rappeler – dans une clef de lecture entre externe et interne 107 – de l’exiguïté de notre Vallée et de la relativité de nos problèmes. Il ne s’agit pas d’une sous-estimation, pour la charité ! Il s’agit plutôt d’un effet bien visible et bénéfique qui fait en sorte que ces problèmes qui nous appartiennent, s’insèrent dans un contexte plus vaste. Arrêtons d’échanger la force de nos particularismes et de notre identité avec des pensées d’isolement dans une turris eburnea qui n’existe pas. Cela vaut en Italie et s’accentue évidemment à Bruxelles, face au gigantisme et à la complexité du niveau continental. Chaque confrontation, chaque dialogue, chaque comparaison comportent un enrichissement, à condition que l’on se présente unis et solidaires, en ayant toujours quelque chose d’original à montrer. Certes, plus l’on s’éloigne et plus l’on systématise nos vicissitudes dans des réseaux plus vastes, et plus on comprend comme notre force est et reste justement dans l’unité. Ce n’est pas un appel à se resserrer dans un embrassons-nous de façade, qui ne sert à rien, sauf à accentuer le sens du ridicule face aux mensonges. Il faut se demander plutôt si la ferveur des luttes intestines, qui secouent, à partir des fondations, la communauté et notre même Mouvement ( qui devient une métaphore de l’entière communauté et des poisons qui le traversent ) soient à banaliser ou à mettre sous observation. Je ne me réfère pas à la normalité du conflit politique qui reste la substance de la dialectique démocratique, mais à la pathologie qui se réalise dans l’image d’incommunicabilité. Je parle, je m’exprime, je propose mais sans même écouter ceux qui proposent des thèses et des propositions différentes des miennes. Au contraire, au quotidien, les éléments de la division s’alimentent – comme des feux d’où naissent des incendies – sans se rendre compte qu’à la fin il n’existe aucune véritable distinction entre les vainqueurs et les vaincus dans l’opinion publique qui abhorre la lutte continue. Tous repoussés dans un grand tourbillonnement qui crée seulement un mouvement dispendieux d’énergie, auquel rien de concret ne correspond. Il vaudra la peine de s’en souvenir. L orsque vous êtes en train de lire cet article, les scénarios possibles ne sont que deux. Le premier : entre-temps le nouveau Président de la République a été élu avec un accord abordable entre les deux formations, après une longue période de conflits très forts. Ou bien – avec un scénario différent – on pourrait assister à un énième combat frontal entre les deux coalitions avec l’imposition d’un candidat du Centre gauche au Quirinal. En raison de ces deux hypothèses et vue l’intervalle entre le moment de l’écriture ( je suis actuellement au premier scrutin ! ) et la publication du Peuple ( dans trois jours ! ), il est vraiment difficile d’annoncer un nom. Je me limite à dire, avec le risque d’être démenti, qu’on pourrait trouver un accord sur Napolitano ou bien on pourrait retrouver D’Alema, après la troisième vo108 tation. Certes, avec la politique italienne il y a le danger d’une piètre figure et donc on verra ce qu’il va vraiment se passer ! De plus, il n’est pas facile d’être le successeur au Quirinal de la Présidence Ciampi, qui sera rappelée pour plusieurs raisons. De ma part, les aspects positifs sont prédominants. J’essaie, dans notre perspective de Valdôtains, d’en énumérer quelques-uns : un Président attentif à reconnaître l’existence de notre originale délégation politique, sensible aux prérogatives constitutionnelles de notre autonomie spéciale, vigilant sur les problèmes des minorités linguistiques, curieux des spécificités du monde de la montagne, prenant part au drame de l’alluvion en Vallée de l’année 2000. En Italie, dans une situation politique assez confuse, Ciampi – un homme qui a fait la Résistance et, de nos jours la circonstance n’est pas du tout banale – pouvait rester un point de repère et cela sans excessivement transformer la figure en mythe. Il n’a pas voulu se reproposer, malgré l’estime amplement majoritaire qu’il a acquis au Parlement et dans la société civile, en rappelant comme le long septennat du Président, conseille de ne pas additionner deux mandats pour éviter une sorte d’hérédité royale incompatible avec le régime républicain. Une renonce, celle du Président, qui a certainement voulu tenir compte aussi de son âge. Les élections du Chef de l’Etat m’ont aidé à reverdir les souvenirs de mon expérience parlementaire et aussi à mieux évaluer la situation politique italienne après les élections. Retrouver les endroits familiaux de ma formation politique m’a rempli de regrets, surtout pour le temps qui passe, mais le climat difficile me ramène tout de suite à la réalité. Il ne sera pas facile pour Prodi de gouverner avec une majorité querelleuse et avec peu de votes d’avantage au Sénat. Je le regrette beaucoup, vu le tas de difficultés auxquelles l’Italie doit faire face. Mais la grande coalition, c’est-à-dire une période de collaboration comme en Allemagne entre les Populaires et les Sociaux-démocrates, est difficile à réaliser en Italie, étant donné le tas de personnes qui pensent déjà aux prochaines élections politiques anticipées. Mais, dans ce cas, la réalité des faits pourrait facilement me démentir. Je voudrais en comprendre l’exacte raison, mais il est certain – à part la macabre complaisance de la presse italienne – qu’en Vallée d’Aoste on n’a pas assez discuté du tragique assassinat de la jeune marocaine de la part du mari à Quart. Avec une féroce préméditée, le délit a signifié une véritable exécution à coups de couteau avec un rite barbare, semblable, dans ses modalités inhumaines, à l’égorgement d’un mouton. J’espère que la « Cour d’Assises » auprès du tribunal d’Aoste soit exemplaire en matière de punition et que l’on veille afin que jamais plus un fait de ce genre ne se répète en Vallée d’Aoste. 109 Et surtout que le procès soit une occasion pour discuter de cet événement, non seulement comme on discute d’un fait sanglant de chronique noire, mais pour parler d’un acte qui offre un cadre de la mentalité et des comportements dans le rapport homme-femme dans le monde islamique et d’une certaine conception de justice parallèle qui n’a rien à voir avec notre conception de Justice. Il s’agit de la Charia, c’est-à-dire le code de jurisprudence religieuse musulmane. Le terme signifie en arabe « ce qui a été légiféré [par Dieu] » et, en Occident, la Charia est connue sous le vocable de loi islamique. Vous rappelez, par exemple, la fatwa lancée contre Salman Rushdie, auteur du livre « Les Versets sataniques » considérés impies et blasphématoires, ce qui a suffi à établir la parfaite légitimité de l’élimination physique de l’auteur. Et encore, parmi les pratiques recommandées par la Charia, la lapidation des femmes et des hommes adultères et la mutilation des voleurs. Cela implique un imprinting culturel qui justifie certains délits considérés justifiables et qui dans une logique de « giustizia fai da te » permet aux maris violents de donner des punitions en famille. Ce n’est pas un cas si dans le monde musulman, on ne parle pas de « transmission », mais d’apprentissage de la Charia. Cet apprentissage se fait à travers les parents, qui sont le premier exemple pour l’enfant musulman dans une chaîne qui perpétue des comportements contraires à toutes nos normes de loi. De plus, la tendance actuelle des courants politiques intégristes à militer et à obtenir l’intégration de la Charia dans la Constitution des respectifs Pays conduit à la fossilisation des décisions – car elle est basée sur la situation d’une société du IXème siècle – et à leur conférer un caractère de dogme plutôt que de loi telle que nous la concevons, à savoir justement liée à l’évolution des temps et de la société. Tout cela ouvre un abîme dans la conception du monde et nous oblige, de façon intransigeante, à nier l’existence de règles de droit différentes des nôtres pour ceux qui agissent, habitent et travaillent en Vallée d’Aoste comme dans le reste de l’Occident. L’acceptation de la Charia comme justice parallèle et même concurrentielle avec notre Droit, dans le nom d’une logique déformée d’intégration culturelle, produirait d’authentiques horreurs et finirait par être une justification de graves délits, comme l’assassinat dont on a parlé au départ. Combattre certaines mentalités, certaines pratiques et certaines convictions culturelles signifie demander et prétendre, dans les domaines public et privé, le partage des processus d’intégration sans lesquels la confusion et l’incompréhension augmenteront. Confusion et incompréhension deviennent porteuses de problèmes de plus en plus grands dans le chemin nécessaire de réciproque compréhension, dont la base, pour ceux qui veulent s’installer, doit être sans équivoques l’acceptation de certaines règles à la base de notre civile et bien réglée vie en commun. 110 avril Heureusement la vie est faite d’émotions. À briser la routine parfois grise, sont des événements uniques et qui ne peuvent pas se répéter. C’est le cas de la visite à Canterbury pour l’inauguration et la bénédiction de l’autel de Stephen Cox, que notre Vallée a offert à l’église anglicane. Une extraordinaire pièce de marbre vert de Verrayes qui sous les mains de l’artiste, s’est transformé en un objet d’art contemporain. L’effet ancien-moderne, qui dans ce cas a merveilleusement réussi, pose cet autel dans une chapelle romane où brille pour le caractère essentiel de ses traits géométriques. La messe célébrée sous le signe d’une pacification interreligieuse dans le cœur de la Chrétienneté entre deux Eglises douloureusement ( et de manière sanglante ) séparées entre elles, a été suggestive et émouvante. Trois langues, – l’anglais, le français et l’italien – se sont mêlées dans le souvenir de Saint Anselme, ce fils de notre Vallée qui, plus que d’autres, a sculpté son nom dans l’histoire du monde. À partir du Moyen Age, sa pensée arrive limpide et pure à nos cœurs en vue du 2009, quand on fêtera les 900 années de sa mort. Une philosophie qui met ensemble la verticalité de ses montagnes d’origine, les couleurs de la Normandie et l’horizontalité de la campagne de Kent. Ainsi cet autel est le signe d’un engagement : célébrer dignement cette date ensemble à Bec et Canterbury, les deux étapes de la vie et de la carrière d’Anselme. A Gressan on est en train de restaurer le bâtiment historique, indiqué comme maison natale du Saint, qui accueillira l’Académie Saint Anselme, prestigieuse institution culturelle valdôtaine. Pouvoir parler pendant la célébration religieuse, en exprimant la pensée de notre communauté, a été pour moi une occasion unique, que je considère un honneur tel à adoucir, dans un seul coup, les nombreuses amertumes de la politique de nos jours. Les poisons, assumés à doses infinitésimales, peuvent être salutaires et l’homéopathie, pour ceux qui y croient, le témoigne éloquemment. Au-delà de certaines doses, par contre, l’effet létal est garanti : qu’il s’agisse d’un serpent, d’un champignon vénéneux ou d’un gaz asphyxiant. Voilà pourquoi, en raison de la grande quantité de poison qui nous entoure au lendemain des élections, il est bien de tenir la garde haute afin d’éviter d’y laisser des 111 plumes. Etre donc vigilant, ce n’est pas banal. Dans les faits, pour bien nous entendre, la survie même de l’Union Valdôtaine est en jeu. Si elle devait devenir un lieu de lutte continuelle, nous serions si fatigués et si épuisés, avec le risque de nous blesser politiquement et de gagner seulement le mépris des électeurs. La seule alternative à l’ « homo homini lupus », est l’existence de règles certaines, qui posent des devoirs par rapport à la vie sociale et prévoient des limites infranchissables, sans lesquelles on se trouverait dans des situations incontrôlables. Je le dis et l’écris en appréciant le caractère exceptionnel des événements actuels. Dans cette phase, où trop souvent – avec des virements de cap incroyables – les amis deviennent des adversaires et vice versa, il est nécessaire d’éviter les violences verbales ou les rigidités. Si tout cela advient pour recoudre, inclure et coopérer, c’est très bien. Toutefois, en songeant aux nouveaux Statuts de l’UV, il faut savoir placer les comportements et avoir des certitudes dans la façon de se poser. Il ne s’agit pas de limiter la liberté des personnes, mais plutôt de faire cohabiter le pluralisme avec l’unité. Les mécanismes de la coexistence doivent assurer, en des temps raisonnables, un débat ample et participé, mais il faut aussi que les décisions soient suivies d’une façon d’être collective exempte de toute contradiction. Parce que l’alternative, c’est la confusion et l’instabilité, alors que nous avons besoin de certitudes et de stabilité. Ainsi disant, le Congrès du mois de juin est une opportunité pour contraster les sceptiques, les pessimistes et les casseurs à tout prix. Personne ne prétend que la vie au sein du Mouvement soit le Paradis sur terre, mais elle ne doit non plus se transformer en un Enfer pour ce qui est des rapports politiques et interpersonnels. Ce serait gaspiller nos énergies ainsi que les idéaux d’une vie. Les défaites en politique peuvent résulter salutaires. Je comprends que l’affirmation puisse étonner, mais il suffit de lire un peu l’Histoire pour en avoir une confirmation. Je ne suis pas à la recherche d’éléments consolateurs pour la récente débâcle aux élections politiques, parce que je suis resté mal comme tous les unionistes : je crois toutefois que la crue vérité doit être affrontée. J’ai toujours trouvé insupportable la recherche, typique de la politique italienne, de masquer les défaites en de presque victoires. Je me souviens d’interviews mémorables à la télévision avec les leaders des partis qui, malgré l’évidence des faits et des chiffres, s’exhibaient en de véritables exercices de contorsions verbales, en transformant des bains de sang en de sympathiques promenades du dimanche à la campagne. Lorsqu’on perd des voix et des élections il faut faire face à la réalité et celle que nous avons vécue avec les élections politiques est une 112 raclée belle et bonne; l’admettre est une manifestation de respect vis-à-vis de l’unique et vrai juge pour nous les politiques : l’électorat. Au moment où j’écris ces lignes, je ne sais pas encore quels seront les choix futurs du Mouvement et par les deux autres forces politiques de majorité. La proposition d’élections anticipées a été reprise par un éditorial de La Stampa et apparaît entièrement en ligne avec les vainqueurs des élections. Personnellement je ne crois pas qu’interrompre la Législature soit un bon choix. Je crois par contre qu’il faut relancer l’action du gouvernement et qu’il faut aborder beaucoup d’émergences en cours. Je ne comprends pas pourquoi l’aire autonomiste devrait servir sur un plat d’argent la victoire à la gauche unie avec des élections anticipées, en admettant qu’ensuite ça se termine ainsi, parce qu’il serait bien de se rappeler qu’entre le majoritaire uninominal des politiques et le proportionnel des régionales il y a un abîme. Lorsque l’électorat lance un signal clair – et l’examen Commune par Commune de ces élections sera intéressant et instructif – il faut répondre avec des signaux aussi clairs. Il revient à notre Mouvement de retrouver à son intérieur, et je souligne à son intérieur et non pas en suivant les sirènes à son extérieur, les raisons et la force d’un ancien engagement. Sans lequel la dérive de notre Mouvement signifierait le triomphe de ceux qui, en creusant sous la surface de l’apparence, n’ont d’autres objectifs que la destruction du modèle de notre autonomie spéciale. Le système électoral en Vallée d’Aoste, uninominal, majoritaire à un seul tour, redevient une spécificité qui n’appartient qu’à notre Région. L’expérimentation de la Chambre des Députés qui prévoyait une élection partielle des Députés avec le partage de l’Italie en collèges uninominaux, semblable à celle qui caractérisait la Vallée, n’a duré que quelques années. En réalité une deuxième fiche pour la Chambre redistribuait au niveau national une partie des sièges avec la méthode proportionnelle, à laquelle on est revenu, avec la seule exception du siège valdôtain. En effet, comme il est notoire, le proportionnel avec des listes bloquées revient et il fait disparaître tout possible rapport de confiance entre électeur et élu. On vote un symbole et des députés méconnus sur le territoire seront élus. C’est la victoire des partis, du jeu des fiches, des choix centralisés sur Rome. Un résultat démocratique franchement décourageant : le retour du plein pouvoir des appareils dirigeants des partis. On rompt tout lien avec le niveau régional en méprisant ce fédéralisme auquel tous se montrent intéressés théoriquement. Il est l’heure qu’on retourne à dire haut et clair que le fédéralisme est une marchandise précieuse et nous devons nous révolter – nous qui sommes fédéralistes depuis toujours ! 113 – à des usages superficiels qui transforment le fédéralisme en l’un des nombreux « –isme »avec lesquels on peut faire de la propagande. La Vallée d’Aoste, comme une île du bonheur, représente une exception par rapport au système électoral italien. Nous avons évité, malgré une déconcertante proposition de loi présentée à la fin de la législature par les DS ( belle conception de l’autonomie ! ), les tentatives de mêler nos voix avec le dégât italien. Le système traditionnel en vigueur depuis 1948 demeure, grâce à notre choix et à l’engagement des parlementaires sortants ( je profite de l’occasion pour remercier mon collègue Ivo Collé, mon successeur, pour l’excellent travail qu’il a fait à Montecitorio ). Nous devons en être fiers. Notre campagne électorale se tient, comme il doit être, en Vallée d’Aoste ! Celui qui cherche de nous plonger dans la grosse marmite de la politique italienne, en signant des effets en blanc et en se faisant mettre une laisse au cou, devrait sérieusement examiner sa conscience. Les paladins de la liberté ! Assez d’une information trempée de mensonges et d’ambiguïté. La réalité est au contraire celle d’un manque de scrupules déconcertant. On est prêt à vendre la Vallée d’Aoste au marché des vaches de la politique italienne. Nous ne vendons notre âme à personne. Nous sommes prêts, comme nous l’avons toujours été, à évaluer et à discuter des idées et des projets, mais en partant d’une position bien marquée et originale. Nous ne voulons pas de transformisme, qui est par contre à dénoncer face à l’électorat valdôtain, contre lequel nous nous présentons, avec un symbole connu, qui est une garantie contre ceux qui portent des masques. mars Faute d’arguments politiques, les tenants de la liste du poulet s’attachent à polémiquer sur les moindres vétilles. C’est ainsi que l’un des promoteurs de cette multicolore coalition, Robert Louvin, étale les quelques informations qu’il possède sur la symbolique du coq. Dommage qu’il soit mal renseigné. Tout d’abord, il confond l’Eglise gallicane, c’est-à-dire l’Eglise de France, dont l’Eglise d’Aoste faisait théoriquement partie ( et qui affichait, c’est vrai, son autonomie par rapport au pape, mais parce qu’elle était soumise au roi de France ), avec le rite gallican : c’est-à-dire la liturgie propre au royaume des Francs avant la réforme de Charlemagne, qui imposa à tout son Empire le rite romano-germanique, d’où descendirent toutes les liturgies particulières des Eglises occidentales, y compris le rite valdôtain. 114 Ensuite, il croit que le coq qui surmonte les clochers est une marque caractéristique de l’Eglise gallicane en général – et de l’Eglise valdôtaine en particulier – et qu’il représente la résistance contre la Papauté. C’est faux. Les coqs de clocher sont répandus partout et les plus anciens se trouvent à Brescia ( IXe siècle ) et à Rome en Italie, à Wolstar en Allemagne et à Winchester en Angleterre. Il croit également que cet animal se rattache à la coutume des premiers chrétiens de se rassembler à l’aube pour prier. C’est faux. Le coq apparaît souvent dans l’art paléochrétien, mais il se rapporte déjà bel et bien à la triple trahison de Pierre, épisode très souvent commenté par les Pères et les Docteurs de l’Eglise des premiers siècles ( saint Denis d’Alexandrie, saint Ambroise, saint Basile, saint Hilaire de Poitiers ), ainsi que par le poète Prudence. Il est regrettable de constater que l’ancien Assesseur régional à la Culture ignore que l’une des images pieuses jadis les plus répandues dans nos paroisses était la Croix du Calvaire associée aux instruments de la Passion du Christ ( les clous, le marteau, l’échelle, la lance, la colonne et le fouet de la flagellation etc. ). Malheureusement, ces témoignages de la piété populaire, sculptés en bois et placés à l’extérieur des églises et des chapelles, ont disparu presque partout, à cause des voleurs et des vandales ; on peut toutefois en voir un exemple célèbre peint au XVe siècle sur la façade de l’église de La Magdeleine à Gressan : on y remarque notamment, en position très voyante, un coq, qui pour nos ancêtres ne représentait rien d’autre que la trahison de Pierre. Ajoutons que, pour les commentateurs et les exégètes, le coq symbolise la vigilance contre la tentation du Malin, car l’épisode de saint Pierre démontre que même le plus saint des apôtres n’est pas exempt de péché, puisqu’il se conduit, dans l’épisode évangélique en question, comme un renégat et un traître par opportunisme. Je crois même savoir que mon oncle, Séverin Caveri, en choisissant un coq de clocher comme couverture de son Histoire de l’Eglise d’Aoste, voulait faire allusion à la « trahison des clercs » qui caractérisait, à son avis, une partie du clergé valdôtain de l’époque. Laissons le domaine de la théologie et venons-en à la sagesse populaire, qui a toujours considéré le poulet un animal pas trop intelligent. Un animal qui zigzague çà et là, picore à droite et à gauche sans trop savoir où il va et se perd souvent dans les champs des voisins, qui en profitent ( s’ils sont malhonnêtes ) pour le cuire à la broche. Un animal inconstant, qu’on a pris à modèle pour les girouettes qui tournent à tout vent. Un animal qui symbolise la superbe et l’arrogance. Un animal que des spéculateurs sans scrupules jettent dans l’arène et font batailler contre l’un de ses semblables jusqu’à la mort, pour tirer des revenus malhonnêtes des paris clandestins. 115 La politique est faite d’alliances : une vérité qui vaut et vaudra toujours. Comme cela arrive dans la vie pour les amitiés entre les personnes, on peut avoir des moments différents dans les rapports entre les forces politiques. Les adversaires se transforment en alliés et les alliés prennent la place des adversaires. Ces changements font partie du mécanisme de la démocratie. Rien de drôle donc et rien de quoi s’étonner, mais pour faire fonctionner cet instrument, on doit avoir un élément de départ. Il faut bien savoir avec qui on s’allie, pour quelle raison et surtout il faut savoir ce que chacun de nous représente et qui il représente. Avant de penser aux autres il est bien de penser à soi-même. En effet la représentance est une chose sérieuse. On choisit une militance politique, on participe à la vie d’un Mouvement, on partage des règles communes et on discute des choix et des décisions. On peut être d’accord ou non sur la ligne politique, sur les dirigeants et sur les élus, mais cela ne signifie pas, quand on est mécontent ou frustré, qu’il faut s’en aller ou donner vie à de nouvelles forces politiques. C’était un patrimoine acquis après la réunification unioniste de 1978 : un tabou bien ancré à ne pas violer, en sachant que le « divide et impera »est fort clair aux adversaires de la Vallée d’Aoste. Celui qui se prête à cela devient un instrument de partage et il n’y a pas d’alibi pour ceux qui décideraient de faire des batailles externes et de rupture, lorsque le terrain de confrontation et d’affrontement doit rester entier. La haine personnelle ne peut pas être une bonne justification et cela vaut aussi pour les ambitions personnelles. Et s’il vous plaît assez de l’utilisation instrumentale des valeurs morales pour cacher de tristes opérations de revanche personnelle ou de groupe. Appelons ceux qui nous laissent avec leur vrai nom : traîtres. Et il est ridicule que celui qui s’en va s’enveloppe de purs idéaux en faisant semblant d’avoir emmené avec lui les idées pour les faire ressurgir en qui sait quel Mouvement. Celui qui déserte devrait au mois avoir un peu de bon goût et peut-être prouver sa gratitude à l’Union, notamment si, sous ce symbole, il a recouvert de rôles importants. Cela parce qu’il existe une frontière qui ne peut pas être dépassée. Plutôt que de rompre ou de partager, mieux vaut le choix plus courageux d’abandonner la vie publique. Celui qui a obtenu une charge dans une assemblée élective et laisse le Mouvement qui l’a élu, devrait accomplir le choix noble de la rendre et ne devrait pas penser que ce poste lui appartient pour qui sait quel droit. Je comprends qu’il est plus simple de faire semblant que rester est un droit envers ses électeurs, mais il s’agit d’une excuse puérile et injustifiée si le mode d’élection, comme il arrive pour l’élection du Conseil de la Vallée, est le système proportionnel. 116 «Pour la Commission européenne, il y a un étage de trop qu’elle ambi- tionne de réduire, d’éliminer, celui des Etats. Il est vrai qu’elle se situe dans une logique ultralibérale qui détruit les solidarités et les services publics, et cela donne la clef de sa politique en direction des Régions... Pour la Commission, de toute évidence, mieux vaut 350 Régions sous sa coupe, que d’avoir en face de soi 15 Etats dont la force est une source d’ennuis... La logique de l’émiettement, de l’atomisation et de la balkanisation..., c’est pain bénit, et c’est exactement ce que demandent les multinationales ». Une merveilleuse exaltation des Etats-Nations ! Une sublime négation jacobine du fédéralisme ! Une représentation caricaturale de l’Union Européenne ! L’auteur de ces lignes est Bernard Cassen du Monde Diplomatique, fondateur d’Attac. Il s’agit d’un maître à penser de l’antiglobalisation, de l’extrême gauche, hétérogène et multiforme, qui choisit la polémique contre le régionalisme, en le comparant, avec une simplification incroyable, à la... balkanisation. Il y a vraiment de quoi s’étonner, face à une telle confusion : on doit toutefois la considérer comme une cloche d’alarme, parce qu’il n’y a pas de pire ignorance que le choix systématique de la contre information militante. Une contre information qui dérive du climat tardo-marxiste et postsoixante-huitard qui se propage dans quelques cas jusqu’à nos jours. Ce n’est pas une nouveauté que l’extrême gauche soit antifédéraliste convaincue. Même en Vallée d’Aoste, il y a toujours eu un engagement idéologique contre l’Union valdôtaine considérée comme la partisane de l’autonomie valdôtaine. Il faudrait revoir la biographie de quelques personnages pour retrouver dans la gauche, autrefois définie extra-parlementaire, les grains de l’anti valdôtaineté qui, parfois cachée en quelques événements, réapparaît régulièrement en toute sa clarté. Une autonomie valdôtaine abhorrée, parce qu’elle est porteuse de privilèges présumés, de richesse excessive, de mécanismes de démocratie de proximité à dégonder en tant qu’accessoire d’un excès de pouvoir unioniste. Dans une logique élitaire qui inquiète, on signale comme déformant le légitime résultat électoral qui dérive uniquement du suffrage universel. Il y a une sorte de délire sectaire qui, au nom d’une utilisation difforme de l’égalité, voudrait éliminer certains thèmes, comme la défense culturelle et linguistique du particularisme valdôtain. Mieux vaut s’occuper de lointaines populations de l’Amazonie ou d’agriculteurs des Andes que des droits des citoyens de son Pays ! Enfin, ce qui préoccupe, c’est la diabolisation systématique de l’adversaire qui doit toujours être un ennemi. Ainsi on utilise aussi les armes de la dérision et du mépris. On lève le drapeau de la morale et de la pureté contre des adversaires accusés de bassesse morale et de déshonnêteté. Un jeu au massacre qui finalement ne fait que rabaisser ceux qui utilisent certains moyens, parce que les extrémismes sont toujours perdants, notamment si leur représentation de la réalité est grotesque et fallacieuse. 117 Une même phrase, écrite de manière identique, peut avoir plusieurs si- gnifications. Le ton, le contexte, la motivation comptent aussi. Un classique de la répétitivité en Vallée d’Aoste et également un classique de la pluralité de significations à peine citée est : « En Vallée d’Aoste la politique se fait dans les cafés ». Quelqu’un le dit pour en prendre acte de manière neutre, comme s’il s’agissait d’une simple constatation, quelqu’un le souligne avec un fond de racisme dans un mélange plein de malice entre esprit valdôtain et alcool ( de là la variante « En Vallée d’Aoste on fait de la politique dans les caves » ) ; il y en a qui analysent avec intérêt la naissance des papotages et des rumeurs, politiques naturellement, même si en Vallée d’Aoste la différence entre public et privé n’est pas toujours évidente, comme parfois celle entre un blanc sec et un mousseux servi à table ou bu au comptoir. Personnellement je crois, même si je ne fréquente pas de manière assidue les cafés et si j’en ai pas un seul comme point de repère ( « cult » comme on dirait en anglais ), qu’on ne doit en aucun cas avoir une attitude de snob face à un phénomène social qui doit être investigué. La socialité et la politique procèdent ensemble et il faut prendre acte du fait que le réseau d’interaction entre les différentes personnes se crée et s’intensifie. Et le réseau des cafés est en Vallée d’Aoste un phénomène vaste et significatif, souvent encré dans la tradition de la ville ou des petits villages, mais qui toutefois accepte les innovations qui dérivent des nouveaux locaux et de la mode. La politique, dans une Vallée qui se passionne à cet argument, devient un thème de débat, d’approfondissement, qui doit se transformer dans un téléphone sans fils qui répand et change les nouvelles. On a naturellement des spécialistes du genre, des « opinions leaders » en la matière qui précipitent du sommet, se retrouvant en bas, en devenant les auteurs de lettres anonymes, alimentant et fomentant. Personnellement, toutefois – comme je suis optimiste par nature –, je vois les choses positives, tout en rejetant les négatives. Il me vient à l’esprit – pour anoblir ce qu’il y a de bon – un petit livre de George Steiner qui a pour titre « Une certaine idée de l’Europe »dans lequel il rappelle le rôle des cafés dans la recherche d’une notion commune.Il écrit, bien concrètement : « Les cafés caractérisent l’Europe. Ils vont de l’établissement préféré de Pessoa à Lisbonne aux cafés d’Odessa, hantés par les gangsters d’Isaac Babel. Ils s’étirent des cafés de Copenhague, devant lesquels passait Kierkegaard pendant ses promenades méditatives aux comptoirs de Palerme. ( ... ) Dessinez la carte des cafés, vous obtiendrez l’un des jalons essentiels de la « notion d’Europe ». Et encore : « Le café est un lieu de rendez-vous et de complot, de débat intellectuel et de commérage, la place du flâneur et celle du poète ou métaphysicien armé de son carnet. Il est ouvert à tous et pourtant c’est aussi un club, une franc-maçonnerie de reconnaissance politique ou artistique et littéraire de présence programmatique. Une tasse de café, un verre de vin, un thé au rhum donnent accès à un local où travailler, rêver, jouer aux échecs, ou simplement passer la journée au chaud. C’est le club de l’esprit et la « poste restante »des sans-abri ». 118 J’ai vécu à la Chambre des Députés des années vraiment belles et inté- ressantes : une période de ma vie qui a duré de1987 à 2001 ( ou peut-être à bien y penser elle s’est terminée en 2003 avec la fin de l’expérience au Parlement européen ). J’ai eu beaucoup de chance à me retrouver parlementaire à 28 ans : j’en suis gré et je le serais pour toujours à l’Union Valdôtaine et aux électeurs qui m’ont donné cette chance rare et exceptionnelle. Ça a été une école de vie, en pensant même aux personnalités avec qui j’ai eu l’occasion de me confronter : j’ai eu une alphabétisation sans égaux dans la politique, qui m’a permis de connaître les mécanismes du droit constitutionnel que je n’aurais jamais pu imaginer sans mon élection au Parlement. Des connaissances que j’ai voulu partager et transmettre aux autres et avant tout les utiliser pour le débat à l’intérieur de notre Mouvement. Il est vrai que je me suis toujours engagé au maximum pour être digne de la confiance qu’on m’a accordé et j’espère avoir répondu aux attentes. Mais il faut toujours, et en tout cas, avoir une bonne mémoire et un peu de reconnaissance, comme on dit dans la formule du mariage « pour le meilleur et pour le pire », et non pas suivre le fil des intérêts de chacun ou pire encore les états d’âme ou les névroses. Parfois ceux qui font de la politique, entièrement pris par une haute considération de leur personnalité et de leurs mérites, oublient ceux qui – comme pour notre Mouvement – ont investi leur confiance dans les élus. Un investissement qu’il ne faut jamais oublier, dans le travail de tous les jours et dans le devoir de représenter l’Union Valdôtaine ( non pas soi-même ! ) au sein des institutions, si on ne veut pas trahir cette confiance et perdre de crédibilité. La longue expérience parlementaire me confirme l’importance des élections politiques. Le choix des personnes à envoyer à Rome doit être bien pesé et le fruit d’un projet politique sérieux et judicieux. Voilà pourquoi j’estime que le défi que nous attend au vote du 9 avril prochain doit être pris au sérieux et nous ne devons pas nous faire tromper ou aveugler par un dessein improbable. Représenter la Vallée d’Aoste à Rome est difficile et engageant. Nous devons travailler pour que nos idées – et je ne parle pas de copies décolorées – affirment une représentance autonomiste au Parlement italien. Je crois pouvoir dire que cela est important pour la Vallée d’Aoste, parce que si un message contradictoire s’affirmait, le travail du passé évaporerait en grande partie et l’incertitude et la confusion auraient le dessus. L’historie de l’Union ne le mérite pas et les défis qui nous attendent ne nous le permettent pas. 119 février Aujourd’hui tout le monde réfléchit au futur de notre Mouvement. Au chevet du malade ou présumé tel – dont la phase la plus grave de la pathologie coïncide paradoxalement avec le succès politique le plus important des dernières élections régionales – s’alternent beaucoup de médecins ( et même des sorciers ) qui cherchent à comprendre l’affection qui le frappe et quels sont les meilleurs soins à dispenser. J’ai même vu des psychanalystes penchés sur le lit sur lequel nous sommes idéalement tous allongés, des homéopathes qui cherchent les doses infinitésimales qui conviennent et des acupuncteurs qui préparent leurs aiguilles et cherchent les points les meilleurs pour les insérer ! Difficile de dire quelle est la maladie. Un développement excessivement rapide, qui a fait que les jambes soient trop grêles ? Malgré les 61 ans, une maladie d’enfance comme la rubéole ou la coqueluche ? Une maladie contagieuse avec un virus – l’incompréhension réciproque – qui a frappé sans pitié ? Une maladie psychosomatique ou pire encore une maladie mentale ? Malheureusement il n’y a pas beaucoup à rire, l’enjeu est de grande importance ; si on ne trouvera pas la maladie, on n’aura pas de médicaments. Avec le risque que la morgue soit la destination finale et un rigor mortis peu édifiant soit notre destin pour la joie de nombreux ennemis qui, inquiets, entourent le malade, en souhaitant, du moins quelques-uns, d’en hériter l’important patrimoine. Je me rebelle avec conviction, et non pas par crainte du mauvais sort, aux couronnes de fleurs, aux invitations à les remplacer par des offres de bénévolat, aux télégrammes douloureux, aux épigraphes affligées. Un mouvement d’orgueil est nécessaire, nous devons nous rehausser, le dos bien droit et crier aux quatre vents qu’on va bien, que notre santé est excellente, que l’énergie n’a pas diminué et l’envie de faire est grande. Il s’agit donc de chercher sérieusement les raisons de ce malaise célèbre, qui n’est pas une maladie, mais tout au plus le symptôme d’une maladie à éviter. Différentes possibilités se présentent. La première est que le ciment idéal manque et que le Mouvement risque – sans le ciment des idées et d’un sentiment partagé – de se briser en mille morceaux. En considérant la fraîcheur du fédéralisme et l’amour pour notre Vallée qui me semble intact dans la plupart de nous, estimons-nous que le système ne dispose pas de fauteuils assez prestigieux pour nos attentes ? Il ne serait pas généreux de le penser, aussi parce que les ambitions personnelles, bien qu’élevées en raison 120 de la personnalité hypertrophique qui règne chez tous les politiciens, ne correspondront jamais à la réalité. Il s’agit donc de leaders sur lesquels lancer des foudres et des éclairs au nom d’une virginité primordiale ou d’un Eden collectif sans chefs, petits chefs et prime donne ? Je ferais attention, parce que les élites ont toujours existé et le charisme est utile, à de bonnes doses, et si cela ne dégoûte pas totalement, il sert même à obtenir des voix. Et sans voix – j’espère qu’au moins sur ça on soit tous d’accords – on peut créer une association sportive ou une pro-loco, mais pas un mouvement politique qui pour compter doit être performant même en termes de consensus. On ne vit sans doute pas de seules voix, mais il vaut mieux éviter les snobismes de lord anglais, élus pour la vie grâce à leur naissance et à leur famille, mais la démocratie change et le Royaume Uni aussi. Les mots de De Coubertin ne s’adaptent pas à l’arène politique et « participer sans gagner » n’est plus une bonne chose même pas, dans la réalité des faits, aux Jeux Olympiques. Et l’Union n’est pas, dans cette même métaphore et par rapport à la politique, l’Ile de Tonga ou la Principauté des Oural. Nous sommes le Partis des Valdôtains ! Le dialogue est difficile, mais il n’y a pas d’autre voie. Nous devons nous unir autour de règles partagées et de comportements bien identifiés. Je ne me réfère pas aux risques de fausseté, aux papotages, aux petites misères, aux clientèles, aux haines et aux amours qui appartiennent au monde de la politique. Les mouvements politiques ne sont ni une Confrérie des ursulines, ni l’Armée du Salut et même pas la Société des philatéliques ou des numismatiques. L’affrontement est dur, la rivalité est enflammée, le pouvoir existe vraiment, les intérêts ( licites naturellement ) s’opposent. L’éthique et la morale doivent être bien étudiées ( et distinguées de manière opportune ) sans passer dans le domaine de la théologie ou de la philosophie. La stupeur ne fait pas partie de la politique. Toutefois l’Union n’est pas un hôtel où l’on peut entrer et sortir par une porte pivotante. C’est une maison bâtie par d’autres avant nous et qui nous a été donnée pour que nous la rendions plus jolie et plus confortable. D’autres y habiteront après nous à condition que, entre-temps, elle ne se réduise en ruines. Alors je n’y vois qu’une règle, le bon sens. La synthèse de tous les discours possibles, de longs documents, de mille réunions. J’ai assisté à Turin à l’ouverture des Jeux Olympiques dans le Stade olympique, où, il y a bien d’années, quand j’étais encore un enfant, j’ai vu jouer ma Juventus, ce qui a donné origine à ce rapport d’amour et de haine que j’ai encore aujourd’hui pour le football, dont la violence des supporteurs me fit physiquement peur. Le stade, nouveau et moderne, n’a rien à voir avec le vieil établissement et par bonheur le public de la cérémonie d’ouverture 121 était décontracté et joyeux et absolument pas hostile ou névrotique. Dans un spectacle très long, on a assisté à des chorégraphies, à des musiques, à des images, à des feux d’artifice, à des sons et à des lumières dans un fil rouge amusant et captivant. Il n’était pas simple d’unir le feu de la flamme et l’allumage de la vasque olympique aux discours et aux serments officiels ainsi qu’au moment d’arborer les drapeaux, le tricolore et celui des Jeux ( une erreur, à mon avis, d’avoir fait manquer l’hymne de l’Union et le drapeau européen ! ). Et de plus ajouter au spectacle, l’Italie du Moyen âge et de la Renaissance, les excès du baroque et la technologie de la Ferrari, le défilé des Nations participant et l’idée des symboles alpins comme les vaches et les masques du Carnaval de notre Coumba Freida, de Mozart à Verdi avec la clôture de Pavarotti. Un mélange intelligent vécu par une foule cosmopolite, qui accompagnait le spectacle en chantant, en applaudissant, en faisant du bruit avec de fausses sonnailles et en utilisant la lumière pour créer des effets suggestifs dans le noir, et en donnant vie aux « ola »qui ne pouvaient pas manquer et en tapant frénétiquement des pieds. Ni les menaces du terrorisme ni les contestations de tout genre n’ont troublé la fête populaire et l’ambiance heureuse qui effaçait le froid et l’humidité, même grâce à cette musique de fond des années ‘70 qui m’a fait retourner à mon adolescence et qui faisait bouger mes pieds tout seuls. Le gigantisme des Jeux en ville et dans les sites olympiques des vallées témoigne, s’il le fallait, à quel point il aurait été difficile d’organiser cet événement en Vallée d’Aoste. Les espaces énormes dont il aurait fallu disposer, la réutilisation de structures consacrées aux compétitions, le grand nombre de préposés, les coûts de construction d’abord et de gestion ensuite : tout cela prouve à quel point il aurait été prohibitif d’adapter à notre milieu des Jeux d’hiver qui aujourd’hui doivent obligatoirement impliquer de grandes villes. J’ai été ému en voyant les athlètes pleins de joie et d’enthousiasme, ainsi que la gentillesse et la disponibilité des volontaires. Turin et le Piémont, bien qu’avec les craintes de l’après Jeux, ont donné une belle image des Alpes. Il est vrai que les Jeux cachent un réseau incroyable d’intérêts, que les processus du choix des lieux des Jeux suivent souvent des mécanismes douteux et corrompus et que le sport souffre des déformations du doping et de l’hypocrisie du dilettantisme, mais dans un monde difficile et face à tellement d’horreurs, les Jeux arrachent encore un sourire. De Coubertin était un menteur, comme Pinocchio, en disant qu’il n’est pas important de gagner, mais de participer... Moi qui ai participé à la cérémonie d’ouverture j’étais content d’y être comme... si j’avais gagné une médaille ! 122 Le retour à la forme écrite a du charme, mais il faut tout de même s’in- terroger sur certaines modalités. Dans la société de la parole et de l’image – dominée par la télé et par l’évolution de la radio, avec la présence des pc et des téléphones portables qui permettent de tout faire – la communication écrite semblait être destinée à disparaître. Bien au contraire, l’envie d’écrire renaît avec de nouvelles modalités d’écriture souvent plus synthétiques et syncopées : le fax d’abord, le courrier électronique ensuite et les sms qu’on envoie maintenant par téléphone. C’est presque une manie, dans le monde où nous vivons. On le voit durant des réunions importantes, pour ne pas dire à l’occasion de sépultures, lorsque les sonneries – omniprésentes, bruyantes et souvent liées intimement à leur propriétaire comme il arrivait autrefois seulement pour le rapport entre chien et maître, même museau et mouvements identiques – sont la preuve, souvent imprégnée d’un manque de politesse, d’un monde qui nous voit toujours connectés. On me téléphone et donc j’existe. J’écris des sms et donc je suis vivant. Tu parles avec quelqu’un et ton interlocuteur écrit sur son portable, pour annoncer peut-être à sa femme de préparer le repas car il va arriver ou à sa petite amie qu’il l’aime à la folie. La nouvelle tribu technologique sait manifester cette modalité d’expression d’elle-même, qui se présente souvent comme une nouvelle solitude, un solipsisme grotesque. Je ne parle pas avec celui qui travaille dans le bureau à côté du mien, avec celui qui voyage avec moi dans le train ou avec celui qui est assis au café à côté de moi, mais je garde le contact avec la community. Je jure avoir vu deux personnes assises l’une devant l’autre qui s’écrivaient. Des choses de fous ! C’est ce qui arrive même en politique et dans ce cas la lettre change de logique. Il arrive que certains ne s’expriment pas tout à fait dans les réunions ou bien ils n’y participent même pas, mais ensuite ils écrivent des lettres ouvertes à la personne intéressée, où le but n’est pas celui de lancer des messages à leurs partisans. La lettre perd alors l’esprit de discrétion qui lui appartenait autrefois et devient une lettre ouverte transmise aux journaux et par e-mail avant que le destinataire ne l’ait reçue. Par ailleurs, il y a un élément secondaire qui suit la logique suivante : j’écris pour exister, pour apparaître, pour rassurer mes proches. Et l’autre répond, non pas pour instaurer un dialogue épistolaire, mais pour trianguler à son tour avec les autres. Pour faire savoir qu’il existe aussi et pour communiquer sa position à une opinion publique qui lui est amie. Ce n’est pas un pont pour communiquer, mais plutôt une exhibition de muscles, de sagacité et de rhétorique écrite. Ce n’est pas de la confrontation entre thèses opposées, mais une solitude satisfaite. Un monde bizarre, donc. L’évolution curieuse d’une modalité, l’écrit, qui voit transformer l’essence de sa raison d’être. Cela devient, dans de temps difficiles, une nouvelle arme à utiliser, qui ne ressemble en rien aux pam123 phlets qui, à partir du XVIIème siècle jusqu’à aujourd’hui, ont opposé les adversaires en de duels réels et loyaux, mais qui est plus proche d’un jeu vidéo solitaire dans une logique virtuelle sans témoignages de politesse ou règles de comportement. Je trouve qu’il est beau de jouer avec les rapports entre les vies des per- sonnes et de penser qu’il existe un fil rouge, une sorte de dessein qui unit des gens et des lieux différents, qui, une fois systématisés, apparaissent très drôles. Je comprends qu’on risque, en cherchant ces connexions, de forcer un peu la main, mais jouer ne fait jamais de mal. J’y pensais il y a quelques jours, en rencontrant, enfin, à Paris Eduardo Caveri ( en qui j’ai immédiatement remarqué un air de famille évident ) et sa fille Ingrid, née dans la Capitale française. Je les avais trouvés grâce à l’Internet et notre rencontre a été émouvante et utile. Remarquez le hasard : Eduardo – artiste argentin – est né à Esquel dans la province du Chubut, en Patagonie, lieu de montagnes extraordinaires. Son grand-père Armando avait émigré de Cuorgnè avec sa femme, une Peradotto, dans la seconde moitié du XIXème siècle. De là l’idée de cette branche argentine des Caveri d’être des piémontais ( je ne sais pas encore si le célèbre architecte argentin Claudio Caveri appartient à la même famille ), alors que les Caveri sont ligures de Moneglia. Il est facile de supposer que Armando ait connu sa femme à l’Université de Turin ( tous les deux étaient pharmaciens ) et qu’ils aient émigré officiellement du Canavais d’où les Peradotto – et non pas les Caveri – étaient originaires. Voilà un autre élément original : le premier Caveri connu, Nicolò Caveri, cartographe de Gênes, était célèbre aux yeux des spécialistes du secteur pour avoir particulièrement bien dessiné l’Amérique du Sud et tout spécialement... la Patagonie ! Lorsque Eduardo, pour suivre son esprit artistique, part pour aller vivre à Paris en 1964, il ne sait pas que la carte géographique de Nicolò Caveri ( large 2,5 mètres et haute 1m25 ) se trouve conservée à la Bibliothèque nationale de Paris ! Pas mal, n’est-ce pas ? Je trouve également intéressant le fait que la branche valdôtaine des Caveri ait choisi de vivre, comme les Caveri d’Argentine, en une terre de montagne. Et mon grand-père René, encore un hasard, recroise les destins de la famille avec le Canavais, en devenant au début du XXème siècle sous-préfet d’Ivrea, où naît l’oncle Séverin. Canavais et Vallée d’Aoste – ultérieur élément singulier – sont soudés par le Parc du Grand Paradis et mon arrière-grand-mère, Herminie De la Pierre, était de la même famille de ce Joseph – Inspecteur des eaux et des forêts du Duché d’Aoste – à qui on doit au début du XIXème siècle le sauvetage du bouquetin, symbole du Grand Paradis, menacé d’extinction ! Alors que la grand-mère maternel124 le de mon père « était – comme l’écrit Séverin dans Souvenirs et révélations – l’arrière petite fille de Louis Rebogliatti, originaire de Vico Canavese, avocat, établi à Aoste en 1728, membre du Conseil de Commis ». Un autre élément singulier ! Donc une vaste fresque qui prouve à quel point le passé et les arbres généalogiques sont riches en idées et en surprises. janvier Dans de vieux livres reliés en cuir, survécus à la dispersion de la biblio- thèque de mon grand-père et de mon arrière grand-père, j’avais trouvé le nom mystérieux de « Miscellanéees ». Y figuraient des mélanges d’ouvrages de science et de littérature. Une sorte de zapping par écrit et non pas avec une télécommande, qui permettait de lire plusieurs genres et qui changeait d’argument pour maintenir vivant l’intérêt du lecteur. J’avoue que pendant mon enfance j’ai passé beaucoup d’après-midi à feuilleter ces oeuvres d’antiquité aux caractères typographiques difficiles. Je retrouve à présent, traduit en français de l’anglais, un volume récent de Ben Schott, exactement intitulé – dans une logique entre la compilation, le dictionnaire illustré et le « Strano ma vero »de « La settimana enigmistica » – Les Miscellanées. La philosophie de ce texte, qui est une indication utile pour toute situation, résulte de la phrase en début du livre de Virginia Woolf « N’allons pas croire que la vie se vit plus pleinement dans les choses que l’on juge communément grandes que dans celles que l’on juge communément petites ». Des exemples. L’échelle de Scoville a été inventée en 1912 par Wilbur Scoville pour indiquer le degré de piquant des piments, de 0 ( piment doux ) à 16.000.000 ( capsaïcine pure ). De l’explication des lignes de la main à la liste des présidents des Etats-Unis, de la compatibilité de chaque groupe sanguin aux lignes de métro de Londres, des différentes manières de nouer une cravate aux mesures de la statue de la Liberté ( longueur du nez 1,50m ). Je trouve exhilarante la liste des « Proverbialement il ne faut pas » :...réveiller le chat qui dort ;...parler de corde dans la maison d’un pendu ;...jeter le bébé avec l’eau du bain. Pas mal « Je t’aime » dans les différentes langues : du Gaélique irlandais ( « Tá mé i ngrá lear » ) à l’Esperanto ( « Mi amas vin » ), de l’Hawaïen ( « Aloha wau ia oi » ) au Zoulou ( « Ngiyakuthanda » ). 125 Sympathiques les définitions pour les anniversaires de mariage : 25 ans, comme on le sait, argent et 50 or, mais les 30 ans sont de perle et les 80 de chêne. Entre les phobies, horrible la Taphophobie ( peur d’être enterré vivant ), ridicule la Bitrochosophobie ( peur des bicyclettes ), drôle la Chionophobie ( peur de la neige ), incroyable la Coulrophobie ( peur des clowns ). Découvrir toutes les capitales du monde, les différents types de nuage, les surnoms des clubs de football, les Chevaliers de la Table ronde et le nom de tous les vents. 150 pages qui savent être – comme cela peut arriver ! – utiles et inutiles, mais qui font réfléchir sur la variété des choses, des cultures, des manières d’être. Attention : il ne faut pas qu’on se transforme, même en Vallée d’Aoste en victimes du syndrome de Nimby ! Nimby est un acronyme pour Not In My Back Yard ( pas dans mon arrière cour ). Ce terme provenant des Etats-Unis désigne de façon péjorative les associations de défense de l’environnement, quand elles s’opposent à des ouvrages publics indispensables, auxquels on s’oppose seulement parce qu’on n’en veut pas à côté de chez-soi, dans une logique évidente d’égoïsme. Qu’il s’agisse d’une rue, d’un parking, d’une antenne téléphonique, d’un répétiteur télé, d’une ligne de transport, d’un palais public, d’une habitation à logement modéré, peu importe : le syndrome se déclenche. Bien souvent, comme il arrive par exemple pour la pollution électromagnétique ou l’incinération des déchets, on utilise des craintes et des préjugés sans fondement scientifique ou des informations fausses pour enflammer les discussions. Je pense aux contestations et aux recours des Verts valdôtains qui ont retardé la réalisation de l’autoroute du Mont Blanc ou encore aux ennuis causés sur le versant piémontais par les retards de l’achèvement de la liaison entre Gressoney et Alagna Valsesia ou aux dommages dérivant de la non-construction du dépurateur des eaux de la Valdigne. De plus, dans la grande partie des cas, le paradoxe réside dans le fait qu’une association ou une mobilisation Nimby s’élève contre un projet d’infrastructure ou contre une infrastructure existante supposée être à l’origine de la dégradation de la qualité de vie d’une zone donnée, sans nier à priori l’utilité intrinsèque de cette dernière, mais seulement en raison de sa mauvaise localisation et des troubles qu’elle créerait dans le voisinage. La logique souvent est effectivement : bien sûr il faut réaliser ce projet, mais ailleurs ! Les Anglo-saxons, pour mieux indiquer la dégénération a-critique et instrumentale du Nimby, emploient l’acronyme Banana c’est à dire « Build Absolutely Nothing Anywhere Near Anything »( ne rien construire à côté de quelque chose ). Si tout le monde appliquait cette logique on aurait une paralysie totale. En Italie, plusieurs projets font l’objet de contestations et le phé126 nomène Nimby assume des proportions importantes, en intéressant surtout des structures liées au cycle de traitement des déchets ou des infrastructures pour les transports ( pensons par exemple aux No Tav, qui s’opposent à un nouveau chemin de fer, en favorisant, de fait, le transport sur la route ! ) Si d’un côté l’attitude d’inquiétude des citoyens est compréhensible, alors que celle des mouvements environnementalistes peut se définir instrumentale, on doit par ailleurs constater que malheureusement, selon ce qui est reporté par la première rencontre Nationale Nimby Forum ( qui s’est déroulée à Rome le 6 juillet 2005 ), en Italie, rien qu’en 3% de cas des initiatives de consultation et d’information des communautés locales avaient été organisées avant le début des travaux. Au contraire des initiatives meilleures pour intéresser la population doivent nous permettre d’éviter des contestations. C’est ce qu’on a fait pour les deux nouvelles téléphériques du Mont Blanc, ce qu’on est en train de faire pour l’aéroport de Saint-Christophe, ce qu’on fera pour l’hôpital d’Aoste et qu’on devra faire pour les choix futurs en matière de déchets. Pour éviter de donner des raisons aux professionnels de la contestation. Le Fort de Bard ouvrira le week-end prochain avec une exposition olym- pique et une partie de ses musées très avancés du point de vue technologique, liés à un bourg historique sans égaux et dont une partie des immeubles sont déjà restructurés. Qu’il soit clair : l’événement est important pour la Vallée tout entière et je dirais pour un système culturel international qui aura dans le Fort un nouveau point de repère. Le fil rouge sera l’univers de la montagne et nous avons l’ambition de faire retentir, dans le monde entier, chez le grand nombre de personnes qui s’occupent de montagne, le nom de Bard – court et sonore, comme s’il avait été étudié par un publicitaire ! – pour qu’il devienne familial. Un défi de gestion qui n’a rien de simple ni de banal, mais merveilleux à affronter. Durant la courte période de quelques années, l’un des symboles les plus connus de la Vallée d’Aoste a abandonné son rôle de forteresse militaire désormais vide et inutile – tant pour l’évolution des techniques de guerre que pour la paix en Europe – et est devenu un centre culturel pour le temps libre. Cela s’est fait aussi avec une bonne dose de fonds de l’Union européenne, ce qui est également un symbole : une machine de guerre devient un témoignage de paix sous le drapeau européen, qui a effacé – par bonheur de nos générations – les tragédies et les horreurs qui ont ensanglanté pour des millénaires le Vieux continent. La Vallée d’Aoste a le mérite de ce choix qui s’est concrétisé rapidement ( peu de temps s’est écoulé entre la première idée et la première réalisation pratique ) et qui, entre autres, change la vision uniquement conservative et de tutelle des biens culturels. Bard, ancienne 127 forteresse, ne sera pas uniquement des musées multimédias, mais également de l’animation culturelle, des spectacles, des informations culturelles, des hôtels et de la restauration. Une sorte d’avant-première valable pour d’autres châteaux, en premier un autre Fort déjà instrument de guerre, celui de Verrès. Au cours des ouvertures partielles durant ces années à l’occasion de l’événement Marché au Fort, nous avons vu à quel point le Fort est apprécié par les Valdôtains, et nous espérons qu’il en sera de même avec les visiteurs et les touristes. La rhétorique sur la nouvelle année est prête à frapper, pleine d’un excès de sentiments et de prévisions qui se transforment en exercices funambulesques. Elle ressemble à ces gâteaux trop remplis, trop colorés et fortement caloriques ou bien à ces feux d’artifices bruyants et stupéfiants dans leur lumière, qui ne vivent que pour un instant. Par ailleurs les risques de transformer les prévisions en un horoscope banal sont tous là et il est encore plus nécessaire d’être attentifs, notamment dans un monde où personne n’aurait pu prévoir le terrorisme atroce du 11 septembre ou la tragédie ensanglantée du raz-de-marée. Il existe quelque chose d’impondérable qui nous ramène toujours à la réalité et qui limité les excès des élans tant lyriques que poétiques qui accompagnent les prévisions pour l’année qui viendra. Il devient alors plus simple, bien que ce soit un peu consolateur, d’avoir des espoirs et de prendre des engagements pour faire en sorte qu’ils se réalisent. La politique et les actions qui y sont liées, dans le quotidien ainsi que dans l’organisation ambitieuse du futur, ne sont pas une science exacte. Trop de variables se regroupent et des précisions géométriques ne peuvent pas être appliquées à des comportements ou à des humeurs, à des amitiés ou à des antipathies, à des montées ou à des descentes, à des unions ou à des séparations brusques qui sont des caractéristiques spécifiques de la politique, de ses émotions et de ses passions. Elles impriment des dynamiques inattendues et des solutions bien différentes des points fondamentaux de départ. Le premier espoir nous concerne. Nous devons faire en sorte que notre Mouvement arrive à sortir des difficultés, qui le blesseront si elles ne sont pas réglées par les normes élémentaires de la vie commune et du bon sens. Ceux qui se sont mis sur cette voie doivent être aidés et la recherche des ententes n’est pas un pur compromis. Le deuxième espoir concerne le travail qu’il faut faire et qui ne manque malheureusement pas de complexité. Je ne connais pas d’autres moyens à l’exception de l’examen des problématiques et de la recherche de solutions dans des temps raisonnables. En discutant à fond des arguments, mais sans porter les discussions à l’infini. Tout en sachant que derrière les problèmes 128 on trouve toujours des êtres humains et des membres de notre communauté. Cela implique de l’engagement et encore de l’engagement. Le troisième espoir, c’est que notre communauté ne soit pas affligée par une veine de cannibalisme. Que l’on ne se querelle donc pas sur tout argument et que l’on ne passe pas le temps à critiquer ce qu’on fait plutôt qu’à proposer des alternatives raisonnables. De graves incompréhensions finissent par alimenter des oppositions et disperser du poison. Invoquer la paix ne signifie pas être faibles, mais forts. Le quatrième espoir, c’est que l’on dirige un peu plus le regard du côté des jeunes. Non pas pour une démagogie stérile, mais puisque – pour de banales raisons démographiques – ils resteront après nous. On garde l’espoir qu’ils soient meilleurs que nous et notre devoir est de leur confier une Vallée d’Aoste en bonne santé dans son ensemble. Comment pourrons-nous autrement nous regarder dans la glace ou soutenir le regard de nos enfants et de nos petits-enfants ? 129 131 décembre Mes enfants, à l’âge où ils commencent à être sceptiques, m’ont de- mandé si le Père Noël existe. Bien sûr, les enfants, le Père Noël existe. A vrai dire je ne l’ai jamais vu, et je ne le verrai jamais. Vous savez aussi que les Pères Noël que vous voyez à la télé, au cinéma, sur les places et le long des rues ne sont pas vrais. Je ne sais même pas s’il a une barbe blanche et s’il est vraiment habillé en rouge, je doute qu’il ait une luge et je crois qu’aussi gras qu’on le représente il ne pourrait jamais passer par une cheminée. Et de plus pourrait-il y avoir une usine de jouets au Pole Nord ? Et vraiment les rennes pourraient résister aux climats chauds ? Mais le Père Noël existe, j’en suis sûr. Il est dans nos cœurs, il résume une idée et beaucoup de pensées. L’idée est celle très ancienne et rituelle de l’échange des dons. Le don est comme un pont pour communiquer une amitié, un sentiment, un amour. Des moments de joie qui ressemblent aux lumières, qui sont aussi anciennes que des idées dans les nuits les plus noires du passé de l’humanité. Tout cadeau est une lumière. Et les pensées ? Le Père Noël n’a pas d’âge. Il est sage et amuseur, travailleur et globe-trotter. Il finit par être Roi mage et berger, comme dans la crèche. Il offre aux enfants parce que Noël est la naissance de cet enfant pauvre de la Palestine : Jésus de Nazareth, né dans une étable, enveloppé par la lumière d’une comète et destiné au noir et à la souffrance de la Croix. Le Père Noël est le sourire de nos parents, qui nous ont vus naître un jour de leur vie. Leurs cadeaux sont une déclaration d’amour. Souvent ce sont ceux-mêmes qu’ils auraient voulu avoir quand ils étaient enfants à l’époque de la guerre ou dans la pauvreté de leur passé, lorsque peut-être le « cadeau »qui arrivait ne correspondait pas aux espoirs. Et cela vaut encore plus pour les grands-parents qui appartenaient en général à des familles nombreuses. Le Père Noël à bien y penser est un grand-père dont nous sommes tous les petits enfants. Voilà pourquoi le Père Noël existe. Il vole dans les cieux de notre imagination, il apparaît derrière le divertissement du choix des cadeaux, il s’insinue dans l’espoir que le cadeau donne un moment de joie à ceux qui le reçoivent. Voilà pourquoi, mes enfants, lorsque vous aurez des enfants à vous, défendez l’existence du Père Noël. Parce que nous sommes le Père Noël, notre 133 meilleur côté le représente, comme la mousse verte qui gagne sur le gris de l’hiver, et le gui argent qui illumine les bois tristes. Une lumière qui est comme celle du sourire du Père Noël, ce même sourire qui illumine le visage des personnes que nous aimons. Le sourire de tous ceux qui ne sont plus là et qui rien qu’à l’idée de Noël revient à notre mémoire. Il se peut que ce soit parce que la mondialisation a en partie fait du Noël quelque chose de laïque, en dépit de sa signification religieuse et c’est pour cela on le fête de manière désormais semblable sous les différentes latitudes. Il se peut que ce soit parce le Père Noël est une invention de Coca, qui a placé le pauvre Saint Nicolas au Pole Nord en l’entourant de rennes volantes et que sa popularité avec la pub de la boisson gazeuse. Il se peut que la lettre au Père Noël, qui désormais est souvent écrite à l’ordinateur et non plus en belle graphie, ait par conséquent vite remplacé sans trop de respect la bien plus légitime lettre à envoyer à « Gesù Bambino »pour lui demander des cadeaux. Il se peut que ce soit parce que l’arbre de Noel avec les lumières intermittentes est né avec le boom des années 60, quand l’électricité se transformait en opulence : depuis c’est le délire des décorations en une multiplication de couleurs et de formes. Il se peut que ce soit aussi parce que les repas de la veille et du jour de Noël sont désormais relativisés par les excès gastronomiques du quotidien et les mandarines –symbole du jour de Noël dans des périodes bien plus austères – sont toujours sur nos tables. Il se peut aussi que les cadeaux de Noël soient une boulimie de la consommation et non plus un moment symbolique de communion avec une multiplication qui les fait sortir de l’entourage familial en élargissant le nombre des destinataires et en augmentant le bilan. Il se peut aussi que les chants de Noël de tradition anglo-saxonne, comme il est arrivé avec la dinde rôtie, aient pris trop d’importance dans nos maisons et sont devenus nécessaires pour créer la bonne ambiance, de sorte que nos enfants s’étonnent de la « Pastorala » de Cerlogne qui suffisait, à elle seule, à réchauffer nos cœurs pendant la Messe de Minuit. Il se peut aussi que ce soit parce que les messages des portables ont fait vieillir les cartes de vœux, achetées en librairie, en faisant littéralement fumer les téléphones dans les heures clou de l’échange des vœux. Mais par bonheur, Noël est toujours Noël, et chacun de nous se trouve face à une série d’obligations. « Etre meilleurs » : c’est un des cauchemars qui nous suivent depuis l’enfance et qui est strictement lié à l’arrivée des cadeaux, dans un chantage qui marque pour la vie. Fréquenter la famille et appeler même les cousins et les oncles les plus éloignés est un autre impératif, tout en sachant qu’il faut éviter le danger de discussions rituelles, ainsi 134 que la festivité et la banalité des phrases répétitives de circonstance et les bisous et les gestes qui ont l’air faux. Quand les enfants grandissent, il faut de plus répondre aux questions sceptiques sur l’existence du Père Noël et tenir plus possible, même s’ils te trouvent en pyjama, le matin de Noël, avec les cadeaux sous les bras, devant l’arbre. Noël, ensuite, comme je le rappelle toujours volontiers, est aussi le jour de mon anniversaire. Donc pour moi un jour spécial pour une raison de plus, et les ans qui passent sont marqués encore plus par les changements. Tu penses aux personnes qui ne sont plus là, aux odeurs saines désormais disparues, à la quantité de neige qu’on avait autrefois, au fait que par bonheur les enfants nous garantissent encore une marchandise rare de ces temps : la stupeur face à un cadeau et à la magie du Noël. Pour moi la tristesse apparaît en quelques sorte le 26 : Noël est passé par enchantement et je me retrouve avec un an de plus. L’idée n’est vraiment pas exceptionnelle, mais on sait que même des petites idées peuvent résulter un point de départ utile pour changer quelque chose, notamment en politique. Avant de l’exposer, une prémisse, qui sert aussi d’exemple concret. Je suis en effet de retour d’une visite en une Région de la République Tchèque. Elle s’appelle Liberec, un territoire grand comme la Vallée d’Aoste, avec une population quatre fois plus nombreuse et plus de deux cent Communes. Sa position géographique est semblable à la nôtre, en étant à la frontière avec l’Allemagne et la Pologne et pour cela elle a donné vie, avec les Régions voisines, à une Eurorégion. C’est une zone touristique, où se tiendront en 2009 les Championnats du monde de ski de fond. Ceux qui sont des sommets à leurs yeux, aux alentours des 1000 mètres, pour nous ne sont que des collines, mais la latitude assure l’enneigement. Du point de vue du régionalisme ils sont des néophytes, étant donné qu’il y a cinq ans la République Tchèque a crée des entités administratives régionales. Les rencontres, comme il arrive souvent dans le cadre de la diplomatie régionale dans l’Union européenne, sont caractérisées par l’analyse d’aspects très concrets. La confrontation généralement se fait sur des problèmes réels. Qu’est-ce que vous faites à ce sujet ? Comment vous portez-vous dans ce secteur ? Quels sont vos rapports avec l’Etat sur ce thème ? Comment vont vos rapports avec Bruxelles et les Institutions européennes ? On crée des intérêts, on renforce des amitiés, on ouvre des dossiers communs. Il me semble que ce soit une bonne route à entreprendre. Toutefois il ne faut pas tomber dans le piège de l’inutilité des vieux jumelages, qui souvent se transformaient en un va et vient ou encore pire en un tourisme politique fait par des délégations fatiguées en voyage. Il s’agit au contraire de donner des critères et de la scientificité à ce réseau de contacts. 135 Le lien avec Liberec n’est pas le fruit du hasard, mais il dérive d’une étude que j’ai fait réaliser et j’ai partagé avec mes collègues sur la base des expériences européennes. En considérant les liens plus solides comme des acquis – je pense aux rapports avec Rhône Alpes, Provence Côte d’Azur, les Départements de la Savoie, la Catalogne ou avec les francophones belges – la richesse de l’étude est dans le fait d’avoir trouvé une Région ou une administration locale là où le niveau régional n’existe pas. A travers quelques critères à considérer seuls ou associés : régions avec des zones de montagne, minorités linguistiques, forte compétence législative, localisation transfrontalière. Ce fil rouge devient de plus en plus intéressant. La logique du réseau sur l’Europe entière peut nous renforcer et renforcer nos partenaires, qui appartiennent également à d’autres réseaux avec lesquels nous collaborerons enfin. Une Europe de lilliputiens contre la logique de Gulliver, un géant aux pieds d’argile comme l’est la conception désormais vieillie de l’Etat national. Je crois sincèrement qu’il n’y a qu’une minorité des unionistes, inscrits ou simples électeurs, qui est à connaissance de l’histoire de notre Mouvement. Ce qui manque est, à mon avis, cet aspect formatif qui est nécessaire pour que l’adhésion et le vote se fondent sur une base solide de connaissances. Le fait que cela arrive ne doit pas étonner : on se referme dans le présent ( et parfois dans la vie privée ! ) sans insérer notre vie actuelle en un horizon temporel plus vaste et sans tenir compte de l’importance de personnages et faits du passé. J’y réfléchissais ces derniers jours, en pensant à la force d’un choix fait il y a 60 ans à cette époque de l’année. Une fois échouée l’hypothèse d’un vote démocratique sur l’alternative d’une annexion à la France ( même pour l’attitude tout à coup froide du Général De Gaulle ) et une fois niée une garantie internationale pour notre Vallée – pour des raisons semblables – au moment de la Paix de Paris, les voies pour l’Union Valdôtaine n’étaient que deux : une pacifique, faite d’une forte interlocution politique avec Rome pour construire un parcours d’autonomie spéciale, et une autre, pour ainsi dire, violente, d’affirmation nationaliste bâtie dans l’espoir de créer un petit Etat. Le premier choix s’est affirmé dans les faits et aujourd’hui nous pouvons en mesurer le bien-fondé. Choisir de travailler dans les institutions et d’utiliser ce Statut d’autonomie que toutefois nous critiquons, nous a placés au centre de la politique valdôtaine. Une lourde responsabilité qui nous oblige toujours à raisonner entre présent et futur. Il faut que périodiquement nous pensions à nous comme communauté valdôtaine pour que nos choix ne résultent pas solitaires et placés sur un échiquier isolé, mais pour qu’ils s’insè136 rent dans les contextes italien, européen et international. L’empreinte la plus forte de ces dernières années est justement donnée par l’Europe, une vraie nouveauté par rapport à l’écho lointain que l’on percevait sur ces thèmes en 1945. Tel est le défi de nos générations. Avec environ soixante-dix Régions européennes nous partageons la condition de « entités politiques », plus ou moins fortes, qui ont une compétence législative qui leur est propre et certaines d’entre elles sont, telles que nous, des minorités linguistiques entièrement ou en partie constituées par des territoires de montagne. Le défi est justement celui de constituer un groupe encore plus critique envers les Capitales et envers Bruxelles au nom de la subsidiarité. En critiquant le modèle de l’Etat qui paralyse le chemin de l’intégration européenne, il faut donner une signification à une politique communautaire de travail commun entre les Régions, pour avoir davantage de poids sur les choix européens et pour donner au fédéralisme une signification concrète. Le dessein des Eurorégions doit avancer et il faut savoir que derrière ce projet – même dans notre région géographique – existe l’ambition nécessaire de sortir des frontières serrées des Etats nationaux, au nom de la proximité territoriale et de l’effacement des frontières. Pour cela faire il est important de croire en nous-mêmes et de ne pas tomber sur des logiques de fermeture locale et il faut en même temps que la politique vole courageusement haut. La gestion administrative de la quotidienneté ne doit pas déprimer les ambitions politiques, nous risquerions autrement d’avoir une plante de l’autonomie sèche et sans fruits. Dans l’histoire de notre Vallée nous lisons des moments de haut et de bas dans l’affirmation de notre identité politique, qui change dans les différentes époques en fonction des périodes et des règles en vigueur dans le droit public. C’est à nous qu’il revient de donner au monde de la politique valdôtaine, qui en démocratie est le reflet de la société civile, la possibilité de profiter de l’instant qui passe et d’ouvrir au contraire le débat en se confrontant avec cette Europe des Régions dont nous sommes aussi l’expression. novembre La politique est une activité qu’il faut prendre au sérieux et il faut s’en oc- cuper scrupuleusement. Cela veut dire étudier et passer beaucoup de temps sur les dossiers, rencontrer des gens, proposer des programmes et élaborer des idées. Il s’agit d’une activité difficile, qui place le politique toujours en 137 discussion grâce aux mécanismes publics qui caractérisent la démocratie. Imaginez-vous ce qui peut arriver dans un microcosme comme la Vallée d’Aoste, où la proximité est vécue au quotidien et les occasions de rencontre se multiplient et où nos bureaux sont ouverts pour tous ceux qui le désirent. Si on veut faire sérieusement ce métier, il faut chercher d’être des professionnels de la politique. Avec une seule indication importante : ce travail peut durer longtemps ou terminer vite, lié aux mécanismes de l’approbation populaire et même à d’autres imprévus moins sympathiques. Voilà pourquoi il s’agit d’un métier « sui generis » : l’horizon temporel et les exactes responsabilités auxquelles on est appelé sont soumises bien souvent au destin et à ses caprices. Pour nous comprendre : aujourd’hui tu y es e demain peut-être pas. C’est pour cette raison que, quand on me demande quel est mon travail je réponds toujours, après les explications nécessaires dans les différentes situations : « journaliste ». C’est ce que je voulais faire quand j’étais jeune et je suis vite devenu professionnel, je me suis amusé d’abord avec la naissance des radios et des télés privées et ensuite avec l’expérience de la télé régionale. Des années merveilleuses avant de devenir député, et j’ai continué à écrire et à faire un peu de radio pour me tenir en exercice. Lorsqu’il m’arrive quelque chose, que ce soit un voyage, un fait lié au travail ou à toute autre circonstance, je m’aperçois de raisonner sur la situation comme si je devais la raconter à un public de spectateurs ou l’écrire pour des lecteurs. Une déformation professionnelle qu’on ne peut pas effacer, bien que je m’approche des vingt ans en politique. Voilà pourquoi les bassesses dans le journalisme me blessent. Un manque de déontologie et le contrôle insuffisant des sources font paraître à la une des nouvelles fausses. Une négligence dans l’approfondissement des thèmes qui risque de transformer les journalistes en pantins qui tiennent un micro dans les mains ou en artistes du « copier/coller »des communiqués de presse. Une répétitivité dans les nouvelles qui laisse entrevoir un manque d’envie de sortir des rédactions pour chercher des nouvelles fraîches et originales, parce que cela est fatigant. Un choix qui n’est pas partageable : mêler la nouvelle et le commentaire, en imaginant parfois que le journaliste devient militant et partisan d’une cause, souvent en polémique avec le Palais, qui est vu d’amblé comme un adversaire. Le métier du journaliste est et demeure au contraire celui d’un artisan humble, qui cherche, creuse, interroge et s’interroge. Une activité solitaire et en même temps d’équipe à accomplir en respectant les autres et les lecteurs, en parlant des positions différentes entre elles et en traitant avec attention les thèmes les plus délicats, en sachant qu’une petite colonne peut avoir des conséquences graves. Cela n’implique ni de muselière, ni de censure ou des attentats à une liberté de presse que j’ai toujours estimé sacrée. Mais cela veut dire qu’écrire dans un journal, parler à la radio et à la télé est un 138 travail difficile qui doit être fait avec une grande attention. Il faut le faire avec amour, en évitant de banaliser l’expérience extraordinaire de la narration et du récit. Tout en sachant qu’il est également important de le faire avec une passion civile et en rappelant à quel point ce journalisme libre – et tout journaliste doit avant tout se sentir libre – est désormais une composante essentielle d’une démocratie moderne. J e suis depuis longtemps les faits du long tunnel de la Turin – Lyon et des « bouts » de voie ferrée qui y sont liés. J’ai pu étudier cette oeuvre cyclopéenne et ambitieuse tant du point de vue national – italien et français – que du point de vue du complexe scénario européen et en particulier de l’arc alpin. Cet intérêt est légitime pour nous valdôtains, étant donné que les destins de cette voie ferrée influencent pas mal le futur trafic des camions à travers notre Vallée, en utilisant le Tunnel du Mont Blanc, et noircissent même, en un horizon temporaire éloigné, la possible réalisation de la voie ferrée et du Tunnel entre Aoste et Martigny. De la Turin-Lyon j’ai discuté plusieurs fois – chez eux et même à Bruxelles – avec les administrateurs de la Vallée de Suse, mais également avec ceux de la Vallée de la Maurienne, et je sais bien que, notamment dans la basse Vallée de Suse, demeurent des peurs et des inquiétudes légitimes. Il m’avait semblé comprendre que le « non » plusieurs fois exprimé soit enfin négociable en échange d’avantages pour le territoire et du choix de projets qui limitent l’impact sur l’environnement. Ainsi que les représentants des communautés locales semblaient être conscients des risques que les anarchistes, les no-global, les environnementalistes puissent manipuler la situation. Même le risque d’implications terroristes a résulté être véritable, en pensant aux projectiles envoyés à la Présidente de la région du Piémont Mercedes Bresso, qui d’ailleurs a toujours su se différencier par sa capacité de rechercher des solutions raisonnables. Une situation politique d’ensemble qui n’est pas simple : la Vallée de Suse a déjà subi une autoroute absolument destructrice du territoire et liée au tunnel routier du Fréjus ( son doublement est déjà en discussion ). Elle a également subi un fort dépeuplement en faveur de la plaine et a été agressée par des phénomènes d’infiltration mafieuse et par des lourdes spéculations sur les constructions. Les Jeux olympiques de 2006 semblent avoir été, même en considération du grave déséquilibre sur la ville de Turin, une occasion loupée pour un nouveau développement touristique et risquent par ailleurs de devenir une occasion pour des oppositions bruyantes et largement médiatisées justement contre chemins de fer et trains. Il me semble aujourd’hui que l’opposition à la nouvelle transversale alpine ait acquis des éléments symboliques ultérieurs et une composante poli139 tique qui ne doivent nullement être minimisés. Il revient à tout le monde de trouver des solutions raisonnables. Ma thèse est connue : ceux qui veulent bloquer la réalisation d’un chemin de fer se trompent, même si – en étant totalement sincères – il faudrait que le Gouvernement italien et français prouvent enfin qu’ils ont vraiment l’argent pour cette oeuvre colossale ( ce qui représente la condition nécessaire pour avoir des contributions de la part de l’Union européenne ). Par ailleurs la demande de confrontation et de participation des habitants de la Vallée de Suse est légitime et ne peut pas être comprimée avec la logique superficielle de considérer des requêtes comme locales et égoïstes par rapport à un intérêt abstrait plus ample. Cela dit, il est évident que le refus de la voie ferrée impliquerait la valorisation de la route et le doublement des Tunnels du Fréjus et du Mont Blanc. Cela représenterait pour les Alpes une défaite et une capitulation en faveur du transport sur la route qui serait vainquant par rapport à la voie ferrée. Je suis las que des environnementalistes citent le merveilleux exemple suisse qui valorise le transport des marchandises avec le train et, en même temps, manifestent contre la même solution entre Italie et France, qui est justement la nouvelle voie ferrée entre Turin et Lyon. Mettre en discussion cette traversée alpine, souvent au nom de raisonnements abstraits et idéologiques, est enfin un risque pour les populations alpines et pour leur futur. Je trouve que la polémique est une caractéristique importante en po- litique. En exposant les positions qu’on assume on se confronte – c’est la démocratie – avec les projets et les positions des autres. Cela implique des moments de « collision » et une vivacité évidente dans l’opposition, qui donne à la vie politique des émotions et de l’adrénaline. Il est vrai par ailleurs que la polémique peut aussi être ironie, sarcasme ou qu’elle peut se jouer à coups d’escrime. Celui qui accepte de descendre dans l’arène politique, sait de devoir accepter des règles et en subit par conséquent le bien et le mal. Le bien est dans le fait qu’on doit être vigilants et on doit défendre ses idées et ses propositions, le mal est dans la possibilité d’être blessés et battus. Il vaut mieux de se préparer aux coups et de ne pas être trop susceptibles. Cela arrive même à l’intérieur de notre Mouvement, où des différences légitimes existent, ce qui est une source de richesse. La quête d’une position unanime, qui est le résultat d’un travail fait d’une recherche lourde, ne s’identifie pas à une platitude unanime, vide et sans débat. Mais attention, il faut rappeler qu’il y a une différence énorme entre l’intérieur ( les polémiques au sein du Mouvement ) et l’extérieur ( le rapport avec nos adversaires ). Il faut faire attention au juste milieu, à la limite qu’on ne doit jamais dépasser. La phrase 140 de Thomas Hobbes « Bellum omnium contra omnes »– une guerre où tout le monde se bat contre tout le monde – résume bien le danger qui est représenté par le fait qu’une lutte continue et sans pause risque de devenir pénible et de détruire à la base un mouvement politique. Voilà pourquoi il faut se vacciner contre les virus destructeurs, se doter d’anticorps pour éviter la maladie, notamment si elle peut être contagieuse. Dans ce cas le seuil de la confrontation à l’intérieur du Mouvement peut atteindre des niveaux élevés de polémique, mais doit s’estomper ensuite, en tenant compte des règles démocratiques, pour éviter des lacérations qui ne peuvent pas être guéries. Il faut être conscients de ces règles, même dans les moments de plus forte implication émotive et lorsque la colère peut jouer des drôles de tours, il faut continuer à penser à un intérêt supérieur et être prêts à faire un pas arrière plutôt qu’un en avant. Il est bien plus compliqué, et même impopulaire, de refroidir les esprits au lieu de les enflammer. Parfois on aime plus frapper des mains que les lever pour éviter la bagarre. Mais le dialogue, dans des circonstances particulières, lorsqu’il faut regarder au futur et aux problèmes quotidiens à résoudre, n’a pas d’alternatives pour éviter que des effets en cascade poussent la polémique au-delà des limites de non retour. Les peurs sont liées à notre vie, depuis notre naissance jusqu’au dernier souffle. Tout âge a les siennes et elles changent avec le temps. Mais la première inquiétude demeure toujours et légitimement celle de la mort. Heureusement nous n’y pensons pas en continuation et cela arrive par un mécanisme qui nous évite de nous y arrêter. Autrement, entre maladies, dangers quotidiens et risques incontrôlables nous ne bougerions même pas, comme paralysés, en attendant le pire. Mais au contraire la grande partie de nous n’y réfléchit pas et vit tranquillement. En évitant les mauvaises pensées et les angoisses, on vit toutes nos journées en évitant de penser : « Et si c’était mon dernier jour ? ». Si au contraire, par hasard, on s’y arête, on tente alors de s’intéresser à autre chose, pour éviter une sorte de court-circuit qui nous bloquerait. Ce n’est sans doute pas facile. Aujourd’hui la grippe aviaire est une sorte de fantôme qui annonce une pandémie très dangereuse. Les risques du terrorisme international nous remplissent d’appréhension à l’occasion des déplacements aériens ou des séjours dans les grandes villes. Nous ne savons pas bien si, malgré les discours importants et les excès du principe de précaution, ce que nous mangeons nous empoisonne ou pas, si l’usage du portable a des conséquences sur notre cerveau, si le trou dans l’ozone est ou pas une légende métropolitaine. Si nous regardons de plus certaines statistiques – telle que celle du nombre d’accidents de la route ou celle sur l’impact des maladies cardiovasculaires ou des tumeurs – il y a vraiment le risque d’avoir les 141 frissons et de passer le temps à caser sa vie et son existence à l’intérieur des statistiques et des chiffres qu’elles imposent malignement. Même pour cela, sans devoir être obligatoirement courageux, c’est notre devoir de nous armer d’un fatalisme sain et de jouir de notre vie. Une vie unique – et cela n’a rien à voir avec l’abstraction ou avec l’espoir légitime de la foi en quelque chose après la mort – et comme telle à affronter avec force et détermination. A vivre, donc ! octobre L’Union ne peut pas être une partie intégrante de l’Unione ni s’effacer à l’intérieur de cette coalition. Je préfère le dire pour éviter des malentendus, tout en pensant à mon amitié avec Romano Prodi, qui est à mes yeux le Président qui devra être à Palazzo Chigi à partir de 2006. Je l’écris même pour répondre à ceux qui pensaient qu’on aurait du participer aux élections primaires de l’Unione, dont nous ne faisons pas partie ! En sachant de plus que, à la lumière du soleil, l’Unione regroupe alliés et opposants et donc l’ensemble de la coalition qui existe en Vallée d’Aoste uniquement pour le choix du candidat premier, pour nous n’est pas neutre. J’essaye de m’expliquer un peu mieux. Notre « non participation » aux primaires de l’Unione n’a pas grand chose à voir avec le slogan « ni droite ni gauche », qui demeure important. Ainsi on dresse la barre en soulignant l’âme centriste d’un Mouvement comme le nôtre qui a le but de rassembler les personnes. Chacun de nous, de plus, en utilisant des catégories politiques qui désormais représentent la réalité de manière imparfaite, peut s’identifier, au concret, plus à droite ou à gauche. Personnellement par exemple, pas de mystères là dessus, je me sens plus progressiste que conservateur, pour utiliser une autre manière pour exprimer les catégories politiques. Cela est prouvé non seulement par mon bagage culturel, mais également par mon parcours politique et par les amitiés dont je suis fier. Ce qui compte – pour revenir au Mouvement – est le parcours originel de l’Union Valdôtaine, qui depuis toujours est fait d’alliances « obligatoires », différentes entre elles, nécessaires pour réaliser un espoir naturel : gouverner la Vallée d’Aoste à l’intérieur d’un système qui dans l’après-guerre a été largement proportionnel. Les choix du passé, que l’on ait choisi la DC plutôt que le PCI, ont donné lieu à la naissance, néfaste puisque les divisions nous affaiblissent, d’un Rassemblement sur la droite et d’une Union progressiste sur 142 la gauche. Un débat interne est bien plus utile que ces choix de rupture et cela au nom de l’intérêt supérieur de la Vallée, qui doit toujours faire passer en deuxième plan les tactiques et les personnalismes. Cela signifie regarder avant tout à nous mêmes et nous poser une question : l’Union a un sens ou il vaut mieux qu’elle conflue dans un rassemblement plus grand, comme l’Unione ? Je suis désolé pour les Cassandres qui désormais nous donnent pour morts. Je prends acte de l’attitude ambiguë de ceux qui voudraient jouer en même temps avec deux maillots différents. J’observe les nombreux ennemis qui font de nos possibles faiblesses leurs points de force. Je m’amuse avec ceux qui ont fait de cette haine une sorte de métier. Mais il n’y a pas d’alternatives croyables et penser, après 60 ans de vie, que l’Union décide de disparaître, en devenant une goutte d’eau dans la mer d’un grand groupement politique italien, aurait vraiment quelque chose d’ahurissant. Nous devons au contraire rester nous-mêmes, être des interlocuteurs pour l’Union, en gardant notre façon d’être et nos caractéristiques. En sachant de plus que le retour au proportionnel, qui par ailleurs en Italie a toujours existé pour une fausse utilisation des collège uninominaux partagé dans les réunions romaines et pour un seuil proportionnel qui a toujours demeuré, rend l’Unione faible pour les nombreuses divisions bien visibles même en Vallée d’Aoste, ou quelqu’un pense qu’on puisse répéter un vote qui était clairement pour Prodi et fortement contre Berlusconi et tout cela n’a pas grand chose à voir avec le reste. En tant que fédéralistes nous sommes et nous devons rester des rêveurs. Mais cela ne nous empêche pas de garder les pieds sur terre. C’est une image contradictoire. En effet, la complémentarité entre le rêve et le concret évite le risque qu’on pense au Fédéralisme comme à quelque chose d’abstrait et d’immobile. Certes, comme point de départ, il faut dire qu’il faut avoir les nerfs très solides pour garder la confiance et ne pas tomber dans le piège de la désillusion. Souvent on a l’idée d’être des homards qui, au lieu de poursuivre en avant le long de la route, se retrouvent à marcher à reculons. Toutefois en regardant au passé et au triomphe du centralisme, ( et malheureusement aux dictatures de droite et de gauche ) en large partie du Novecento, nous pouvons au contraire apprécier raisonnablement comme une série de pas en avant aient été accomplis. Cet exercice d’évaluation historique permet par conséquent d’alimenter une série d’espoirs. Il serait par ailleurs terrible de ne pas avoir une perspective positive pour le futur. Réaliser ses propres idées, même si aujourd’hui elles paraissent voilées par l’utopie, permet d’affronter des tâches quotidiennes avec plus d’énergie. C’est au fond 143 notre espoir : un horizon qui se déplace un peu plus loin et auquel on n’arrive jamais, du moins jusqu’à quand – mais cela fait partie des mystères qui nous dépassent – notre parcours de vie s’interrompt. Et notre travail de fédéralistes ne sera pas perdu, mais il servira pour accroître les idées et les espoirs de ceux qui viennent après nous. Pensons par exemple à l’Italie et à l’Europe. Entre mille hauts et bas, l’idée fédéraliste est devenue un sujet de débat. Il est vrai que sur cet argument nous entendons des bêtises, des balbutiements, des ingénuités. Mais on a sans doute réussi à sortir de ces logiques élitaires et autoréférentielles, qui faisaient ressembler certaines associations fédéralistes à des groupes de numismatiques ou de bibliophiles. Ou, pire encore, comme si le fédéralisme était à associer à des clubs qui inventent des rites celtiques ou si on avait affaire à des pratiques mystérieuses comme celles des Templiers. Il existait donc un procès culturel et politique de marginalisation et d’avilissement. Il me semble maintenant que, tant les favorables que les contraires, ne peuvent pas nier que le fédéralisme occupe solidement la scène. Et qu’il offre des occasions de changement raisonnables, de plus grande démocratie, de souveraineté élargie, de proximité des Institutions, de subsidiarité entre l’énormément grand, comme le monde entier, et l’infiniment petit, comme peut l’être la Vallée d’Aoste. Un petit morceau coloré sur la mappemonde qui, avec la clé du fédéralisme, peut dire la sienne ! J’ai voulu rappeler au Président de la République, M. Carlo Azelio Ciampi, en visite dans notre Vallée, à quel point nous estimons important de célébrer les 60 ans de notre autonomie. Et le Président est sans doute plus que d’autres sensible à cet exercice de respect des souvenirs, ce qui lui vient de sa biographie personnelle, celle d’un octogénaire qui a vécu en entier l’histoire républicaine. Sans une mémoire collective, nous n’aurions pas de point de repère et il n’y aurait aucune continuité avec le futur. Notre identité actuelle serait bien peu de chose, si l’histoire était un exercice abstrait de notions sans liens entre elles. Et le ciment qui nous lie est dans l’évolution d’une idée autonomiste qui, au fil du temps, sait faire face – en se modifiant à l’occurrence – aux nécessités qui dérivent de l’ensemble institutionnel dans lequel s’insère le destin politique de notre Vallée. Je pensais par exemple l’autre jour au fait que l’intramontanisme de Mgr Bailly a été un élément vivifiant de notre pensée politique, bien au-delà de l’horizon du XVIIème siècle. Il représente, au contraire, un morceau de cette chaîne solide qui lie dans les siècles le particularisme valdôtain. 144 Et parmi les faits d’il y a 60 ans – c’était bien de l’évoquer – rentre l’anniversaire de la naissance de notre Mouvement, l’Union valdôtaine, qui depuis 1945 a été inséré dans l’histoire de notre Pays. Je suis heureux du fait que la référence que j’ai voulu faire devant le Chef de l’Etat à l’Union n’ait pas suscité de polémiques. Il est vrai par ailleurs que les 60 ans de l’Union sont et demeurent un fait historique d’une importance objectivement remarquable et mon évocation n’était donc pas partisane. Il est clair qu’il est avant tout à nous qu’il revient de communiquer à l’opinion publique l’importance du rôle de notre Mouvement, de ses dirigeants, du patrimoine de ses idées et de son action administrative. Nous devons le faire en soulignant l’événement, comme pourrait le faire le balancement d’une cloche qui retentit en équilibre entre les faits du passé et la force des projets pour le futur. Pour ce faire il faut viser haut, au-delà du quotidien. Cela ne signifie pas ne pas suivre et ne pas résoudre les problèmes d’aujourd’hui, mais les insérer dans un contexte plus vaste. En s’éloignant le plus possible d’une vision fragmentaire et sectorielle et en recueillant nos forces pour une vue d’ensemble, une fresque de notre futur dans laquelle l’ensemble résume le détail ; où nos affaires personnelles, même les incompréhensions et les jalousies, sont mises de côté face aux nouvelles nécessités et aux engagements plus importants. Ce qui nous demande de nous confronter à un destin collectif, celui du peuple valdôtain, qui nous oblige à la cohésion. Ce n’est pas une ennuyeuse image d’union, qui cache les ruisseaux méphitiques de mille divisions, mais une difficile acceptation de nos responsabilités. Le cerveau doit être entraîné. Toute nouvelle sollicitation, les scientifi- ques nous le disent, sert à éviter les limites qui dérivent de certaines habitudes ou de la répétitivité de nos actions. La lecture demeure un exercice idéal pour faire fonctionner les neurones. Les livres restent un merveilleux exercice intellectuel et personnellement je les choisis de la manière la plus disparate. Je regarde curieusement dans les librairies, je visite les sites internet spécialisé ou encore j’écoute les conseils des amis. Il m’est aussi arrivé de lire un livre après en avoir lu la critique. C’est le cas pour un livre de poche de chez Bompiani écrit par le Professeur Francesco Tomatis, de Cuneo, intitulé « Filosofia della montagna ». J’étais sur le point de l’acheter lorsque j’en ai reçu une copie accompagnée d’un gentil mot de l’auteur. Qu’est-ce que cela a à voir avec l’entraînement du cerveau ? Le lien est dans le fait que ce livre est un exercice intéressant en neuf chapitres, divisés en neuf sous-chapitres pour un total – très cartésien – de 81 pensées cultivées, profondes et souvent absorbantes. Comme je le disais, l’exercice cérébral est garanti, au prix de 8 euros seulement ! 145 Tomatis, qui est Professeur de « Ermeneutica filosofica »à l’Université de Salerno, utilise des titres imagés pour les chapitres ( du type « Mistica e alpinismo »ou « Metafisica della cima » ) et pour les sous-chapitres ( de la sorte « Vuoto alpinistico »ou « Contrade alpine e civiltà ideali » ). L’importance des titres, je le dis comme journaliste, est tout autre que marginale : comme il arrive pour l’étiquette d’une bonne bouteille, les titres attirants s’accompagnent à un contenu intéressant, ainsi qu’une belle étiquette à un bon vin. L’index des citations bibliques et l’index des auteurs cités, y compris notre Saint-Anselme de Aoste, sont le témoignage de l’épaisseur de l’œuvre. Un livre qui a été pour moi comme une oasis dans le désert des engagements quotidiens. Pour faire un autre exemple, le livre ressemble à ce qui arrive en montagne lorsqu’un océan de nuages enveloppe la plaine et, du haut du sommet, tu contemples le soleil et le ciel bleu. Merci Tomatis, pour les points de réflexion, qui confirment la « simpatia »( c’est ainsi qu’il l’a écrit ! ) exprimée opportunément dans la dédicace ! septembre Quand on se plaint des attentats à l’autonomie spéciale, on déclenche tou- jours la réaction de ceux qui accusent l’Union Valdôtaine et ses représentants de vivre sur ce mécanisme atavique ami-ennemi. Comme si on disait que Rome, symbole du centralisme politique et institutionnel, finit pour être un utile bouc émissaire qui unit les valdôtains et renforce notre Mouvement politique. L’accusation est celle de dramatiser les tons dans ce but pour recruter partisans et électeurs et d’alourdir le ton de la polémique en augmentant les difficultés pour provoquer une sorte de cohésion tribale. Il se peut que, comme dans toutes les communautés humaines, des mots d’ordre ou des discours politiques profitent de mécanismes émotifs et de la légitime aspiration de captiver l’attention et de créer un groupe plus nombreux. Il y a des règles d’identification et de solidarité utiles et nécessaires. Mais c’est justement l’exemple de ce moment historique, qui coïncide avec le 60e anniversaire de l’autonomie, qui démontre à quel point cette autonomie peut être vraiment menacée et les menaces sont malheureusement bien concrètes. Pour nous comprendre, je vous fais des exemples. On discute de la réforme électorale et de l’abolition des collèges majoritaires. Je peux vous assurer, puisque je l’ai vécu pour les discussions à la Chambre des Députés il 146 y a quelques années, que si la disposition du Statut qui considère la Vallée d’Aoste une circonscription électorale et nous donne droit à un Député et un Sénateur n’existait pas, la tentation serait de noyer la Vallée d’Aoste en une circonscription proportionnelle avec le Piémont et de faire disparaître nos représentants au Parlement. Un autre exemple. Depuis 1993 les dispositions d’application du Statut sont devenues un instrument constitutionnel qui passe à travers un organe de rang constitutionnel : la Commission paritaire. Cette Commission n’est pas seulement paralysée par l’Etat, mais nous attendons depuis des années des décrets très importants pour notre autonomie, qui ont disparu dans les couloirs du Gouvernement. Un scandale ! Un dernier exemple. L’Union Européenne demande depuis des années à ses membres de respecter le pacte de stabilité, un mécanisme de contrôle des frais publics pour éviter tout déficit. A travers les lois budgétaires, le gouvernement Berlusconi utilise ce mécanisme européen pour toucher au cœur du système des autonomies spéciales : l’autonomie budgétaire, sans laquelle l’autonomie spéciale serait de fait annulée. Voilà pourquoi nous ne sommes pas des visionnaires et nous n’utilisons pas les problèmes avec Rome pour instruire les valdôtains. Nos demandes d’attention et de mobilisation sont au contraire motivées et nécessaires pour le bien de la Vallée d’Aoste. Tout affaissement minerait les fondations de notre Région. Lorsque j’étais journaliste à la RAI, pour les nouvelles de la Voix de la Val- lée et celles du journal télé, j’étais orgueilleux d’utiliser très peu les communiqués de presse. Il ne s’agissait absolument pas d’une attitude de snob, mais je préférais trouver des nouvelles fraîches pour intéresser la personne qui écoutait la radio ou regardait la télé, et pour ne pas mourir d’ennui comme professionnel de l’information. Je l’écris contre mes intérêts actuels, étant donné que comme politique je confie souvent aux communiqués de presse la description de mon travail, pour qu’on en informe les citoyens et j’estime que ce type de communication institutionnelle a une utilité. Il y a toutefois une règle à respecter : on doit avoir des faits vrais, autrement il est légitime de jeter à la poubelle le communiqué, faute d’intérêt. Et il arrive trop souvent – voilà le point – d’avoir des communiqués de presse vides en réalité, sans aucune substance et qui n’ont donc aucune raison d’exister. Mais je dirais qu’il y a même pire. Je trouve par exemple grotesques ces communiqués qui semblent être à la mode aujourd’hui. Le schéma est simple : ceux qui sont régulièrement ignorés par les médias, puisqu’ils font des choses qui ne sont pas intéressantes, choisissent la stratégie qu’on pourrait 147 définir du chœur grec, comme cela arrive dans la tragédie classique. Il y en a un qui fait, oeuvre, décide et l’autre – d’un pied ferme – qui critique, s’indigne, menace. Une opération substantiellement semblable au comportement d’un coucou. Il s’empare du nid d’un autre, il jette les œufs qu’il trouve et il les remplace par les siennes. Un parasite en quelques sorte, comme la ténia, le célèbre ver qui s’empare des viscères. Le spécialiste du chœur grec est imbattable. Tu proposes et il s’exprime contre ton idée, tu t’engages à fond dans ton travail et il s’indigne, tu travailles quotidiennement et il commente una tantum, généralement avec dégoût. Peu de propositions et beaucoup de contestations. Parce qu’il n’existe que comme une lumière réfléchie. Son programme politique se joue sur l’opposition. Voilà pourquoi les déclarations sont toujours contre et jamais pour, puisqu’elles manquent d’un contenu réel. Parfois je m’indigne, mais peut-être – et je l’apprends avec la sagesse accumulée dans les années – il vaut mieux de cultiver un sentiment d’indifférence. Le silence, parfois, a le son d’une cloche qui retentit pour annoncer un mort. Les données concernant les morts à cause du cancer sont impression- nantes. Umberto Veronesi, célèbre oncologue, dit autrefois à Aoste que si aujourd’hui environ une personne sur trois tombe malade, ce rapport est destiné malheureusement à croître, et il y aura deux malades toutes les trois personnes. En attendant naturellement que la science trouve un vaccin ou quelque chose de semblable. Voilà parce que, aussi en espérant de ne pas en avoir personnellement du besoin, les expériences de ceux qui ont abordé la maladie sont intéressantes à lire. Il est le cas du célèbre journaliste de Florence Tiziano Terzani, mort il y a un peu plus qu’un an. Son histoire de journaliste, que je connaissais déjà, est étrange. Bien qu’italien, il a été pour trente ans correspondant pour l’hebdomadaire allemand Der Spiegel. En Italie – un peu méconnu – il écrivait parfois pour « l’Espresso », ensuite il a travaillé pour « La Repubblica »et plus récemment pour « Il Corriere della Sera ». Observateur attentif de l’écriture efficace, il était un journaliste de race, polyglotte et acculturé. Souvent contre-courant dans ses choix comme l’évidente décision non global des derniers mois. J’avais déjà lu deux de ses livres : « Un indovino mi disse », dans lequel il raconte les voyages en Orient, d’une année entière, pendant laquelle il n’employa pas l’avion, vu qu’un voyant lui avait annoncé qu’il serait mort dans un accident aérien. Ensuite, avec « In Asia », il avait raconté la vie de ce Continent, si difficile et complexe. En 1997 il découvre être malade de cancer, et il commence une odyssée à la recherche de soins médicaux de divers genre : de la médicine 148 traditionnelle à beaucoup de formes de soins alternatif, une bonne partie desquelles démasqués surtout pour la veine de superficialité si non d’avidité. Il mourra 7 ans après sur les montagnes de l’Appennino et les montagnes, de l’Himalaya aux montagnes de sa terre, sont importantes vu qu’il en comprend et apprécie l’aspect mystique. Le dernier livre « Un altro giro di giostra » est un récit émouvant et affligé, ironique et spirituel. Il a créé un tel phénomène d’intérêt et de sympathie qui, posthume par rapport à la vie de l’auteur, est né un site www.tizianoterzani.com, qui réunit l’intérêt de ceux qui ont découvert en Terzani une source d’inspiration, d’intérêt humain, d’impulse à la découverte intérieure. Sa figure hiératique, avec la barbe blanche et les vêtements orientaux, se retrouve même dans un film, dirigé juste avant sa mort, par le réalisateur Mario Zanot, dans lequel il montre avec quelle vitalité on peut aborder le trépas. Accompagner pour 500 pages la lente agonie d’une personne rend participes et émus, même si certaines rudesses antiaméricaines de l’auteur peuvent heurter. Dans le travail de Terzani – qui accepte le destin incessant qui l’attend – il n’y a pas le désespoir, au contraire on retrouve un parcours vers la mort qui devient peu à peu consciente et sereine, en valorisant l’importance de la vie. Une attitude et un état d’esprit culturels qui ont créé, et ce n’est pas un hasard, ce mouvement d’opinion qui a aujourd’hui en Tiziano Terzani un point de repère. Certes, ça lui ferait plaisir. Les anniversaires ne servent pas seulement pour se regarder dans le mi- roir, mais aussi pour se regarder autour. J’y pensais pendant que, comme dans une « moviola », les étapes fondamentales de l’histoire de notre Mouvement glissent à la mémoire. Histoire exemplaire de batailles politiques et de sacrifice personnel de milliers et milliers de nos militants, qui ont sacrifié du temps et des énergies pour le bien suprême de la cause valdôtaine. Ça réchauffe les cœurs de penser à ces personnes qui ont su traverser des instants difficiles et bien loin des résultats électoraux éclatants de ces derniers ans. Jamais ces triomphes, comme la majorité absolue au sein du Conseil de la Vallée, n’auraient existé sans ceux qui ont construit des bases solides dans un moment historique dans lequel il était difficile d’être unioniste. Aujourd’hui, il est très facile de se ranger du côté des vainqueurs. Je pensais, par contre, au triste destin de nos ennemis. Il y a soixante ans, dès le début, on n’était pas considérés du tout par beaucoup d’eux. Ensuite, parmi les fondateurs, quelques uns suivirent les sirènes des partis nationaux dans le climat hostile de la guerre froide : ainsi on a eu la possibilité de vérifier la présence d’un grand nombre de traîtres. La graine de la zizanie fut répandue à pleines mains et cela produisit – à 149 l’aide aussi des services secrets italiens qui épiaient la vie privée et publique de mon oncle Séverin – des périodiques et douloureuses divisions. Les ennemis étaient les leaders nationaux qui empêchaient l’application du Statut de l’autonomie. Des ennemis qui peignaient les valdôtains comme « mafieux » et construisaient des grandes et petites enquêtes judiciaires contre les exposants unionistes. Il y avait ceux qui nous accusaient de n’importe quelles infamies parce qu’on était, et nous le sommes encore, des autonomistes et des fédéralistes. Il y avait qui, au nom du nationalisme ou de l’internationalisme, nous décrivaient comme des petits et mesquins provinciaux. Ceux qui se moquaient de l’emploi du Français et du franco-provençal, ainsi que de l’amour pour notre culture et nos traditions. Maintenant on découvre que les partis politiques férocement adverses à l’UV sont disparus de la scène. Durs comme le rocher de nos montagnes, nous sommes là à jouir en regardant nos adversaires vaincus par l’histoire ou forcés à nous imiter afin d’avoir le même succès qu’on obtient avec notre message politique. Tant d’ennemis, tant d’honneur. Ainsi nous pourrions dire de notre histoire. En sachant cependant que nous représentons nos pires ennemis. Nous le sommes quand les jalousies et les incompréhensions nous déchirent et la haine embrume le seul objectif que nous devons poursuivre, le bien-être et une majeure liberté pour notre Vallée et pour ce peuple valdôtain que nous devons servir avec humilité et engagement. Cela relativise le rôle et les ambitions de chacun de nous, afin d’éviter que l’étoile de notre Mouvement, qui n’a jamais été aussi luisante, puisse s’affaiblir. L’eau c’est nous. Notre corps en est fait, nous y vivons dans l’utérus de nos mamans, sans eau nous mourons en peu de temps et la nature autour de nous s’éteint si elle n’en reçoit pas régulièrement. Depuis quelques temps – ceux qui partagent cet intérêt le comprennent – l’évolution climatique me passionne. C’est une évolution qui garde toutefois quelques points de repère. Le premier : depuis 5000 ans les valdôtains ont du faire face à beaucoup de changements avec des glaciers qui reculaient et s’étendaient en fonction du froid ou de la chaleur, et aux changements de température qui influaient sur les activités agricoles et sur la localisation des centres habités. Le deuxième : le problème de l’eau est prioritaire dans le monde agricole ; le territoire a été forgé avec des rus et des canalisations plus ou moins grandes qui, en guise de squelette, soutiennent le terrain et alimentent un système hydrique sans lequel le désert s’emparerait de bien de territoires. Le troisième : l’eau signifie aussi culture et donc toute civilisation, y compris la nôtre, qui est le sous système du système des Alpes, trouve dans l’eau et dans la manière de 150 l’employer un élément fondateur ( je pense par exemple aux fontaines disséminées sur notre territoire ). Le quatrième : l’eau est aussi modernité, comme cela est arrivé avec l’énergie hydroélectrique et comme il arrive aujourd’hui avec l’eau pour produire la neige artificielle, indispensable pour avoir les pistes enneigées et pour permettre le tourisme d’hiver. Le cinquième : depuis des millénaires l’eau n’est pas uniquement un élément bénéfique : elle peut donner lieu à des catastrophes dans les zones de montagne, comme il arrive avec les alluvions et les bouleversements qui en dérivent. Le sixième : ce qui pourrait être différent, dans le graphique des mutations, serait la responsabilité directe des styles de vie et des modèles de développement de l’humanité sur les transformations du climat, qui ne seraient pas dues aux dynamiques de la Terre sur laquelle nous vivons. Ce court résumé est la démonstration de la complexité face à laquelle nous nous trouvons et de la nécessité de comprendre. Des exemples. Devrait-on penser à être plus attentifs à une ressource qui a été considérée infinie jusqu’à présent ? L’eau de pluie, rarement prise en considération à nos latitudes, doit être recueillie scientifiquement ? Nous faisons semblant de rien pour le brusque reculement des glaciers ou nous trouvons des mesures actives de tutelle ? Si l’hydrogène sera effectivement le combustible de demain, notre eau sera comme le pétrole ? Le climat des prochaines années et décennies n’est donc absolument pas neutre par rapport à des choix et à des décisions que nous devons assumer aujourd’hui pour être à temps. Je comprends la prudence des scientifiques et qu’ils soient souvent partagés dans les analyses et dans les prévisions, mais il est opportun que la politique s’intéresse aux changements climatiques en Vallée d’Aoste pour savoir, pour comprendre, pour intervenir. Suivre exclusivement les événements serait un choix renonciataire. août Des nuages noirs se lèvent à l’horizon des régions italiennes et si on tend l’oreille on entend le bruit des tonnerres qui ne promettent rien de bon. Elles seront mises en difficulté par la Finanziaria de l’Etat qui « coupera » férocement au nom et pour le compte du pacte de stabilité européen. Entendonsnous bien : pour un Pays comme l’Italie, où les dépenses publiques ont été hors contrôle et ont causé un déficit colossal accumulé dans les années, il est bien que l’Union européenne ait obligé au respect de quelques paramètre. Elle peut et doit demeurer une garantie. Même si désormais il faut être 151 prudents sur ce thème, le pacte de stabilité est devenu un simulacre, qui sert pour tous les usages, comme il arrivera dans ce cas pour invertir le procès de décentralisation en faveur de ce centralisme italien qui est le vrai responsable du risque de banqueroute des comptes publics. Rome, au contraire, fait semblant d’être la vertueuse et virginale interprète des désirs de Bruxelles. Il faut en rire pour ne pas en pleurer ! Une fois, plein d’amertume, Gianni Agnelli observa que l’Italie s’était mise dans les conditions idéales pour devenir non pas le premier Pays de l’Europe, mais... de l’Afrique. Un calembour qui cachait une vérité de fond : l’incapacité de l’Italie d’être un Etat moderne et efficace. Le semblant régionalisme à l’italienne risque d’être le bouc émissaire des fautes que les Régions n’ont pas commis, même si, bien entendu, on a des responsabilités du point de vue du sens régionaliste et une comparaison entre Nord et Sud servirait pour atténuer une sorte de rhétorique sur le « Mezzogiorno ». Berlusconi avait réussi à incarner quelques espoirs, y compris la dévolution tant gribouillée, donc une vraie injection d’autonomie régionale, qui gît inexprimée au Parlement. Berlusconi avait des qualités apparentes : un entrepreneur de succès, chargé d’un esprit décisionnel qui semblait alternatif par rapport aux byzantinismes de la politique, milanais efficient contre le marais romain, le Cavaliere est aujourd’hui seul face à une défaite. Et maintenant, dans la dernière Finanziaria qui précède les élections politiques, il tente de trouver de l’argent à redistribuer –notamment avec des réductions fiscales– aux classes productrices, naturellement composées par ses électeurs. Où trouver cet argent ? Depuis quelques temps, et ce n’est pas un hasard, les journaux de centre droite, y compris « Il Giornale », avaient commencé une lourde campagne contre les Régions, accusées d’être les vraies responsables d’une finance publique joyeuse et gaspilleuse. Ce même refrain a été repris récemment, justement à la veille de la Finanziaria, par des exposants du Gouvernement : la Gauche des DS – comme le Sénateur Salvi l’a fait aveuglement – s’est lancée contre les coûts excessifs du régionalisme, en devenant complice du projet rusé d’une nouvelle centralisation au nom du bien des comptes publics. Le vrai paradoxe est celui de décharger sur le système régionaliste les responsabilités de l’Etat. Il faut que le front régionaliste, indépendamment des majorités qui régissent les Régions mêmes, se rebelle avec tous ses moyens et affirme sa dignité politique. Les autonomies spéciales, à leur tour, doivent être les pointes de diamant de la protestation. Il faut se manifester et faire en sorte que l’opinion publique s’exprime dans les différentes Régions. Et il est nécessaire que la prochaine campagne électorale pour les élections politiques soit animée par le problème du futur et des espoirs du régionalisme. Qu’on nous dise et nous explique où les Partis veulent se diriger : on en tiendra la clarté du débat, qui demeure décisif pour les valdôtains. L’autonomie spéciale a besoin d’être relancée avec force et il est bien, comme je le disais, de rester unis sur ce point, notamment avec les 152 autres « spéciales » du Nord, prêts à rappeler – aujourd’hui comme dans le second après-guerre – qu’on parle d’un pacte politique fait avec l’Etat et qu’il faut le respecter. Autrement il faudra tout rediscuter du début, et nous nous ferons trouver prêts et en aucun cas renonciataires. Ceux qui pensent que l’autonomie spéciale pourra être réduite avec simplicité auront de mauvaises surprises en Italie et en Europe : ils sous-estiment notre capacité de réaction politique et nos Institutions. juillet Benoît XVI a des yeux noirs et rapides, sur des cernes profonds dans un visage qu’on dirait être celui d’un curé du Moyen-âge. Vêtu de blanc, privilège du Pape, au milieu des Evêques en noir, sa présence émerge, au milieu de la couleur chaude du bois, des arbres verdoyants, des géraniums rouge feu ; il affronte la foule avec l’attitude évidente d’un timide, en avançant jusqu’à la limite de la « scène ». Un intellectuel qui pèse tous ses mots et qui se trouve probablement étonné par ce mécanisme difficile de l’immersion au milieu des gens. On dirait par moments un enfant qui se délecte de la nouveauté, des cœurs de jeunes qui rythment des chants sur son nom. Un sourire éclaire son visage et le rend joyeux par rapport à l’air pensif de quelques minutes plus tôt. Des yeux qui se font plus pénétrants quand il se concentre sur son interlocuteur. Je l’ai remarqué lorsque des parents détruits par la douleur lui indiquaient le corps ravagé d’un fils handicapé, allongé sur un brancard ou lorsqu’un mari, assis à côté de moi, lui a raconté avec un amour infini de la très grave maladie de son épouse. Ses mains de pianiste, nous le savons par la présence du piano installé dans le chalet de Les Combes, sont longues et fuselées, nerveuses quand elles accompagnent avec des mouvements les difficultés de la langue italienne employée devant toutes ces personnes. Si je devais le dire, j’ai l’impression qu’en français et même en franco-provençal – parlé pour la première fois par un Pape ! – son accent est moins fort qu’en italien, où les aspérités de l’allemand incident sur la sonorité de certains mots. Mais avec élégance dans sa langue maternelle il a cité la minorité allemande de Aostatal, qui n’était malheureusement pas présente à l’Angelus d’Introd avec ces costumes Walser qui auraient donné au Saint Père l’illusion d’être chez lui ! Ça sera pour la prochaine fois. 153 Arrivé dans notre Vallée après l’aimé Jean Paul II, qui est venu « chez nous » pour dix fois ( et parfois nous sommes même allés « chez lui », je pense par exemple à l’Arbre de Noël de la Vallée d’Aoste en Place Saint Pierre ), Pape Ratzinger – c’est Navarro, son porte parole, qui l’a dit – a déjà appris à aimer les Valdôtains comme nous avons appris à aimer ce nouveau Saint Père, un théologien allemand devenu l’Evêque de Rome. Il ne connaissait pas notre Vallée, mais aujourd’hui, grâce à la majestueuse beauté de nos montagnes, il ne pourra pas l’oublier et nous espérons vraiment que le Pape revienne chez nous en vacance et que cette période de repos lui ait été utile, pour le corps et pour l’esprit, pour son rôle difficile de guide des catholiques. A bientôt, Joseph, nouvel ami de la Vallée. Chacun de nous a le droit de maintenir et d’entretenir sa culture et sa reli- gion, ce qui est naturel aussi bien du point de vue du principe constitutionnel que du bon sens. Voilà pourquoi il est dans les droits de la communauté islamique, qui même en Vallée d’Aoste est composée de moins en moins de personnes seules et de plus en plus par des familles nombreuses, ( on le voit par les données des naissances et de la fréquence dans les écoles ), de garder ses habitudes et ses traditions : du maintien de la langue maternelle au rapport étroit avec les compatriotes, de l’abattage islamique aux kiosques avec des produits typiques tels que le kebab, des robes extrêmement sobres pour les femmes au respect des préceptes anciens tels que le Ramadan. Les lieux de rencontre pour la communauté – qu’il s’agisse de petits magasins ou de cafés – sont également compréhensibles et il est logique que l’on se rencontre, comme cela arrivait dans les brasseries de Paris pour nos émigrés valdôtains. La mosquée, de plus est un peu comme une Eglise pour nous, point de repère de la foi et lieu de socialisation et d’amitié. Il est toutefois inutile de nier que la présence croissante de personnes islamiques crée des difficultés à une bonne partie de l’opinion publique et les faits internationaux, avec des actes de terrorisme accomplis au nom de l’Islam, accentuent les craintes. Même pour la Vallée, habituée aux vagues de migration de l’Italie qui ont suivi un procédé rapide d’intégration ( d’abord les Piémontais, ensuite les Vénètes et enfin les Calabrais ), cette immigration de l’autre côté de la Méditerranée a la caractéristique d’un gap culturel très fort. Dans le débat de ces jours sur le problème, on souligne le fait – bien visible dans des Pays d’ancienne immigration islamique comme la France et l’Angleterre – que souvent ce sont des procédés d’intégration mal réussis qui donnent lieu à des flambées anti-occidentales fondées sur l’extrémisme 154 islamique. Les cas des jeunes Pakistanais, désormais devenus Anglais, qui se sont fait exploser à Londres en sont un exemple éclatant. Il y a un terrain favorable qui permet un facile prosélytisme dans la pauvreté et dans la marginalisation même dans l’Occident, exactement comme dans les Pays du Tiers Monde. Cette cause doit être comprise, mais il soit clair qu’elle ne pourra pas devenir un argument à décharge des assassins. Souvent, de plus, dans des groupes de jeunes extrémistes, la redécouverte des racines se lie à une adhésion à des mouvements radicaux, qui fondent leur idéologie sur le refus de droits qui sont fondamentaux pour nous, tels que la parité entre hommes et femmes, la laïcité de l’Etat, la séparation entre justice et religion et les principes de solidarité et de fraternité entre les Peuples. De plus les principes de tutelle de la diversité culturelle, linguistique et religieuse se fondent naturellement sur la réciprocité et donc sur le respect des habitudes et des coutumes de chacun qui – dans le cas d’une légitimation par les normes élémentaires de notre Droit – doit être réciproque. S’il n’y a pas d’échange entre les cultures, mais quelqu’un ( persuadé de plus de sa supériorité ), se limite à se refermer en lui-même, on n’y est vraiment pas. Cela vaut pour l’ethnocentrisme occidental, mais il n’y a pas de justifications pour un islamisme protecteur et concentré uniquement sur soi. L’attitude et les comportements ont une énorme importance. Il ne doit pas être permis à un Imam d’enflammer ses fidèles avec des discours contre l’Occident. Si dans nos cafés on consomme de l’alcool, qu’on ne pense pas à des restrictions pour ne pas vexer ceux qui sont contraires à son utilisation et la même chose vaut pour les nombrils exposés ouvertement par nos jeunes filles qui ne doivent sans doute pas être couverts ! Si les préceptes religieux imposent le voile pour une croyante cela me va très bien ( mais à l’école, comme en France, le professeur doit voir le visage de son élève ), toutefois je ne pense pas que cela signifie que ma femme ou ma fille doivent faire la même chose ! Et Chirac a bien fait, il y a une dizaine d’années, à ne pas accepter le chantage des Iraniens qui, au cours d’une rencontre officielle, ne voulaient pas de bouteilles de vin sur les tables ! Les droits donc, ont une limite insurmontable dans les droits des autres. Il existe une ligne de démarcation idéale qu’il ne faut pas oublier. Les devoirs sur les plateaux de la balance, doivent être clairs pour les deux côtés. Le devoir de respecter les lois, de respecter des règles de politesse, de reconnaître comme notre organisation démocratique permet de vivre bien et représente pour tout le monde une occasion de liberté. Malheureusement l’Islam, pour le moment, ne s’accompagne pas à des régimes démocratiques et cela est consolant. Il est vrai, malgré cela, que nos démocraties résultent imparfaites et améliorables, mais toujours mieux que les démocraties fictives des régimes dictatoriaux ou représentés par des petites élites corrompues ou incompétentes. 155 Les bombes à Londres démontrent encore une fois à quel point la haine peut être aveugle, à la recherche de victimes innocentes qui, pour les cas de la vie, se trouvent au mauvais endroit au mauvais moment. Des vies interrompues pour avoir pris un train ou un bus dans un instant précis, comme dans une sorte de roulette de la vie ou de roulette russe des circonstances. C’est ce qui arriva sur les tours de New York, où se trouvaient des milliers de personnes venant de lieux différents, victimes de l’impondérable. Parfois une minute de plus ou de moins a fait la différence et l’adieu aux familles a été donné, en quelques cas, avec un dernier et émouvant coup de fil, dans l’attente d’un épilogue dramatique. C’est un terrorisme lâche et assassin qui ensanglante le monde au nom de la foi religieuse. Il a des adeptes qui sont obnubilés par l’idéologie et formés dans le culte d’une mort héroïque et par conséquent d’une place au Paradis. Je crois qu’il n’y a que l’Enfer pour les engloutir ! C’est dégoûtant de penser que ces personnes ont une famille et que souvent mères ou fils célèbrent la mort causée à d’autres par un proche, parfois avec un suicide qui n’est rien de plus que le résultat d’un endoctrinement systématique. Il n’y a pas de désespoir personnel ou de drame collectif, de lecture sociologique ou de justification psychologique qui excuse ces comportements. Infliger de la douleur parce qu’on en a subi n’est pas une raison. Au contraire, ceux qui ont souffert devraient pour cette même raison regarder le monde avec des yeux différents et chercher de ne pas amplifier la souffrance. L’horreur est horreur et ceux qui veulent faire des différences ou jouent avec les causes cachées sont et demeurent des complices et il n’y a pas d’anti-américanisme ou de vision no-global qui tienne. Il faut le dire fort et clair pour éviter le paradoxe de mettre des morts sans faute dans la situation grotesque d’être considérés presque des victimes sacrificielles parce qu’ils incarnent des valeurs occidentales. Encore de ces jours j’ai lu des communiqués venant de l’extrême droite qui dégoûtent. Au partage de la douleur suivent des phrases pensives sur des réflexions qui dériveraient automatiquement des faits, avec une recherche de motivations pour ces épisodes qui ne peuvent être en aucun cas être acceptées. C’est certain : nous nous trouvons dans ces cas face à une dégénération de l’Islam. Ce soit clair, il ne s’agit pas d’une condamnation aux Musulmans, à leur religion ou à leur culture. Mais il est l’heure, je crois, que la large majorité des modérés et des personnes raisonnables réagisse avec force et avec décision contre ces minorités qui utilisent la haine comme seule clé de lecture et qui sèment la mort dans le monde entier. Assez ! La prévention et la répression doivent être déterminées et énergiques : il n’est plus nécessaire d’avoir de Tribunaux spéciaux ou autre. Il faut toutefois que la justice soit exercée avec équilibre et sans céder. Il n’y a pas de pitié face à des monstres comme ceux-ci, des assassins qui doivent être renfermés pour toujours dans 156 les prisons pour qu’ils réfléchissent jusqu’à la fin de leurs jours sur l’horreur dont ils ont été la cause. Et la peine de mort, que je refuse toujours, ne serait pour ces personnes qu’un raccourci vers leur martyre illusoire. Mieux vaut pour eux une vie en prison. Puisque il est bien qu’il y ait toujours une continuité entre le passé et le futur, j’ai voulu, dans mon intervention au Conseil régional au moment de la prise de fonctions comme Président de la Région, rappeler un discours prononcé à l’Assemblée Générale de l’Union à Aoste le 20 décembre 1945 par mon oncle Séverin Caveri qui avait pour titre « L’Esprit de l’Union ». Je vous en propose quelques passages. « Soyons dignes de l’espoir du Pays. ( ... ) Et surtout gardons nous des querelles mesquines. Lorsque la jalousie, cette terrible ennemie de notre cause cherche de diviser nos esprits, rappelons nous que la cause valdôtaine est en jeu ( ... ). ( ... )Le plus grand ennemi est en nous : la discorde. La rivalité entre les personnes, les familles et les clans avaient cessé pendant la période de la lutte contre l’ennemi commun : le fascisme. Nous avons alors pensé que ces rivalités étaient mortes, mais nous les voyons déjà reprendre vigueur comme des serpents endormis. L’Union valdôtaine doit écraser ces serpents de la discorde et créer le front commun des Valdôtains ( ... ). L’esprit d’exclusivisme doit être étouffé : la maison de l’Union doit avoir les portes et les fenêtres ouvertes : tous peuvent entrer. ( ... ) Nous n’avons pas des buts cachés, des buts mystérieux ou ténébreux. Notre action se développera à la lumière du soleil. Notre but est un seul : travailler tous ensemble pour la petite patrie. » Et encore un passage très significatif qui se propose de contraster l’accusation de conservatisme qui souvent nous est portée. Le voilà : « ( ... ). Nous ne devons pas être des admirateurs outrés du passé : ceux qui ne regardent pas le présent et ne regardent pas vers l’avenir sont semblables à ces personnages de la Bible, qui ont été transformés et figés en des statues de sel, tandis qu’ils se retournaient vers la cité morte. L’étude de notre histoire sera un moyen formidable de valdôtanisation, surtout des jeunes, mais nous devons dans le même temps concevoir les problèmes valdôtains d’une manière moderne. ( ... ) Il faut démontrer que les vieux, que les réactionnaires sont les autres, ceux qui conçoivent l’état unitaire et centralisé comme un Dieu, ceux qui conçoivent la Nation comme un mythe ou comme un bloc homogène. ( ... ) Les hommes modernes se sont aperçus que les petites patries sont plus vivantes que jamais et qu’en tuant les petites patries, les grandes patries deviennent des abstractions stratosphériques. ( ... ) » On a quelques conclusions qui sont intéressantes : « Permettez-moi une dernière observation : nous devons éviter de tomber dans un nationalisme régional. Les valdôtains ne doivent pas penser d’être le peuple élu. Nous 157 ne devons pas faire de la démagogie valdôtaine. Nous devons reconnaître nos défauts afin de pouvoir les corriger. ( ... ) L’Union doit être un instrument d’élévation matérielle et spirituelle. Sa devise sera alors la suivante : « Tradition et Progrès » » Dans ces phrases on trouve, comme vous le lisez, une grande sagesse et des avertissements qui – tels que des messages en bouteille – nous parviennent avec toute leur force. juin Toutes les personnes n’ont pas la même perception des choses. Par bon- heur les goûts et les prédispositions changent et chacun de nous est différent des autres. Le fédéralisme personnaliste s’appuie beaucoup sur ce respect de la personne – et de sa stupéfiante unicité – comme centre duquel dégage l’ensemble de la société et des institutions. Il n’y a pas de numéros, mais justement des personnes, ce qui est un antidote contre le poison des totalitarismes qui aiment au contraire des foules sans visage et des personnalités ternes et anonymes. Les lois de l’hérédité, toujours plus explorées, nous confirment de quelle manière, entre un patrimoine génétique, que nous tenons de nos parents, et des comportements culturels acquis, nous finissons par ressembler à nos mères et pères et aux membres de nos familles ; nous sommes donc égaux à nous mêmes, mais nous sommes le résultat de l’ADN et des conséquences de l’éducation. L’air de famille, donc. A celle-ci s’ajoutent naturellement des processus d’échange et d’identification avec les amis ou les groupes que nous fréquentons pour de nombreuses raisons et desquels nous apprenons et nous copions bien des choses. Peu importe qu’il s’agisse d’une équipe de football, d’une chorale, d’une compagnie, d’une classe. C’est pour cela aussi, pour chercher un exemple concret, qu’il est difficile de dire ce que le relax représente dans l’absolu, ce mot anglais qui a eu beaucoup de succès tant en français qu’en italien. En français il existe de plus un italianisme qui dérive de l’expression italienne « il dolce far niente »– qui n’est pratiquement plus utilisé chez nous –transformée par nos voisins en « farniente »écrit en un seul mot. Pour moi relax et farniente ont des collocations précises et il est sans doute beau de penser que chacun de nous a une liste possible. Première scène : la découverte d’un roman ou d’un essai en librairie, qui 158 raccourcissent le temps d’un long voyage. Le contact avec la réalité diminue en fonction de l’intérêt de la narration et s’éloigner de la réalité fait démarrer un état de repos. Ou bien la musique. Une série de vieux succès qui, allongés au soleil en n’importe quel lieu, allument les souvenirs – comme en un film du passé – de moments beaux et heureux qui dégagent leur force à distance de décennies. Ou encore le sport : une course bénéfique dans un chemin au milieu d’un bois avec les odeurs et les couleurs du matin et les idées qui comparaissent à l’improviste dans le cerveau qui est à repos entre la sueur et le rythme rapide de la respiration. Le relax est le réveil au matin si on n’a rien à faire et si on entend des bruits familiers comme les enfants qui parlent entre eux et tu sais que tu es avec eux un jour de plus. Et comment oublier un restaurant de montagne et la chaleur d’un dîner typique et fort dans le froid de l’hiver ; ou encore la brise de la mer qui apporte l’odeur du sel sur une plage avec une grille allumée où cuit du poisson. Et l’amour, un moteur puissant de beaucoup de gestes et d’actions, qui nous laisse fatigués et parfois confus à oublier la réalité qui apparaît éloignée comme une étoile dans le ciel. Il y a de plus les moments collectifs – je pense à la joie de certaines élections que j’ai vécues – où la fatigue et le stress se perdent dans une autre fatigue faite de la satisfaction des étreintes de ceux qui ont confiance en toi et qui te soutiennent. C’est aussi du relax à mon avis. «Avec me sentiments valdôtains et savoyards les plus cordiaux ». C’est la conclusion d’une lettre très aimable, qui accompagne quelques livres, que j’ai reçus il y a un mois de la part d’une personne connue quelques jours auparavant à une rencontre sur le référendum européen à Saint-Jean de Maurienne, berceau de la Maison de Savoie et patrie du mythique petit couteau Opinel. Déjà pendant le débat de la soirée, cette personne m’avait posé une question sur le régionalisme en Europe, à laquelle en vérité j’avais répondu de manière très modérée, en considérant la présence de celui qui était à ce moment le Ministre de l’Education nationale François Fillon, puisqu’on sait à quel point les problèmes du régionalisme demeurent dans la France des Jacobins un nerf découvert, un réflexe conditionné qui allume des polémiques tant à Droite qu’à Gauche. Et cela est dû surtout à une sorte d’ignorance collective sur l’argument et sur les réelles caractéristiques du régionalisme, qui est associé d’abord et par prise de position aux bombes des Corses ! Je ne savais pas à ce moment que ce valdo-savoyard souriant ( il est valdôtain d’origine, mais il est aujourd’hui un fier souteneur de la cause de la 159 Savoie ), qui répond au nom de Noël Communod, se révélerait ensuite – une fois lus les livres reçus – un partisan sérieux et préparé du régionalisme en France ( ou comme il écrit souvent, j’imagine pour nuancer l’impact, de la décentralisation ) avant tout pour son aimée Savoie. Chef d’entreprise ( il est le directeur d’une société d’intérim Menvay International ), il résulte également vice Président et porte parole d’une association pour la Région Savoie ( pour en savoir plus allez visiter le site www. regionsavoie.com ) et initiateur du Club d’amitiés savoyardes, qui regroupe des décideurs « soucieux d’étendre à la Savoie le dynamisme de Grenoble », qui se réunissent périodiquement pour discuter au cours d’un repas savoyard au restaurant Les Cinq Voûtes de Montmélian. Communod a des idées claires et solides du point de vue juridique sur le futur de la Savoie et cela le différencie du populisme de la ligue Savoisienne, qui, ce n’est pas un hasard, a eu des rapports privilégiés avec la Lega de Bossi et avec son fédéralisme confus et anti-européiste. Les voies qu’il suit sont deux. La première part d’un livre de l’été 2002 « La région Savoie en 2004 c’est possible »( Edition MIRNO Graphie ) et d’une conséquente lettre ouverte à tous les élus de la Savoie, dont les idées confluent – avec le support du député de la Savoie Michel Bouvard – en un « Livre Blanc pour la création de la Région Savoie ». Au mois de mai de cette année le projet de Communod s’élargit et publique, avec les mêmes éditions du premier « Les Germes d’une révolution Régionale »avec un sous-titre qui est un programme « Les leviers de l’autonomie régionale sont dans les mains des collectivités territoriales » La deuxième voie semble souligner une polémique vers ceux qui, nés et élus en Savoie, semblent ne pas percevoir les exigences autonomistes. Et voilà, toujours édité par MIRNO, un pamphlet très fort sur « L’Affaire Gaymard », avec la description de la carrière de l’enfant prodige de la politique savoyarde jusqu’à sa récente démission de son poste de Ministre de l’Economie et des Finances suite à une série de faits gênants révélés par le « Canard enchaîné » liés à des appartements loués et possédés. Les différentes révélations tracent un entrelacement fort complexe et intéressant. Comme on le comprend, Noël Communod a une personnalité à lui et il n’a pas de craintes révérencielles. Son dessein résulte être intéressant et peutêtre son origine valdôtaine a fait en sorte qu’une « forma mentis »autonomiste, qui chez nous garde encore une sorte de vitalité, soit exportée là où le bien connu centralisme français a agi avec force en une logique d’aplatissement et de conformisme. Le débat qui en émerge, qui devrait peut-être être libéré de certaines aspérités, est utile pour comprendre si et de quelle manière – abattues les frontières et renforcés les liens très anciens – les Eurorégions naturelles et culturelles, et c’est le cas de celle que les valdôtains et les Savoyards partagent depuis des millénaires au nez et à la barbe des séparations dictées par les Etats nationaux, on pourra travailler ensemble dans un cadre européen. A condition que la Savoie ne soit considérée un territoire petit et marginal dans la gigantesque Région Rhône-Alpes. 160 Pour faire voyager rapidement et de manière capillaire les marchandises en Europe, le moyen qui pour le moment triomphe sur le marché est le camion. Je le dis sans aucun plaisir, il ne s’agit que d’une constatation. Les routes, en une ramification sans précédents, relient tous les Pays, mais leur rythme de croissance – même pour des limitations structurelles objectives – ne correspond pas à l’augmentation du trafic. Si nous ajoutons aussi le trafic des particuliers, la conséquence est une seule : la paralysie. Nous vivons toujours et littéralement en queue et les logiques de l’économie créent de grands déplacements de marchandises qui embouteillent les routes, les autoroutes, les cols alpins. L’incrémentation ne s’arrête pas et la mondialisation de l’économie du marché multipliera les échanges et les consommations. On peut regretter le passé ou espérer d’énormes changements pour le futur dans l’économie et dans la mentalité. Mais les deux possibilités ne changent en rien la substance des faits. Aujourd’hui il faut trouver des mesures partageables pour gérer les difficultés actuelles. Pour les miracles il est mieux de s’adresser plus Haut, mais pour le reste le Livre Blanc sur les transports fixe quelques priorités qui sont lentement en train de se concrétiser. Avant tout les nouveaux tunnels ferroviaires alpins servis par des lignes modernes : pour l’instant les seuls qui ont entamé les travaux sont les Suisses avec les tunnels du Lötschberg – qui ouvrira en 2007 – et celui du Saint Gothard, en service aux alentours de 2016, alors que le tunnel de base du Brenner poursuit son chemin et celui entre Turin et Lion attend encore des certitudes. Un autre point est l’imposition pour les camions d’un système de péages, plus coûteux dans les zones de montagne, plus connu comme « eurovignette »qui servira justement pour financer ces tunnels ferroviaires indispensables : sur cela le Conseil européen proposera enfin au Parlement européen une solution. J’ajouterais enfin quelques autres éléments : les efforts, avec les Euro 4 et en futur les Euro 5, pour avoir des camions moins polluants, des paramètres pour calculer aussi les coûts environnementaux des transports, les directives européennes pour améliorer les transports ferroviaires et maritimes ( autoroutes de la mer ), outre que l’intermodalité ( projets Marco Polo ) et le système de contrôle satellitaire Galilée. Appliquer le raisonnement général au cas valdôtain met en évidence la complexité du thème. Le tunnel du Mont Blanc, la moderne autoroute entre Aoste et Courmayeur et la plus ancienne entre Turin et Aoste ( qui comprend la bretelle de Santhià en direction de Turin et Milan et la liaison avec d’autres autoroutes ) représentent une réalité qui s’est développée dans le dernier demi-siècle. Une directrice, qui avait au début une vocation touristique, qui s’est transformée en un axe de transport pour les marchandises appartenant au réseau transeuropéen des transports. Cela s’est produit avec un succès de plus en plus grand et sur les Alpes, même après l’ouverture du Tunnel routier 161 161 du Fréjus en 1980, l’augmentation des camions de passage en Vallée d’Aoste a été impressionnante. En Vallée d’Aoste- comme s’il s’agissait d’une sorte de remboursement, et il faut le rappeler par honnêteté – cela a rapporté pour quelques années d’importants transferts d’argent à notre région à travers le système de la répartition fiscale sur la taxation des marchandises de passage à l’autoport de Pollein. Un mécanisme avantageux pour les caisses régionales jusqu’au moment de la chute des barrières douanières du 1er janvier 1993. Déjà au cours des années 1990, mais encore plus après l’incendie du Mont Blanc qui a mis en évidence des risques graves et des problèmes de sûreté ( l’Union européenne a justement promulgué des lois en ce domaine ) on a souligné l’exigence d’avoir des règles certaines pour limiter le nombre de poids lourds de passage sur notre territoire. Cela prévoit des mesures pour aujourd’hui, pour demain et pour un futur plus lointain. Aujourd’hui il faut avoir une limité sérieuse et mesurée et des plans certains pour les émergences. Demain il faudra avoir des améliorations sur l’ensemble des liaisons alpines ferroviaires. Pour le futur on devra aussi avoir l’idée d’un chemin de fer – comme l’Aoste Martigny – qui ne nous coupe pas du réseau ferroviaire européen des marchandises et des passagers. Les raccourcis n’existent pas et il faut combattre les extrémismes opposés : tant celui de ceux qui demandent que les poids lourds ne passent pas à travers les Alpes ( et qui ne veulent peut-être même pas de tunnels ferroviaires ), mais également la position de ceux qui disent qu’il ne faut donner aucune limite aux poids lourds au nom de la libre circulation des marchandises, sans tenir compte du respect de l’environnement et de ses populations. Internet est une drôle de bête. Il offre un ensemble infini de possibilités, une quantité de matériel qui donne le vertige, des contacts avec le monde entier, des réseaux qui abattent les frontières. Il existe un revers de la médaille : on peut devenir la victime d’une manie de connexion, on peut être touché par les virus informatiques qui se propagent, le réseau peut être utilisé de manière négative ( terroristes, pédophiles, nazies et des horreurs de ce genre ), il finit par être tellement vaste qu’il fait perdre les recherches. Comme tout le monde le fait, je pense, je me suis amusé dans le temps à chercher des informations sur mon nom, ce qui m’a fait repérer même beaucoup de documents sur mon activité, dont souvent je n’avais pas le souvenir ( y compris de belles photos dans les archives des images des moteurs de recherche ). Avec des découvertes qui me laissent étonné. Même dans le web le premier Caveri cité dans le temps est le cartographe génois, Nicolò Caveri, qui, 162 au début de 1500, est l’auteur d’un important planisphère qui fournit une description du monde après la découverte de l’Amérique, et se trouve maintenant dans les Archives du Service hydrographique de la Marine à Paris. Cela confirme, par ailleurs, que le nom a une origine ligure, qu’il est liée en particulier à la ville de Moneglia, où la rue principale est dédiée à un Caveri. Il existe là-bas une branche de la famille. Je leur ai écrit récemment et j’ai su qu’un tel Mauro Caveri est le maire adjoint de Lavagna, dans la province de Gênes. Et c’est justement à Gênes qu’en 1863 Antonio Caveri, qui fût député au Parlement Subalpin et Sénateur dans le Royaume, fût élu maire pendant quelques mois. Même si on me dit que mon oncle Séverin soutenait - mais il se peut qu’il ait inventé cette histoire – que, en remontant encore plus loin dans le temps, le nom trouve son origine en Corse. Il s’agirait de la famille Veri, qui venait de la Corse et qui habitait à Moneglia dans la Cà Veri, c’est-à dire « maison de Veri »et qui fut transformée en Caveri dans une transcription de la Paroisse ! Cela confirmerait, par ailleurs, qu’il n’y a aucun lien avec le fleuve indien qui descend de l’Himalaya et qui a pour nom justement Caveri. Dommage, l’idée que le cartographe ait été en Inde était vraiment aventureuse ! Le fleuve se relie, au contraire, à la Caveri Foundation ( que l’on trouve sur www.caveri. nl ), dont je ne comprends rien ( parce que le site est en hollandais ) à part le fait qu’elle aide les enfants indiens. En Inde il existe même une usine qui produit du Nylon qui s’appelle Caveri Enterprises ! Par ailleurs il faut ajouter – autre découverte on-line – que Caveri en Finnois signifie « personne bonne, correcte » ! Mais poursuivons la visite dans le Web. Parmi les contemporains, de l’Argentine apparaît un architecte, Claudio Caveri, de Buenos Aires, auteur de projets importants, comme l’Eglise Nuestra Señora de Fatima à Martínez et chef de file d’u style connu comme « casas blancas ». Il y a quelques années j’avais échangé quelques courriels avec quelqu’un de sa famille, M.me Ingrid Caveri, qui s’occupe de cinéma à Paris, mais dont j’ai perdu les traces, sans jamais parvenir à la rencontrer. Toujours en Argentine, où avait probablement immigré quelqu’un de ma famille originaire de Ligurie – j’avais découvert Bernardo Caveri, Président de l’Institut de « Prévision Social » de la province de Buenos Aires et je m’étais promis de lui écrire. L’autre jour, toujours en Internet, j’ai découvert qu’il est mort le novembre dernier dans un accident dramatique : il n’avait que 45 ans. En lisant les annonces de sa mort, publiés dans les journaux, j’ai la confirmation qu’il s’agissait d’une personne très appréciée. Autre découverte : mon arrière-grand-père, Paul Caveri, arriva en Vallée d’Aoste à 47 ans, comme sous Préfet. Il était veuf et il maria Herminie-Marie-Antoinette De La Pierre, 24 ans, en donnant vie à la branche valdôtaine qui, dans la courte période de quelques années a marqué sa présence. La découverte drôle est que aux Etats Unis, dans les sites qui permettent d’en163 registrer les mp3 on trouve un musicien qui s’appelle... Paul Caveri ! Mais il existe un autre musicien de Chicago qui s’appelle Perry Caveri. En rentrant en Italie, à Milan on trouve un magasin d’antiquités qui s’appelle – et ce sont des personnes qui appartiennent lointainement à ma famille d’origine – « Caveri & Caveri ». Je découvre aussi qu’une Caveri est infirmière à Gênes, qu’un Caveri construisait des navires à Sestri, que une Caveri a écrit un roman, que un Caveri était le plus connu avocat de Gênes. Internet : une fenêtre qui s’ouvre aussi sur chacun de nous, sur notre passé, sur nos mémoires, sur l’ensemble d’histoires et de gens, souvent destiné à rester irrésolu. Dans une époque dans laquelle les partis politiques apparaissent et dispa- raissent souvent sur des poussées improvises pour le vieillissement de l’existant, cela arrive notamment en Italie, mais même en Vallée d’Aoste, la longue durée demeure à mon avis, un mérite. En effet le changement – qu’il s’agisse d’un changement de façade ou de substance – n’a pas toujours une réelle raison d’être et parfois ce qui à l’apparence semble être vide, paraît extrêmement vieux. Pour ne pas dire de ceux qui se sont limités à changer seulement de nom et de symbole ou qui ont donné vie à des formations politiques liées à une personne et à un seul leader. La constance d’une présence ancienne, à condition de se montrer à connaissance des nouveautés, représentatifs et démocratiques, assume au contraire une valeur rassurante et évite des sauts dans le noir inutiles. Un exercice de vie en commun délicat et qui oblige à la pratique difficile du dialogue, qui se concrétise dans le fait d’avoir de bonnes règles pour habiter une maison commune dans le seuil d’une tradition qui sait, comme je le disais, anticiper la modernité. J’y avais pensé à l’occasion des 50 ans de la SVP, lors de l’anniversaire récemment fêté à Merano, où j’ai eu l’honneur de prendre la parole pour les valdôtains ( j’ai fait la moitié de mon discours en allemand, ce que j’espère n’ait pas fait frissonner les congressistes ! ). Je le répète maintenant, à l’occasion des célébrations auxquelles j’ai pris part ces derniers jours à Trieste, pour les trente ans de l’Union slovène Slovenska Skupnost. Avec ces deux partis l’affinité et l’amitié sont des faits historiques depuis plusieurs décennies et je suis heureux – depuis peu moins de 20 ans – d’avoir représenté un lien en cette direction avec un réseau épais de rapports et de collaborations. L’histoire des Slovènes est une histoire pleine de charme. Bien avant que l’Empire austro-hongrois transforme Trieste en une ville importante – avec son port – les Slovènes habitaient ces régions et cela vaut également pour des Provinces telles que Gorizia et même pour des zones de frontière du Frioul ce qui confirme que dans cette partie de l’Europe l’osmose entre des peuples 164 différents était une quotidienneté bien connue et considérée totalement normale. Les Slovènes entre les deux guerres étaient déjà organisés du point de vue politique et ils l’ont été contre le fascisme et durant les faits compliqués de l’après guerre, lorsque Trieste devint la ville symbole de celle qui était définie « italianità ». Un choix nationaliste qui a empoisonné la politique locale et a été compliquée par les faits de la proche Yougoslavie. Un croisement douloureux entre les « foibe » ( les trous karstiques dans lesquels furent ensevelis – outre aux italiens – même des slovènes anticommunistes ), l’exode terrible des italiens de l’Istrie et de la Dalmatie, le joug communiste de Tito et du faux fédéralisme à la manière de la Yougoslavie, la désagrégation de l’ex Yougoslavie avec sa suite de massacres dans les Balkans. Les Slovènes en Italie, grâce au travail de l’Union slovène, ont maintenu vivant le flambeau de leur identité et de leur culture, comme pont idéal vers l’Est et le Centre de l’Europe : une culture slave qui est une des bases de la civilisation européenne. Ce n’est pas un cas si la Slovénie, avant le dernier élargissement, a ouvert la voie aux entrées suivantes et si les Slovènes italiens ont indiqué une ligne européiste et fédéraliste bien avant que la Slovénie, avec laquelle ils maintiennent des rapports naturels, notamment dans le domaine culturel, conquiert la démocratie actuelle. Avec les Slovènes nous avons affronté plusieurs fois les élections européennes et les Parlementaires valdôtains ont toujours maintenu avec eux des rapports étroits. Personnellement je suis considéré – ce qui me fait plaisir – parmi les pères de cette loi de tutelle que le Gouvernement de Berlusconi n’applique pas encore pour ne pas mécontenter la droite triestine. Une inapplication de fait d’une loi en vigueur qui devrait nous faire avoir honte face à l’Union européenne et qui demandera une mobilisation qui dénonce ce fait. Par ailleurs cela rentre dans un dessein plus vaste qui contrarie les autonomies spéciales et les droits des minorités linguistiques. Une raison de plus pour serrer les rangs, comme valdôtains, avec les Slovènes et les gens du Tyrol du Sud. mai «La paura, per uno scalatore, è un’ancora di salvezza. Ti tiene lontano da decisioni prese senza pensare. E’ però impensabile smettere di scalare, la morte di amici fa parte della vita degli alpinisti » Des mots pleins de sagesse, ceux de Christian Kuntner, un grand alpi165 niste expert du Tyrol du Sud, mort il y a quelques jours au Camp 2 sur l’Annapurna, pour les blessures dues à la chute d’un sérac qui a investi la cordée des alpinistes valdôtains à laquelle il participait. La confirmation, si on en avait eu besoin, que l’alpinisme demeure une activité pleine de risques et de conscience et que les alpinistes ne jouent certainement pas avec leur vie, mais ils acceptent les règles d’une activité qui maintient de larges espaces liés à l’impondérable. Kuntner était revenu pour la quatrième fois sur cette montagne himalayenne pour obtenir ce sommet une fois sur toutes, le seul des quatorze 8000 de la planète qui manquait dans son carnet de guide alpin des Dolomites. Au fond la mission – et cela valait aussi pour son grand ami et compagnon d’aventures Abele Blanc – devait servir pour clore un cycle et la présence de Marco Camandona et Marco Barmasse – deux autres alpinistes de grande classe – devait être un support et un stimulus pour affronter les bien connues pièges de l’Annapurna. Un 8000 banal du point de vue de la hauteur, mais difficile du point de vue technique et insidieux justement à cause du danger d’avalanches. Et au contraire, un coup de fil du Président des Guides valdôtaines Guido Azzalea, me prévient quelques heures après la tragédie, et lorsque j’espérais recevoir la nouvelle de la réussite, de l’avalanche qui avait investi la cordée valdôtaine en marche vers le sommet et celle des « Ragni di Lecco »en descente après avoir conquis le sommet. Seulement après quelques heures, lorsque les nôtres avaient déjà gagné Katmandu et donc un hôpital où être soignés – ce qui est par ailleurs la preuve d’une amélioration des temps et des modalités de secours au Népal – on a eu ces détails douloureux qui rendent encore plus tragique la disparition de Kuntner, qui s’est éteint avec des amis à ses côtés. Il ne nous reste qu’à lui rendre hommage, ce que j’ai déjà fait personnellement avec les autorités du Tyrol du Sud. L’amitié avec Abele et les missions qu’ils ont accomplis ensemble démontrent à quel point le monde de l’alpinisme sait construire des ponts solides qui se créent quand en une paroi les silences se remplissent de complicité et de solidarité. C’est ce qu’on a remarqué dans le temps dans les films de Blanc : l’intérêt pour l’entreprise des alpinistes est devenu un prétexte pour creuser dans les motivations de l’alpiniste et dans les cultures de la montagne, dans les différences et les similitudes des populations des montagnes du monde. Un intérêt ethnographique qui dépasse l’intérêt pour la grande performance sportive. Même en cela le lien spontané entre un Valdôtain et un homme du Tyrol du sud était une clé de lecture. Une union brisée par l’Annapurna, mais qui demeurera dans l’histoire de l’alpinisme et dans nos souvenirs 166 «Acceptez-vous l’arrêté fédéral du 17 décembre 2004 portant approbation et mise en oeuvre des accords bilatéraux d’association à l’Espace Schengen et à l’Espace Dublin ? ». Cette question, admirable dans sa simplicité, en pensant aux questions compliquées des référendums en Italie, est celle qui sera posée aux Suisses dans la votation populaire du 5 juin prochain. Comme on le sait, à fin que le vote résulte positif il faudra un double oui : celui de la majorité des citoyens et celui de la majorité des Cantons. La mise en jeu – et nous sommes face à un passage décisif pour une plus grande intégration de la Confédération avec l’Union européenne – a pour nous Valdôtains un grand intérêt puisque avec le Canton du Valais nous avons une frontière géographique en commun et des rapports historiques et culturels anciens. Des rapports qui sont par ailleurs rendus plus simples, durant toute l’année, par l’ouverture du Tunnel du Grand Saint Bernard, qui depuis plus de 40 ans se joint aux nombreux cols utilisés dans le passé pour les contacts réciproques. Dans le cas d’une réponse positive au référendum, la frontière s’ouvrirait encore plus. Je voudrais résumer les termes du problème. En juin 2004, après trois années de négociations, la Suisse et l’Union européenne conclurent de nouveaux Accords bilatéraux après ceux de 1999, que chez nous à mon avis nous n’avons pas assez utilisé, malgré les évidentes potentialités pour notre économie ! Dans le cadre des Bilatérales II, il y a justement la participation de la Suisse à Schengen et à Dublin. L’accord Schengen abolit, entre autres, les contrôles systématiques des passeports aux frontières ( mais les contrôles des marchandises et la vérification d’identité des personnes à cette occasion demeurent ) et simultanément améliore les inter-changes des informations entre les polices en matière pénale. Pour nous comprendre : le Tunnel du Grand-Saint-Bernard ne serait pas sans obstacles comme le Mont Blanc, où, à part Schengen, agit l’abolition des contrôles douaniers, mais il est certain que les contrôles actuels seraient atténués en faveur d’une plus grande liberté de mouvement, ce qui pourrait relancer l’utilisation du Tunnel. L’accord Dublin, au contraire, prévoit qu’un seul Etat participant est compétent pour traiter une procédure d’asile et cela est simplifié par une banque de données dans laquelle sont enregistrées toutes les empreintes digitales des requérants. Même dans cette occasion les Comités référendaires anti-européens qui agissent en Suisse depuis des années comptent sur des slogans riches d’émotivité, qui n’ont souvent aucun lien aux faits réels. Du genre « Schengen = davantage de criminels et de chômeurs » ou encore « Schengen = adhésion à l’UE ». Reprend aussi la tentative de démontrer que tout rapprochement à l’Union européenne ne signifie que perte de souveraineté et d’identité sans 167 aucun avantage. Pour Dublin le discours se fait souple en mêlant ouverture et fermeture : « Dublin = menace pour nos traditions humanitaires d’asile ; davantage de sans papiers » Le Conseil fédéral réagit avec des explications de bon sens. Du genre « Grâce à Schengen, la Suisse disposera d’instruments plus efficaces contre la criminalité internationale. Par ailleurs la fluidité du trafic transfrontalier sera assurée ». Sur Dublin : « L’accord préviendra les demandes d’asile multiples et abusives, sans pour autant remettre en question notre tradition humanitaire ». Je crois que chacun de nous, à travers ses propres connaissances en Suisse, devrait faire oeuvre d’information et de sensibilisation. S’il est certainement prématuré d’imaginer l’adhésion de la Suisse à l’Union européenne, il est au contraire juste de renforcer toute forme de croissante coopération réciproque pour diminuer le poids de « l’Effet frontière » qui est désormais totalement anachronique, ce qui rend justice aux liens profonds entre Vallée d’Aoste et Valais. J’y pensais l’autre jour en regardant sur Suisse romande la finale valaisanne de la « bataille des Reines ». On aurait dit la Croix Noire ! Par hasard, dans l’avion, je me retrouve à lire un supplément du journal belge « Le Soir », qui synthétise en 175 icônes en ordre alphabétique les 175 ans de la Belgique, ce Pays dans lequel j’ai vécu une partie des dernières années de ma vie et que je fréquente encore aujourd’hui pour des devoirs institutionnels et pour ne pas me rouiller en matière européenne. Je vous en propose un résumé, à mon goût personnel, en oubliant quelques lettres pour faire plus court. Le ton dans son ensemble est léger et plaisant, ce qui contredit la médisance selon laquelle les belges seraient dépourvus du sens de l’humour ( comme on le sait dans les blagues ils sont les « Carabinieri »de la francophonie ). J’avoue par ailleurs que, tout en étant seulement en partie comparable, pour le livre « La Vallée d’Aoste de A à Z »j’avais fait ce même effort : c’est un texte qui est désormais introuvable en librairie, mais qui vit sur le site www.caveri.it par concession de l’éditeur Musumeci. Il ressent un peu le poids des années. Mais revenons à la Belgique. Des deux premières lettres de l’alphabet on ne peut tirer que deux mots : Accent ( belge ). « Il s’agirait déjà de distinguer l’accent flamand de l’accent wallon, l’accent du Flamand qui parle français de l’accent du Wallon qui s’essaye au flamand et, cerise sur le stoemp, de l’accent du Bruxellois qui mélange les genres ». Belge. « Le seul mot de la langue française qui ne connaît aucune rime. Avec « pauvre » ». A la lettre b il faut ajouter : Bières : « Blondes, brunes et ambrées, industrielles et artisanales, trappistes et d’abbayes, pils, balches et autres gueuzes »et naturellement Brel ( Jacques ) sur qui je peux éviter de faire de citations. 168 Inutile de noter ici les textes liés à deux mots commençant par c qui ouvrent deux mondes : Congo et Cycliste ! Avec d un mot intéressant Drapeau. « Fondée d’autour d’une seule bannière, la Belgique depuis quelques années, a multiplié les drapeaux – il y a l’iris pour la Région bruxelloise, le coq pour la Région wallonne, un coq aussi pour la Communauté française. La Flandre, elle, arbore un lion. Ses couleurs sont le jaune et le noir. Surtout le noir, ces derniers temps ». Sur la lettre d je vous informe aussi que, avec Dynamo, on découvre que l’inventeur du mécanisme à positionner sur les vélos est belge ! Avec le e de Eclairage on sache, même si cela ne finira jamais d’étonner, que les autoroutes belges sont éclairées même la nuit. Le f est naturellement Fédéralisme et de tout le monde ils arrivent pour l’étudier, mais – comme observe « Le Soir » – « Le nombre de conflits dans le monde démontre avec netteté que nos visiteurs se sont fait mal expliquer les choses ou que le modèle est inexportable ». Avec f – le nom évoque la légèreté de ses travaux – on ne peut pas oublier Folon ( Jean-Michel ). F et G nous offrent aussi le salé et le sucré : Frites et Gaufres. Bon appétit ! Le l est la devise du Pays : « L’Union fait la force »Le sarcasme est prévu : Vu l’amitié sans nuages entre Flamands et Francophones, et vu d’autre part notre produit national brut ( plus proche du Portugal que du Japon ), la devise, dans ses deux termes, prête à rire »Pour ma génération deux mots par m sont émouvants : Merckx ( Eddy ), un mythe du cyclisme, et Molteni ( « A vrais dire, c’est de cuisine ( italienne, évidemment ) qu’il s’agit. Mais dans l’imaginaire collectif, c’est un maillot » ). Celui de Merckx justement. Pour conclure le m, naturellement ( elles vont avec les frites ), Moules ( « Mollusques bivalves » ), alors qu’à la lettre P on ne peut trouver que Pluie ( il pleut peu, 78 cm par année, mais 203 jours par année ! ) Avec R un évident Roi, avec s le deuil pour la disparition de la compagnie Sabena ( aujourd’hui Brussels Airlines ) et la gloire nationale de Solvay et Stella Artois. Irremplaçables les conclusions : comment vivre sans le T de Tintin, la blague brûlante sur le V de Venise ( « La Bruge du Sud »pour invertir les termes ) et le W du champ de bataille de Waterloo. Bravo aux journalistes de « Le Soir » ! Le jour du référendum français sur le Traité constitutionnel approche de plus en plus. Le 29 mai on saura si la victoire revient aux contraires ou aux favorables, après la confrontation très soutenue dans laquelle les deux parties se sont engagées, et qui est malheureusement animée par des questions in169 ternes, plutôt que par un vrai débat sur les thèmes de l’Europe. A Bruxelles, en craignant le pire sur la base des sondages, on pense déjà à deux solutions dans le cas d’une victoire des « non ». La première thèse minimise et soutient que si tous les autres 24 Pays ratifient la Constitution ( mais les Pays Bas et la Tchéquie penchent aussi pour le « non » ), on pourrait alors demander à Paris de se prononcer à nouveau en 2006. La deuxième thèse est celle de prendre conscience de la victoire du « non »dans un des Pays fondateurs, en arrêtant par conséquent la Constitution et en relançant les opérations dites « renforcées », ce qui créerait une Europe intégrée à plusieurs niveaux et à différentes vitesses. Comme si on disait : adieu Constitution. Paraît entre-temps – et je le conseille vivement à ceux qui veulent un tableau synthétique de l’état de la situation – un livre essentiel, mais complet, du Ministre des Affaires étrangères françaises Michel Barnier. Le titre est tout un programme, vu l’ignorance sur l’Europe qui empoisonne le débat sur le référendum en France : « Sortir l’Europe des idées reçues ». Barnier profite du livre pour présenter son association Nouvelle République ( qui fait paraître le livre aux éditions Perrin ), qui parmi ses buts a celui de promouvoir la citoyenneté européenne et la confrontation entre la France et les autres Pays de l’Union européenne. Une initiative méritoire, qui démontre que Barnier est le politique français plus pétri d’européisme vrai et que la politique, sans un approfondissement culturel et l’enrichissement apporté par l’apprentissage, serait quelque chose de bien triste, dont il ne serait pas la peine de s’occuper. Par ailleurs, Barnier lui-même, dans son introduction, rappelle son curriculum européiste jusqu’au mandat de Commissaire délégué à la politique régionale et avec le rôle délicat de représentant au sein de cette convention qui a rédigé le Traité Constitutionnel. Avec un choix décisif de la part de Barnier, qui l’a rendu itinérant et non fixe à Bruxelles : celui de connaître personnellement les différents territoires européens. Il n’a pas exagéré lorsqu’il a rappelé que, pendant les cinq ans au sein de la Commission Prodi, il a visité presque toutes les 250 Régions administratives en Europe. Je propose à votre attention trois réflexions prises dans le texte. La première : « Sourde aux prophètes du « choc des civilisations », cette Europe-là s’obstine au dialogue des cultures, tentant de propager ses valeurs par l’exemple plutôt que par la contrainte. Cette méthode, volontiers raillée par les amateurs de manière forte, fait au moins ses preuves dans son propre voisinage, littéralement captivé par l’Union européenne : nations des Balkans, Turquie, désormais Ukraine, toutes regardent dans sa direction, se plient à ses exigences en espérant la rejoindre » La deuxième : « Car le doute, en matière européenne, n’est pas permis : il est légitime. L’Europe est un enjeu primordial, et dans le même temps d’une rare complexité. Comment s’étonner que, dans la tête de nos concitoyens, il y ait plus de questions que de certitudes ? » D’autres questions, avec le troisième texte : « Bref, l’Union européenne 170 affirme peu à peu sa vocation à s’occuper de tout ce que les États veulent bien lui confier, y compris les missions politiques et, le cas échéant, militaires. N’est-ce pas là précisément ce que les Français attendent de l’Europe, c’est-à-dire qu’elle accomplisse une action forte et juste sur la scène du monde, dans le respect du droit international ? Qu’elle contribue, par sa diversité même, à diffuser le dialogue et la tolérance ? ( ... ) Bref, que l’Europe devienne selon le mot du général de Gaulle, une « Europe européenne », c’est-à-dire une Europe indépendante, et non plus sous tutelle ou sous influence ? » Michel, ainsi que nous tous, attendra le résultat du référendum français. J’imagine qu’il le fera avec le réalisme qui l’identifie, mais en sachant que le passage assume une valeur vraiment historique. Par ailleurs, en comparant le débat français à la catatonie italienne, il y a de quoi s’émerveiller. On peut toujours plus dire des italiens : européistes par hasard... avril Les communes sont une des cellules fondamentales de la démocratie valdôtaine. Sur ce thème nous gardons l’exemple des pages écrites par Emile Chanoux, qui comprenait bien comme le fédéralisme doit avoir de bases solides sur le territoire pour bien fonctionner. Ce n’est pas un cas que le fascisme – nous l’écrivons à quelques jours du 25 avril, pour éviter un dangereux oubli de l’histoire ! – ait choisi d’attaquer toute forme d’autonomie communale, comme ce fut le cas avec la destruction du système scolaire valdôtain et de sa capillarité ou en nommant des podestà, destructeurs d’un modèle de participation depuis longtemps utilisé chez nous. Même si, pour tout dire, dans notre histoire plus récente sur cet argument existent un « d’abord » et un « ensuite ». Le « d’abord » était le modèle qui dérivait du Statut d’autonomie de 1948, dont la limite était dans le fait – que l’Union avait dénoncé déjà à l’époque – de maintenir un cordon ombilical trop fort entre notre système communal et la législation de l’état en la matière. Rome s’imposait lourdement dans le rapport entre la Région autonome et ses Communes. L’« ensuite » est représenté par la modification de la Constitution, en vigueur depuis 1993, que je considère un des résultats les plus importants de mon activité de parlementaire. L’obtention de la compétence primaire sur l’organisation des collectivités locales présente dans le Statut a eu un impact fortement innovateur sur nos Institutions, en nous libérant d’une série de graves obstacles pour le développement de nos libertés locales. 171 A quelques jours du défi des élections communales, il faut bien avoir conscience de ce fait, qui a permis le développement d’une législation régionale et d’un modèle de répartition financière entre la Région et les Communes. Tout en sachant qu’il existe un juste équilibre dont il faut tenir compte. Il faut dire non au centralisme régional, mais il faut également dire fort et clair que les Communes ne sont pas un contrepouvoir de la Région, mais qu’elles participent au même dessein. Il s’agit, maintenant, de confirmer la force de notre Mouvement politique, non pas pour une démonstration abstraite de force, mais parce que c’est à partir de là que l’on construit le rapport plus étroit entre l’Union et la communauté valdôtaine, qui dans le pluralisme des 74 communes ressemble à un dessein riche qui rassemble des Communes minuscules et des plus grandes, situées en haute montagne ou aux pieds des Vallées, la Capitale de la Région et le système des Communautés de montagne. Si la législation valdôtaine ne sait pas valoriser de plus en plus cette réalité chorale, l’autonomie spéciale risque d’être une maison commune, qui n’a pas de fondations solides. Voilà pourquoi il est important de ne pas sous-estimer les élections communales et il faudra réfléchir tout de suite après – si nous en serons en mesure – sur notre capacité de trouver de forts collants par rapport à beaucoup de risques de rupture et d’incompréhension qui, comme un poison, risquent de nous faire mal, et peu importe le dur exercice du renvoi de la balle à propos des responsabilités. Si notre dimension politique était faite d’isolation têtue entre nos mon- tagnes et de provincialisme trempé de chauvinisme, alors nous pourrions sereinement arrêter avec l’autonomie spéciale, dénouer l’Union Valdôtaine et rentrer tous à la maison pour cultiver le jardin ou pour nous dédier aux plaisirs de la philatélie. Au contraire, je suis convaincu qu’il faut continuer à s’engager sans céder à la tentation de se renfermer dans notre vie privée. Je crois que comme valdôtains nous sommes en mesure de porter dans le débat politique en Italie et en Europe des éléments utiles et originaux, qui permettent d’avoir la juste reconnaissance et la nécessaire dignité. Personnellement j’ai la possibilité de témoigner – pour les expériences faites à Rome, à Bruxelles et à Strasbourg – que si tu as des intentions sérieuses, on ne te pénalise pas pour les dimensions de ta Communauté et on ne te considère pas en fonction du nombre de personnes que tu représentes. Le choix se fait même en fonction de la qualité et de la valeur culturelle des propositions. Et cela vaut tant qu’il s’agisse des thèmes de l’autonomie et du fédéralisme, de la défense des minorités linguistiques, de la tutelle et de la valorisation des zones de montagne, du rôle des régions européennes ou de la coopération transfrontalière. 172 Toutefois, pour que cela puisse se produire, il existe une condition, qui ne tient pas compte des capacités des individus et des qualités que chacun est en mesure d’exprimer. Il s’agit de la force propulsive des idées, qui alimentent un circuit vertueux entre la conception et la réalisation. L’idée est le sujet d’un débat, s’améliore, devient une partie d’un programme jusqu’à sa réalisation dans un ou plusieurs projets. Un travail qui peut donner de grandes satisfactions dans le sillon d’un sens nationaliste pacifique et pas veiné par le culte hypertrophique de soi-même comme centre du monde. Un nationalisme à échelle réduite, à mesure d’homme et sans agressivité ou violences. Certes un laboratoire d’idées naît et se développe là où il y a des conditions qui le favorisent. Je reste convaincu qu’en Vallée d’Aoste, à condition de mettre la sourdine à des rivalités personnelles ( sans arriver au ridicule de nier l’existence des leaderships en politique ! ) et d’accepter des normales diversités d’opinions même accentuées sur des sujets en discussion, il y a tout le nécessaire pour faire de notre petite réalité un lieu privilégié pour la confrontation des idées et une « zone test » parfaite pour expérimenter chaque nouveauté utile. Le problème est par conséquent culturel, s’il est vrai que la culture de la politique croît, se développe et fructifie seulement à condition qu’il existe un substrat culturel vivant et généraliste. Le penseur portugais Eduardo , en définissant l’Europe, observait : « Espace d’intercommunication où se recycle en permanence ce qu’il y a eu plus et ce qu’il y a de plus exigeant, de plus énigmatique, de plus inventif dans la culture conçue comme cultures des différences ». Si celles-ci sont les prémisses il est clair que la différence, à la base de l’échange d’expériences, est un élément qui existe à condition de sauvegarder ces éléments d’originalité qui rendent intéressant l’approche aux problèmes. C’est un excellent antidote à une globalisation qui ne soit pas le noir de la pensée unique et du conformisme, mais une mondialisation où – sur la scène du monde – l’on puisse affirmer la particularité de chaque personne qui, dans un marché des idées, arrive à fournir, pour l’échange fait de vente et d’achat entre les cultures, tout ce qu’il y a de mieux. Jean-Paul II nous a quittés. Le temps de la mémoire nous permet main- tenant, après avoir dépassé la douleur et le déconcertement, de grouper une série de souvenirs. C’était un après-midi vers le crépuscule, avec une lumière chaude de septembre, lorsque le Pape polonais, comme un ange habillé en blanc, entra place Chanoux qui, pour l’occasion, était remplie de gens. A ce temps-là il était un homme vigoureux, fort et communicatif. Pour moi, jeune reporteur de télévision, ce personnage a représenté l’enthousiasme de celui 173 qui rencontre un morceau d’histoire. Changement de décor. Nous étions encore en 1986, pendant la grande Messe dans le pré de Montfleury. J’avais étudié tous les moindres détails pour ne pas faire piètre figure dans mon commentaire. Dès la nuit des temps, ainsi j’avais étudié, les Papes passés par nos Cols alpins étaient nombreux, mais on assistait à la première visite officielle avec l’usage soigné – de la part de celui qui a su respecter la culture des nombreux peuples visités pendant son apostolat – des langues de la Vallée d’Aoste : le français et l’italien. On me raconta le plaisir sincère pour la découverte du culte marial sur nos montagnes ! Le mystérieux culte de la Vierge noire existe même sur les Alpes, comme a Czestochowa en Pologne. Franco Garda, ce complaint guide alpin et mon cher ami, l’accompagna – dans ces jours mêmes – sur le glacier proche du sommet du Mont-Blanc ( soucieux, ne pouvant pas l’assurer avec une corde, que le Pape puisse disparaître avalé par un glacier ! ). Ces images d’un Pontife souriant, qui scrute l’horizon et qui lance de la montagne plus haute du Vieux Continent son message pro-européen ( caractérisé par des tons prévoyants en pensant récemment à l’élargissement à Est ), alimentèrent le mythe – pour une fois correspondant à la réalité– d’un Pape montagnard. Tout au moins, les dix séjours en Vallée d’Aoste, ainsi que les vacances dans le Bellunese, lui permirent de réunir une anthologie de réflexions sur la mystique de la montagne qui restent sculptées dans l’Histoire de l’Eglise. Quand le Pape arrivait à Les Combes, où les salésiens – aidés par la Vallée – ont su rendre toujours plus accueillant son séjour, se vérifiait toujours un grand jouer de coudes parmi les autorités. L’objet de la querelle : l’accueil du Saint-Père à son arrivée, en hélicoptère là-haut ou à l’aéroport d’Aoste, et ensuite la dislocation pendant les Messes, l’Angélus ou dans les audiences dans la maison des vacances. J’ai eu la chance d’avoir de bonnes places dans le protocole du cérémonial. Ainsi en 1995 le Pape avait béni le ventre de ma femme enceinte et plus tard embrassé mes deux enfants, Laurent et Eugénie. Nous avons de très belles photographies des trois fois que cela s’est vérifié et je suis sûr que, quand ils seront adultes – et Pape Wojtyla sera Saint – elles seront parmi les souvenirs plus chers de leur enfance et de leurs parents souriants. Laissez-moi encore ajouter deux images. La merveille de la Messe sous le Cervin. A l’époque la Slovénie se battait pour son indépendance. Je réussis à faire parler avec le Pape, qui dans la brève conversation qui se déroula passa tout de suite à la langue slovène ( Jean-Paul II était un extraordinaire polyglotte ), un ami slovène qui était venu expressément en Vallée pour avoir une phrase de soutien pour son Pays. Il l’obtint et ce fait donna plus de force à la protestation. L’autre image concerne le pré de Barmasc d’Ayas d’où d’un côté on peut admirer le Zerbion et de l’autre la chaîne du Mont Rose. Là aussi le Pape, qui en Vallée d’Aoste a parcouru des dizaines d’itinéraires pendant ses promenades estivales en rencontrant spontanément les valdôtains et les touristes, célébra une Messe pleine de joie et de participation. 174 Le Pape malade et vieilli a honoré encore plus notre Vallée. Le choix de venir ici, même si en grave difficulté et dans ces derniers temps obligé à l’immobilité ( comme l’été dernier, quand sa souffrance était déjà terrible ) était son désir personnel comme s’il s’agissait de l’approcher d’un adieu et qu’il ne voulait plus céder – pour le peu de repos qu’il se concédait dans la frénésie de se promener dans le monde jusqu’à l’épuisement de ses forces – aux devoirs géopolitiques dans les lieux de vacances. La Vallée d’Aoste, enfin, le lieu qu’il préférait pour ses séjours. Va savoir, si dans sa triste agonie il n’ait pas retrouvé, dans les images qui se pressent à la limite de la vie sur terre, les souvenirs de nos montagnes et cela –avant de gagner les sommets du Paradis – n’ait pas eu l’effet de calmer la souffrance, avant du dernier ‘amen’ qu’il aurait prononcé avec un ultime souffle. Personne ne peut nier le pouvoir évocateur des mots. Salgari, qui n’y avait jamais été, grâce aux pages magiques de ses romans m’a fait vivre dans mon enfance sur les mers et dans les forêts de la Malaisie. Verne m’a conduit sur la lune, dans les entrailles de la Terre avec ses personnages ou en d’autres aventures du futur. J’ai été mousquetaire avec Dumas et j’ai vécu des milliers de situations avec Simenon. Des romanciers et des essayistes m’ont conduit par la main dans des endroits, des situations, des idées. On peut se perdre dans les pages d’un livre, oublier ce qui nous entoure, voyager tout en étant immobiles, le cœur et la tête perdus dans des conditions qui sont crées par ceux qui savent éveiller nos émotions. Simplement avec les mots. Si des mots écrits nous passons aux mots prononcés, il est encore plus simple. Le premier mot que nous disons « maman »nous accompagne pendant toute la vie. Dire « joie »ou « douleur »ouvre la porte à une énormité de souvenir et d’évocations personnelles et collectives. Essayez : si vous fermez les yeux et vous prononcez le mot « montagne »vous serez envahis par des moments vécus, par des expériences, par des idées ou par des convictions propres ou transmises. J’ai compris, en parlant en public, comme la représentation des choses peut être partagée si on choisit les mots justes. On crée une magie, une attente, qui devient le silence grave de l’écoute qui met l’orateur dans la situation de l’ivresse et en même temps du risque. Le jongleur le fait en agitant des objets, celui qui parle en public – sans avoir un texte écrit – utilise les mots qui lui viennent à l’esprit et il peut les employer pendant que celui qui écoute retient le souffle pour voir s’il se trompe et où il veut arriver avec les phrases. A tous ceux qui partagent ces opinions, je conseille, dans la collection « Livre de poche »un livre de Erik Orsenna « La grammaire est une chanson douce ». Dans l’élégance d’un récit d’imagination l’auteur exprime tout ce qui tourne autour de ce point de départ : « Les mots sont de vrais magiciens. Ils 175 ont le pouvoir de faire surgir à nos yeux des choses que nous ne voyons pas ». C’est beau quand un des personnages du livre lance une alerte : « Vingt-cinq langues meurent chaque année ! Elles meurent, faute d’avoir été parlées. Et les choses que ces langues désignent s’éteignent avec elles. ( ... ) Les mots sont les petits moteurs de la vie. Nous devons en prendre soin » Plusieurs fois dans ce Calepin j’ai rappelé que certains mots importants – tels que fédéralisme, démocratie, unité ou engagement – peuvent être usés par un mauvais emploi ou abus. Orsenna rend le concept plus poétique, il imagine les mots en un lit d’hôpital : « la petite phrase bien connue, trop connue « Je t’aime ». Trois mots maigres et pâles, si pâles. Les sept lettres ressortaient à peine sur la blancheur des draps ». Pourquoi cette expression est-elle malade ? Ecoutez Orsenna : « Tout le monde dit et répète « je t’aime ». Il faut faire attention aux mots. Ne pas les répéter à tout bout du champ. Ni les employer à tort et à travers, les uns pour les autres, en racontant des mensonges. Autrement les mots s’usent. Et parfois, il est trop tard pour les sauver ». mars La Constitution européenne, avec ses 448 articles, est un texte long, compliqué et parfois difficile. Valéry Giscard d’Estaing, Président de la Convention – l’organe chargé de la rédaction du document et qui a travaillé du mois de février 2002 au mois de juillet 2003 – a affirmé : « La complexité est le prix à payer pour que l’Europe soit de plus en plus unie, sans jamais être uniforme ». Pour l’approbation de la Constitution les Pays de l’Union se sont conduits de manière différente en formant deux groupes. Le premier est celui des Pays dont les Parlements ont ratifié ou qui sont en train de le faire. En voilà une liste, sans un ordre précis : Lituanie, Hongrie, Slovénie, Autriche, Allemagne, Italie, Belgique, Chypre, Estonie, Finlande, Grèce ( où la Gauche demande un référendum ), Lettonie, Malte, Suède. Un deuxième groupe prévoit – entre cette année et la prochaine – des référendums populaires : Espagne ( où les oui ont déjà gagné ), France, Danemark, Royaume Uni, Irlande, Luxembourg, Pays Bas, alors que les référendums en Pologne, Portugal, Slovaquie et République Tchèque sont très probables. Pour avoir les idées claires sur ce qui est en jeu, il est à savoir qu’un seul non suffirait pour arrêter le procès, avec des conséquences difficiles à calcu176 ler. En bref : l’intégration européenne s’arrêterait avec mille incertitudes et la tentative d’avoir une Constitution européenne échouerait. Pour être bien renseignés je vous conseille de lire l’Eurobaromètre et ses sondages sur cet argument : le non a l’air de gagner dans plus d’un Pays. En commentant dans le Courrier international l’attente et les surprises du référendum français ( où dans les prévisions le non a dépassé le oui dans les semaines dernières ) le journaliste italien Alberto Toscano – depuis des années correspondant à Paris – signale de manière intelligente quatre raisons pour lesquelles les contraires à la constitution pourraient gagner ( ses affirmations sont entre guillemets ). La première raison est la confusion : « La connaissance du texte constitutionnel est largement déficitaire » La question de l’entrée de la Turquie est un des exemples cités par Toscano. La deuxième raison est la sinistrose : « Difficile d’imaginer que le refus du Traité puisse cicatriser les plaies sociales » Toscano observe de plus que « quand l’air est chargé de négativité, il est plus difficile de dire oui ». La troisième est l’Europe bouc émissaire : « Les autorités de nos Pays font systématiquement porter le chapeau à Bruxelles ». Les mérites reviennent à l’Etat, les démérites à l’Europe ! La quatrième est la revanche des marginalisés : « Marginalisés dans les consultations majoritaires, les extrêmes sont avantagés quand tous les votes comptent de la même manière » Un phénomène, celui des extrémistes contre l’Europe, qui traverse tout le vieux Continent. J’espère que même en Vallée d’Aoste le défi de la Constitution émerge dans toute son importance et que l’on sorte d’une torpeur qui inquiète. Le rôle du service public radiotélévisé en Vallée d’Aoste est important et il est bien que les valdôtains, même s’ils réclament toujours plus d’engagement et de professionnalité, reconnaissent le travail presque désormais quarantenaire de la Rai dans notre Région. Bien que les espaces des émissions demeurent exigus et que – comme on s’était fait des illusions dans les années 70 –une radio ou une télévision publique entièrement consacrées au Val d’Aoste ne soient pas nées, mais vu les temps qu’on a vécus – pas favorables à la décentralisation de la Rai – le risque était et sera celui d’un démantèlement de l’existant. Mieux vaut donc de se contenter. Je voudrais bien le rappeler dans ces heures pendant lesquelles le siège régional laisse sa place historique de rue Chambéry à Aoste et mes collègues, parmi lesquels je compte beaucoup de personnes auxquelles je suis sincèrement lié et que j’estime pour leur engagement, se déplacent définitivement dans le nouvel petit palais de Saint-Christophe ( j’espère qu’ils me laissent un 177 bureau, vu qu’en politique on ne sait jamais… ). Un choix rendu obligatoire à cause de l’impossibilité de trouver une collocation dans la ville et ceci est un intéressant exemple de l’appauvrissement du chef-lieu régional. Il est triste de penser que les bureaux radiophoniques où en 1968 commencèrent les émissions de La voix de la Vallée disparaîtront et, la même chose, vaut pour le bureau TV d’où de 1975 a été mit en ondes le journal télévisé régional. Même destin pour la salle de montage et les bureaux où des milliers d’heures d’émission radio et télévisée de la programmation régionale ont été conçues. J’ai passé en rue Chambéry des années très belles. J’ai profondément aimé mon métier de journaliste Rai et la date de mon engagement, le 22 février 1980, reste une étape fondamentale de ma vie; l’attente pour le mandat politique du désormais lointain 1987 ne change pas le fait que celui ci reste mon travail. Dans ces années là, qui coïncident aux années plus belles de ma jeunesse et pendant lesquelles on respirait un grand enthousiasme en rédaction et un beau jeu d’équipe, j’ai tourné toute la Vallée de long en large avec les troupes télévisées ou équipé d’un magnétophone, en estimant que le métier du journaliste Rai n’est pas un emploi quelconque, mais il y a un élément de service public qui le charge de responsabilité et l’oblige à des critères d’impartialité et à un évident engagement personnel d’approfondissement des thèmes traités. Les pires ennemis ( dans ce métier ) sont la négligence, la répétition, le travail en rédaction sans sortir sur le territoire, se contenter des nouvelles qui arrivent sans aller à leur recherche, les idées préconçues où les sympathies personnelles qui uniformisent en négatif l’activité, en négligeant les devoirs élémentaires de distinction bien compréhensible entre la nouvelle et le commentaire. Le nouveau siège de la Rai représente de toute façon une bonne nouvelle. Il s’agit d’une structure bien plus efficace du vieux siège qui s’était progressivement élargi à l’intérieur d’une copropriété et qui même si riche de mémoires et d’histoire ne répondait plus et depuis longtemps aux nécessités. Bon travail, donc. Et – attention – gardez-moi un bureau. Si on fait partie de la catégorie des optimistes, on le sait, on peut parfois être considérés des imbéciles. Il suffit d’allumer la télé et d’écouter les nouvelles, ou bien de feuilleter le journal de la première à la dernière page, pour comprendre que nous ne vivons certainement pas dans le meilleur des mondes possibles. Au contraire ! Il me semble qu’une bonne tranche d’humanité s’amuse à s’exercer en de petits et malheureusement grands méfaits, pour le plus distillés de ce poison aussi répandu qui s’appelle haine. Avec des pics d’horreur, de douleur et parfois même de malchance qui nous laissent effarés et effrayés. Souvent ils nous coupent littéralement la parole. Et les pessimistes, qui sont la majorité, nous racontent du matin au soir problèmes et méfaits, et si, en retour, on tente de mitiger la situation ou la 178 perception négative on risque d’apparaître comme le plus bête du groupe ou pire comme une sorte d’inconscient qui n’arrive pas à percevoir la gravité des faits. Je pense à des sentences tombales. Comme celle de Georges Benanos : « L’optimisme m’est toujours apparu comme l’alibi sournois des égoïstes, soucieux de dissimuler leur chronique satisfaction d’eux-mêmes ». Emil Cioran est terrible : « Ce qu’on appelle « pessimisme »n’est rien d’autre que l’ « art de vivre », l’art de goûter la saveur amère de tout ce qui est ». Au contraire je revendique le droit à l’optimisme. Je me fais fort aussi de quelques citations. Léon Daudet : « Autant l’optimisme béat, c’est à dire inactif, est une sottise, autant l’optimisme, compagnon de l’effort, pour sortir des difficultés, des souffrances, des lésions fonctionnelles et organiques, est légitime ». Ou André Gide « Ne te détourne pas, par lâcheté, au désespoir. Traverse-le. C’est par-delà qu’il sied de retrouver motif d’espérance. Va droit. Passe outre. De l’autre côté du tunnel tu retrouveras la lumière ». Voilà ce en quoi, je pense il faut croire, même en politique. Je crois en un optimisme qui est la conséquence de l’engagement et qui devient une réaction convaincue contre toute difficulté. S’il engage une action chorale et collective, les énergies alors se multiplient et la confiance en nous et en un effort de groupe augmente. C’est cette force qui a fait faire aux valdôtains de grandes choses, quand ils ont su en expliquer les raisons. J’y pensais à propos d’une situation négative que l’on perçoit de ces temps même dans notre Vallée. C’est comme une épidémie insidieuse qui grandit, se transmet et dont on avertit la gravité. Un effet avalanche qui emporte et angoisse et qui donne lieu à un climat de préoccupation et de méfiance. La seule réaction efficace est faite d’engagement et de bon sens, avec un optimisme factif contre un pessimisme complu. Avec Joseph Joubert : « Au lieu de se plaindre de ce que la rose a des épines, il faut se féliciter de ce que l’épine est surmontée de roses et de ce que le buisson porte des fleurs » C’est une image poétique, qui peut apparaître vide aux yeux d’un pessimiste. Mais on me permette de dire que je suis très optimiste quant à l’avenir du... pessimisme. L’ alliance de centre gauche, en vue des élections politiques de 2006, a enfin choisi, après plusieurs tentatives maladroites, de s’appeler « Unione ». Il est sans doute vrai que l’Union valdôtaine n’a pas de copyright sur le mot et on ne peut donc rien reprocher à Prodi et à ses alliés, mais il est vrai aussi que dans la politique italienne, lorsqu’on parle de « Union »on parle depuis toujours de notre Mouvement politique et de la spécificité de la présence valdôtaine dans la politique, à Aoste, à Rome et, en certains moments, même en Europe. 179 De plus, dans la mer incertaine et transformiste de la politique italienne, dans laquelle les mêmes navires changent de nom et de drapeau avec une grande facilité et souvent avec une logique de pirates, ce n’est pas une chose de rien que l’Union Valdôtaine ait gardé un même nom et un même symbole depuis 1945. Une longue durée qui mérite – puisque nous nous rapprochons du 60e anniversaire du Mouvement – des célébrations adéquates, surtout si l’on croit, comme c’est mon cas, que sans une vraie union dans l’Union, faite de règles et de comportements partagés, la désunion risque d’être vraiment la négation du dicton « L’Union fait la force », qui est un principe vrai partout, mais particulièrement en politique. Par ailleurs l’étymologie du mot « union » est pleine d’intérêt. Si dans le latin de l’époque impériale le mot signifiait « perle, grosse perle », dans le latin tardif il apparaît comme une « sorte d’oignon », mais il s’affirme avec clarté et dans le temps avec la définition actuelle de « amalgame, association, fusion, réunion » qui se décline dans la philosophie, dans la religion, dans la théologie. Et même en politique, vu que le mot « unionisti » apparaît dans l’histoire de la Grande Bretagne et des Etats Unis et dans l’histoire française on va de « l’Union sacrée » de Poincaré en 1914, avant de la déclaration de la Première guerre mondiale, à « l’Union nationale » proposée par De Gaulle en vue de la libération de la France dans le deuxième après-guerre. Jamais comme aujourd’hui, et on suppose que le choix de Prodi ait été fait – comme il arrive de nos jours, après l’avis de grands experts de marketing politique et de communication institutionnelle – ce terme de « Union » montre toute sa modernité. Si donc la définition à la base de notre mouvement est correcte, il est impressionnant d’ajouter qu’à cela s’associe cet ensemble d’idées et de propositions que les unionistes ont toujours fait remonter à la pensée autonomiste et aux fondements du fédéralisme ( que tout le monde utilise aujourd’hui pour recevoir des attentions, souvent de manière inappropriée ! ) Cela nous permet d’apprécier la responsabilité que nous avons, en découvrant que tant l’étiquette que le contenu – après tant d’années - résultent être modernes et bons pour être copiés. Une ultérieure raison pour réfléchir, apprécier, partager et vivre, avec un engagement quotidien – contre toute tentation, souvent illégitime, de nous séparer – ce terme « Union » qui devrait être le premier principe à la base de notre action politique et en même temps ressentir que ce sentiment en est le fondement. C’est un livre qui a paru il y a une dizaine d’années, écrit par Alain Duha- mel et intitulé « La politique imaginaire ». Il photographiait de manière très nette un changement de tendance en France, où l’opinion publique – selon l’auteur – démontrait toujours moins de tolérance pour les privilèges injustes des hommes politiques. Il écrit : « Devant la profondeur, la durée, la géné180 ralisation de la crise, l’intégrité des hommes politiques, des élus, des gouvernants devenait une exigence absolue, un critère impérieux ». Il avait été le bon prophète d’un changement de route qui aujourd’hui est entièrement visible dans les faits qui, en quelques jours, ont brûlé une des promesses de la politique de l’autre côté des Alpes, Hervé Gaymard, un Savoiard qui a de la famille en Vallée d’Aoste et qui a toujours démontré pour notre Région beaucoup de sympathie. Sa carrière avait été flamboyante : né en 1960 à Bourg Saint Maurice, il avait été élu député de la Savoie en 1993 et après avoir été Secrétaire d’Etat à l’Economie et ensuite au Travail, il devient Ministre de l’Agriculture en 2002 et il y a quelques mois Ministre de l’Economie. Dans le panorama de la politique française il est « chiraquien »( et donc de ces temps un anti-Sarkozy ) et il raconte avoir décidé de se mettre en politique à 10 ans, après avoir vu a la télé les obsèques du Général De Gaulle. Partisan convaincu de la discrétion médiatique ( il avait récemment écrit pour Fayard le livre « La route des Chapieux », où il parle de sa conception politique ), il a été renversé par un scandale qui trouve son origine justement dans ces media que – contrairement à Sarkozy- il ne considérait pas fondamentaux. Quelqu’un a passé au Canard enchaîné une nouvelle brûlante : le journal a révélé que Gaymard « loge avec son épouse et ses huit enfants dans un appartement de 600 mètres carrés à Paris pour 14.000 euros payés par l’Etat ». Inutile de dire qu’en passant la nouvelle aux journaux quelqu’un a voulu, en y réussissant, couper l’herbe sous les pieds du jeune Ministre et cela fait partie d’une guerre souterraine qui – à coups de dossiers – anime depuis longtemps la politique française. A partir de ce moment, jusqu’au moment de sa démission après deux semaines- et donc il y a quelques jours- le Ministre a vécu une sorte de chemin de croix médiatique. Voilà la motivation qu’il donne pour sa sortie de scène : « Ce que je ne peux plus supporter, c’est le harcèlement que subit ma famille. J’ai fait des erreurs, j’en ai tiré des conséquences, je payerai ce qu’il faut pour les redresser mais je crois très honnêtement que le niveau que la polémique a atteint ne correspond pas à la réalité des choses. Je n’ai pas fait de crime ni de délit ». L’événement même, mis à part le fait qu’il est la preuve efficace de l’incertitude et de la fugacité du succès dans le monde de la politique, démontre toutefois des volets utiles. Duhamel en cela avait vu les choses avec une sorte de prévoyance : en s’opposant à l’idée de ceux – police ou magistrature- qui tendent à « transformer le personnel politique dans son ensemble en accusé perpétuel et en criminel collectif », signale – comme je disais – un brusque abaissement du seuil de tolérance et une demande collective de comment, dans les moments difficiles, l’opinion publique a « besoin d’éprouver de la considération sincère pour les élus ». Dans le cas de Gaymard demeure la conscience que la légitime « question morale »s’accompagne à une utilisation évidemment instrumentale de ces faits, dont quelqu’un profitera. 181 février En dehors de la Vallée d’Aoste – et cette fois je ne parle pas des milieux fédéralistes traditionnels et bien connus – on assiste aujourd’hui à une redécouverte de la pensée d’Emile Chanoux. Pour tout dire cela arrive dans des centres d’étude et par des intellectuels qui ne cachent pas un penchant pour la Lega. Face à cette perspective on voit deux sentiments opposés. Le premier peut être résumé par le slogan « Ne touchez pas à Chanoux ! ». Le deuxième, au contraire, est un intérêt pour une légitime valorisation d’un homme d’action et d’un penseur méconnu qui appartient à une branche injustement considérée mineure, celle du fédéralisme personnaliste et de l’autonomisme politique. Sur le premier aspect on aurait l’instinct de couper court et de dire à certains leghisti : Chanoux est antifasciste et ceux qui s’associent à des partis – comme Alleanza Nazionale – qui se réfèrent explicitement à des idées d’extrême droite ( incompatibles avec la forma mentis et l’ensemble des oeuvres de Chanoux ) ne peuvent pas se servir de son nom. Et on pourrait ajouter une deuxième pensée : Chanoux est à nous, il est de la famille, il est dans nos maisons, nous avons protégé sa mémoire et maintenu ses idées vivantes même lorsque l’Union valdôtaine était seule et incomprise. Dans les papiers de ma famille je trouve des lettres et des cartes postales de Chanoux : mon père et ses frères en ont partagé les espoirs et les douleurs ( papa vit le corps livide de Chanoux à la morgue de Aoste, avant que le vieux Camandona ne le chasse, de peur que les fascistes l’emprisonnent ). On doit à mon oncle Séverin les merveilleuses pages d’exaltation de ce martyre à qui, dans mon travail parlementaire, je n’ai jamais oublié de reconnaître la correcte importance, en le citant aussi bien à la chambre des Députés que au Parlement européen. Une source très pure à laquelle nous pouvons nous désaltérer, en nous efforçant d’actualiser ses avertissements et ses vues prophétiques. Il y a ensuite le deuxième aspect. Pour tant qu’on puisse être sévères et exigeants - si nous n’avons pas peur d’une utilisation instrumentale de « notre » Chanoux - nous devons apprécier ( et je pense au livre de Giorgio Andrea Pasqui sur Chanoux aux Editions Le Chateau ) ceux qui s’efforcent de trouver des clés de diffusion scientifique, dans le respect des parcours intellectuels et du sens d’une vie sacrifiée au nom de la Vallée d’Aoste et de la pensée fédéraliste. Je trouve, de ce point de vue, que Chanoux doit être valorisé et connu, puisqu’il porte en lui cette force et ces antidotes qui peuvent 182 donner un sens plus profond à des fédéralismes qui paraissent incohérents et balbutiants. Chanoux comme reconstituant, comme inspiration sincère, comme force propulsive, comme exemple qui nous oblige à lire ce qu’il a écrit et à nous efforcer d’actualiser son dessein en tenant compte du temps passé et des énormes nouveautés de la vie d’aujourd’hui et du cadre institutionnel. Mais il existe un fil rouge entre les générations et cela vaut même pour nous les valdôtains qui sommes obligés de nous démontrer cohérents et respectueux de notre passé et du témoin, de ce flambeau lumineux cher à Chanoux, qu’on nous lègue pour que nous le transmettions, à notre tour, aux générations futures. De toutes nos maisons, à travers un ordinateur relié à Internet, on peut accéder, aujourd’hui, à une quantité d’informations dont – jusqu’à il y a quelques années – il était impensable de disposer chez soi. La bibliothèque d’une maison, bien que riche en textes, ne peut en aucun cas rivaliser avec le web et cela vaut même pour les cd rom, qui concentrent une énorme quantité de matériel qui, imprimé, occuperait des pièces entières. Cette révolution informatique est un appui énorme pour la culture et le savoir. Dans le passé les livres que l’on possédait à la maison créaient une différence évidente dans les conditions qui favorisent l’étude et la formation personnelle. J’ai eu de la chance de ce point de vue, provenant d’une famille dans laquelle la valeur et l’importance des livres ont toujours été un acquis. J’ai toujours été charmé par les livres anciens, notamment par ceux du XIXème siècle, qui provenaient d’un héritage paternel qui comprenait même des pages manuscrites par mon arrière-grand-père. On percevait clairement les caractères de la « bourgeoisie » de la ville, cosmopolite et francophile, avec des classiques français en toute évidence, ainsi que des livres de base d’histoire, de philosophie et de mathématiques. Cet amour pour les livres était comme un virus que l’on retrouvait dans les maisons de mes oncles. Séverin était l’exemple du savant, qui exhibait ses connaissances avec style et ironie, en passant avec une grande capacité dialectique d’une matière à l’autre du savoir. Eugénie était autant cultivée, mais avec la forme mentale de celle qui a consacré entièrement sa vie à l’enseignement. Emile et Mario représentaient la partie scientifique de la famille dans une époque durant laquelle la formation littéraire et la formation technique étaient complémentaires. De ce point de vue j’appartiens à une génération du milieu, j’ai de la chance en cela, mais je suis également obligé de m’efforcer pour ne pas rester en dehors de la révolution de l’électronique et du digital. Une génération au milieu entre le parfum du papier, les phrases soulignées à la main, le plaisir physique du choix et de l’achat d’un livre et l’ivresse de la navigation sur Internet, de la sélection et de l’utilisation des sources et enfin de l’emploi de l’imprimante. Il s’agit de deux alphabétis183 mes utiles et complémentaires. Arriverons-nous tout de même à transmettre aux jeunes générations le goût et l’importance des livres ? Ou bien ils seront destinés à vivre avec les nouvelles technologies et ils liront les livres sur des ordinateurs de poche du futur ? On court vraiment le risque que la vitesse soit au désavantage de la pondération utile pour penser ? Peut-être, en réalité, le medium compte, mais il faut penser à la substance, donc au message. Voilà pourquoi nous, les parents, devons transmettre l’amour pour la culture et pour le savoir et nos enfants et petits enfants en pourront bénéficier avec tous les instruments qu’ils auront à leur disposition. C’est une chaîne générationnelle qui demeure l’essence fondamentale de la vie. Gustave Malan de Torre Pellice était un esprit libre, anticonformiste dans la vie et libertaire en politique, un fédéraliste souvent contre courant. Il était le plus jeune – il n’avait que 21 ans – parmi ceux qui étaient présents à Chivasso en 1943 pour la célèbre « Déclaration des populations alpines » une étape historique pour les montagnards dans une des périodes les plus sombres de l’histoire contemporaine. Il a été fidèle à ses principes jusqu’à la fin et son admiration pour Emile Chanoux lui faisait briller les yeux encore dernièrement. Malan, partisan dans les formations de Giustizia e libertà, aboutit au Partito d’Azione et il anime ensuite les groupes de fédéralistes mondialistes. Gustave avait du sarcasme et de l’ironie pour tout le monde, avant tout pour sa communauté vaudoise, envers laquelle il n’épargnait pas des considérations pleines de poison, mais il avait un faible pour nous, les valdôtains. Si on l’appelait en Vallée pour une manifestation il venait volontiers et il disait clairement que dans l’autonomie valdôtaine on trouvait un petit exemple de réalisation de la Déclaration de Chivasso, trop petit malheureusement, pour nous-mêmes et pour l’ensemble des Alpes ! Nous nous sommes retrouvés souvent dans les dernières années, à l’occasion de rencontres ou de réunions et il m’a même écrit parfois, intellectuel curieux et omnivore, pour savoir du fédéralisme et de la protection des minorités linguistiques. La dernière fois que je l’ai vu il se sentait vieux et fatigué, mais – quand on commençait à parler de politique – il redevenait jeune et piquant, encore prêt à polémiquer et à affronter des discussions pour exprimer ses idées. Il avait dit : « Non so dove ho pescato la parola « autonomia » per dirla ai miei compagni. Credo d’aver visto una volta su di una bancarella di libri usati a Torino, un piccolo libro del 1920 sull’autonomia del Friuli. Allora, mi son detto, esiste la parola ! ». Et encore, en rappelant les an184 nées Quarante : « In quei tempi, quasi nessun giovane della mia età sapeva che fosse esistito un signor Matteotti. E pur fu un fatto enorme l’assassinio di Giacomo Matteotti, perché l’Italia ha tremato e tutto il mondo pensava che Mussolini sarebbe caduto. Bene : dieci anni dopo, i giovani non sapevano neppure quel nome e quel cognome ; non sapevano nulla. Così, per l’autonomia : un’idea che esisteva, sotto sotto, ma nessuno la conosceva ; eppure bisognava muoversi. Questa è la storia di Chivasso ». Dans un monde gris, où souvent la culture est un poids et encore plus l’intellect, Malan, avec sa verve et sa tête de « bastian contrario »a rejoint les autres de la déclaration de Chivasso. Les autonomistes – un mot qui se fonde bien avec fédéralisme et en est pas une diminution – se sont retrouvés. Giampaolo Pansa n’a pas peur de dire la vérité, tant comme journaliste que comme écrivain. On trouve en lui une veine toujours nouvelle d’anticonformisme sain, qu’il exprime sans se créer trop de problèmes. J’ai même l’impression que, en vieillissant, il devienne, comme il arrive parfois, de plus en plus direct et qu’il écrive pour exprimer ses convictions et non pas pour plaire, ce qui arrive même à des grands lorsqu’ils cèdent à des formes de vanité. Pansa ne veut pas plaire, mais transmettre des idées fortes sans les nuancer. Je lui dois, pour sa manière de raisonner franche et concrète, une réflexion sur un thème difficile : le sens du devoir. Dans une interview imaginaire avec un hypothétique homme politique de cinquante ans, appartenant au centre, il lui fait dire :« La mia adolescenza è stata segnata dal verbo dovere. Devi arrangiarti, devi studiare, devi imparare un mestiere, devi lavorare, devi rispettare chi non la pensa come te, devi essere onesto... Ma oggi vivo in un mondo capovolto. Dove sento parlare soltanto di diritti e quasi mai di doveri. D’accordo, i diritti sono uno dei cardini della nostra vita. Però sarebbero chimere irraggiungibili senza la trave portante dei doveri. Ecco una verità che viene sempre presa a calci ». Des mots très profonds, qui peuvent sembler impopulaires ou antipathiques, difficiles à écrire en un programme électoral politique. Toutefois j’appartiens aussi à une génération encore pleine de devoirs. Le sens du devoir est une sensation fort peu aimable, lorsqu’il oblige même à faire des choses que l’on n’aime pas, à accepter des sacrifices, à subir des défaites. Deux phrases du XIXème siècle, de deux auteurs très semblables dans la manière de regarder à certaines ivresses révolutionnaires peuvent nous éclairer. Auguste Comte, philosophe : « Nul ne possède d’autre droit que celui de toujours faire son devoir ». Et René de Chateaubriand, écrivain et homme politique :« C’est le devoir qui crée le droit et non le droit qui crée le devoir ». 185 Je crois qu’il est bien d’y réfléchir. Et, quand on a la chance de pouvoir le faire, on doit penser à la manière de transférer à nos enfants cette éthique du devoir. Un sens moral apparemment lourd, mais qui en réalité est un vaccin utile et une vitamine fortifiante contre une maladie de nos jours qui parfois fonde sur l’abus des droits grand nombre d’incertitudes et le risque que les droits sacro-saints perdent progressivement leur valeur comme une pièce dévalorisée. janvier Je regarde avec méfiance au prohibitionnisme, pour une conviction per- sonnelle et pour culture politique. Mais je trouve utile le choix de rendre plus difficile de fumer dans les locaux publics. En effet nous ne sommes pas face à une interdiction absolue. Ceux qui veulent équiper leurs exercices d’un local pour accueillir les fumeurs peuvent le faire et en Vallée d’Aoste, entre autres, une aide publique généreuse – que personne n’a demandé jusqu’à présent – peut être utilisée à ces fins. Et les fumeurs, s’ils ne résistent pas au manque de nicotine, peuvent sortir un instant du café ou du restaurant : je n’y trouve rien de dramatique. Ceux qui parlent d’une violation des droits personnels devraient tenir des discours libertaires pour de meilleures causes et non pour l’utilisation de substances qui pèsent grièvement sur la santé des fumeurs et de ceux qui les entourent. Et ceux qui dissertent sur les effets bien plus graves de la pollution de l’air ont probablement raison, mais ce n’est pas avec un mal qu’on en élimine un autre. Celui qui écrit n’a jamais fumé, exception faite pour quelques tentatives à l’époque de l’adolescence. A la maison je tolère avec une patience spontanée l’habitude de fumer de mes proches et de mes amis, dont la grande majorité – avec un grand témoignage de civisme – fume en demandant poliment l’autorisation et en évitant les comportements de maniaques ( la seule exception est mon père qui, octogénaire, continue de fumer et rappelle, en guise de justification historique et comportementale, que dans le camp d’internement nazi en Allemagne il échangeait la maigre ration de nourriture contre une cigarette ! ) Toutefois il existe une minorité de malpolis qui affiche cette mauvaise habitude : ils sont les premiers responsables du fait que la défense de fumer ait été imposée par la loi et non en travaillant sur l’autodiscipline des fumeurs au lieu que sur les amendes. Ce sont ceux qui nous ont empuantis pendant des années avec une fumée passive arrogante et professée. Et 186 aujourd’hui ils polémiquent fortement contre un Etat qui punit les fumeurs tout en leur vendant les cigarettes et gagne sur les impôts ( en Italie de plus l’Etat soutient les producteurs de plantes de tabac ! ) C’est un paradoxe, alourdi de plus par le coût du vice sur le service sanitaire public, qui fait que l’argent qui entre par les impôts, sort pour soigner les gens qui tombent malades à cause de la fumée, mais il fallait bien qu’on commence par quelque chose. Voilà qui est fait et je dois avouer, après un court séjour à Paris où on continue à fumer dans les bistrots et les restaurants – dans lesquels les salles séparées sont encore rares – que je préfère la formule à l’italienne. Certains observent que les mesures prévues partageront l’Italie entre un Nord discipliné et un Sud hostile à la loi, comme il arrive déjà pour le casque des motocyclistes, les ceintures de sécurité dans les voitures, l’obligation de payer la redevance télé. Ceux qui croient au respect des lois en vigueur devraient regarder avec dégoût ceux qui ne les respectent pas, plutôt que de démontrer une envie mal cachée pour ceux qui une fois la loi faite trouvent le moyen pour éviter de la suivre et qui, au lieu de se croire des malins, devraient avoir honte. Le destin du Tibet, que la Chine tente d’assimiler non plus avec une vio- lence évidente, mais avec une tactique plus rusée d’immigration massive et d’imposition de styles de vie et de modèles culturels, semble être marqué de plus en plus gravement. Et cela malgré une action internationale vaste et méritoire, notamment autour du personnage charismatique du Dalai Lama qui rappelle les grandes valeurs culturelles de ce Pays himalayen, occupé par la Chine et transformé en une province comme les autres, sans tenir compte du droit à l’autodétermination des peuples sanctionné par les Nations Unies. Le Tibet est pour cela un Pays symbole pour le Bouddhisme, qui compte – comme toutes les religions – une série de variantes. Mais le Bouddhisme a son cœur dans l’Himalaya à démonstration du fait que toutes les religions, grandes ou petites, ont dans la montagne un symbole important de la transcendance. Un livre assez original de Danielle e Olivier Föllmi ( Offrandes, Éditions de La Martinière, Paris ) propose des photos extraordinaires des lieux et des populations bouddhistes. Les auteurs font un couple très intéressant : il est photographe et elle est médecin anesthésiste, ils vivent entre les Alpes et l’Himalaya et ils ont adopté quatre enfants d’origine tibétaine. A côté des photos, et dans un parcours d’images de 365 jours qui va du premier jour de l’année au 31 décembre, sont proposées de belles pensées de maîtres bouddhistes. Sans vouloir s’abandonner en une xénophilie religieuse avec des nuances new age qui risquent souvent de paraître ridicules, je voudrais – dans la logique d’une comparaison productive et avec cette approche 187 multiculturelle que nous ne devons pas oublier sans effacer la force de nos traditions – vous proposer une de ces citations pour chacune des neuf périodes dans lesquelles l’année a été organisée. L’ORDRE DE L’UNIVERS – Attachons-nous à reconnaître le caractère si précieux de chaque journée ( Le XIV dalaï lama ). GRAIN DE VIE – Notre conscience contient tous ces rôles et bien d’autres, les héros, l’amoureux, l’ermite et le dictateur, la femme sage et le fou ( Jack Kornfield ). GERMER – Atteindre le bonheur authentique exige de transformer à la fois le regard que l’on porte sur le monde et sa manière de penser ( Le XIV dalaï lama ). EAUX TROUBLES – Il n’y a rien d’intelligent à ne pas être heureux ( Arnaud Desjardins ). ÉCLORE – L’envie et la jalousie procèdent de l’incapacité fondamentale à se réjouir du bonheur ou du succès d’autrui ( Matthieu Ricard ). CROÎTRE – Vous ne pouvez pas arrêter les vagues, mais vous pouvez apprendre à surfer ( Joseph Goldstein ). FLEURIR – On s’intéresse à ses membres comme partie de son corps : pourquoi pas aux hommes comme parties de l’humanité ? ( Shantideva ). SEMER – Vous ne pouvez pas trouver le surnaturel sans passer par la nature ( Arnaud Desjardins ). S’ÉPANOUIR – Les oiseaux qui vivent sur une montagne d’or reflètent la couleur de l’or ( Proverbe tibétain ). «Noms de lieux, prénoms, noms de famille, noms de marques... ». C’est le sous-titre qui m’a frappé dans ce tout récent livre de Jean-Louis Beaucarnot ( JC Lattès-Paris ). L’histoire des noms, dans ses différentes occurrences m’a toujours fasciné. C’est une manière pour découvrir plein de choses, souvent indispensables, curieuses ou utiles. Et le livre, qui traite en prévalence de l’aire francophone, est un réservoir précieux même pour notre Vallée et pour son territoire qui, par exemple à travers les toponymes, nous parle directement de notre passé. Leur respect, leur maintien et une prononciation correcte ( contre les erreurs-horreurs qui sont entrées à faire partie du langage courant ! ) ne sont donc pas une manie passéiste, mais un témoignage du respect vers nous-mêmes et vers ceux qui nous ont précédés. On y trouve un chapitre fascinant, qui concerne le lien entre les produits et leurs inventeurs. Il s’agit, souvent, de vraies et propres « brand » pour utiliser un anglicisme, c’est à dire d’un label célèbre qui à lui seul évoque immédiatement le produit ou les produits qu’il représente. On y trouve aussi la Vallée d’Aoste ! Grâce au Baron Marcel Bich ( que j’ai eu l’honneur de connaître ) « qui perfectionna – explique Beaucarnot – l’invention du stylo à bille » avec la marque Bic ! Mais il y a d’autres histoires intéressantes : du taillandier savoyard Joseph Opinel, à l’origine du fameux couteau au XIX siècle, aux fabricants de ski Abel Rossignol depuis 1911 et François Salomon depuis 1947 ; des fonda188 teurs des marques de chocolat Philippe Suchard e Rodolfph Lindt à ceux qui ont fait naître les biscuits comme Hermann Bahlsen et Lu ( du mariage, en 1846, entre Jean-Romain Lefèvre et Isabelle Utile ! ). Intéressantes les histoires de l’hôtelier texan Conrad Hilton et de Gérard Philips, fondateur d’une usine d’ampoules électriques aux Pays-Bas. Et celles des inventeurs de soupes et potages Heinrich Knorr, Julius Maggi et Justus von Liebig. Des destins croisés pour le thé entre Richard Twinning et Tomas Lipton en matière d’apéros entre les frères Cinzano, Alessandro Martini, Henry-Louis Pernod et Paul Ricard. Alors que le destin des boissons non alcoolisées rapproche Jean-Jacob Schweepes, Augustin Saturnin Badoit et le Docteur Perrier, celui des boissons spiritueuses unit George Ballantine, William Chivas, Johnnie Walker. Pas de fast-food sans les deux frères Maurice et Richard Mac Donald, pionniers de la restauration rapide en Californie et moins de voitures à choisir sans Louis Renault, André Citroen, Soichiro Honda, Henry Ford, Charles Rolls et Henry Royce. Comment ferait-on sans les imperméables inventés par Thomas Burberry et les jeans de Oscar Levi Strauss ? La mode française ne serait pas la même sans le vénitien Pierre Cardin et sans les célèbres Christian Dior, Ted Lapidus, Yves Saint Laurent. On n’aurait presque pas de champagne à boire sans les trois frères Munn, Eugène Mercier, Pierre Taittinger et Barbe-Nicole Ponsardin, plus connue sous le nom de Veuve Clicquot ! Ce n’est qu’un petit extrait des nombreuses possibilités de découverte, qui associent des personnes, leurs vies, leurs histoires à des produits bien connus aujourd’hui et à de marques qui dérivent justement du travail des inventeurs ou des précurseurs dans les différents secteurs. Un raz-de-marée fait partie des anecdotes de ma famille. Mon grand- père René était vice-préfet à Palmi en 1908 : il se rendit un matin à l’aube sur la plage pour son bain habituel et il vit que la mer s’était retirée. Fort de ses connaissances scientifiques, il comprit qu’il s’agissait des conséquences d’un tremblement de terre ( qui eût effectivement des effets terribles, notamment à Messina ) et de la prémisse à l’onde destructrice d’un raz-de-marée. Il courut à la Préfecture et il donna l’alarme. J’y réfléchissais après les faits terribles du Sud Est Asiatique, en lisant la nouvelle bouleversante des experts américains qui – repérées les conséquences du tremblement – n’avaient pas su à qui communiquer l’alerte. Les ondes du raz-de-marée se déplaçaient déjà vers les cotes avec leur force destructrice pendant que les personnes étaient tranquilles dans leurs villages et les touristes sereins le long des plages. Dans une époque de globalisation, on n’a toujours pas de réseaux scien189 tifiques qui échangent données et informations notamment entre les pays riches et les pays pauvres qui ne disposent pas de systèmes de contrôle avancés. Franchement cela est déconcertant et doit provoquer en nous des sentiments de honte. Un réseau d’alerte aurait certainement diminué les contours de cette tragédie. Il aurait suffit de savoir et de comprendre, ce qui est quasiment impossible sans l’éducation opportune et nécessaire dans des endroits sismiques, l’anomalie qui était manifestée par les eaux retirées de la mer. Mais si la mondialisation semble accentuer au lieu de rendre moins évident l’écart entre pays riches et pauvres du monde, il faut dire que les deuils de cette fin d’année témoignent qu’il existe aussi une globalisation « bonne »Par exemple celle qui a déclenché une longue chaîne de solidarité vers les populations frappées. L’Occident du monde a réagi positivement, bien que cela ne purifie pas notre conscience, sale pour les conditions de ces pays que nous appelons, d’une manière un peu grotesque, « en voie de développement ». Des paradis de vacance exotiques qui se sont transformés en un enfer, en montrant que, à côté des villages et des hôtels de luxe pour les touristes, existent des villages pauvres et des bidonvilles accumulés le long des côtes. Le destin a fait que les histoires de personnes très différentes se croisent, comme pour rappeler – si jamais il le fallait – que devant la mort nous sommes tous égaux et les drames ne distinguent ni nationalité, ni couleur de la peau, ni classe sociale. 190 191
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